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PLAIDOYER POUR L'EXPULSION D'UN CRIMINEL DU PANTH�ON MUNICIPAL

CHRISTIAN N�RON
L.L., L L. B., D.E.S., M.A.
Membre du Barreau

Qu�bec, le lundi 17 mai 2004, Qu�bec

Monsieur Jacques Dorais
Direction de la toponymie
Service du greffe et des archives
Ville de Qu�bec
2, rue des Jardins
Qu�bec (Qu�bec) G1R 4S9

PLAIDOYER POUR
L'EXPULSION D'UN CRIMINEL
DU PANTH�ON MUNICIPAL

Monsieur,

La pr�sente demande vise le colonel Robert Monckton, h�ros de l'histoire canadienne, que la Ville de Qu�bec continue d'honorer publiquement aux yeux de la population et de la post�rit� en nommant l'une de ses rues � sa m�moire.

Nous d�sirons porter � votre attention que, en regard du droit de la nature et des nations, droit officiellement reconnu et appliqu� par son propre pays au moment des �v�nements dont nous faisons r�f�rence, ce militaire anglais s'est rendu coupable d'une s�rie de crimes de la plus haute gravit� contre une population civile, innocente et d�sarm�e.

En regard du droit international conventionnel adopt� depuis 1945 et en particulier de la Convention du 9 d�cembre 1948, les faits d'armes criminels de ce militaire peuvent �tre aujourd'hui qualifi�s de crimes contre l'humanit� et de g�nocide.

Les actes criminels �tant imprescriptibles dans notre droit, ce militaire pourrait toujours �tre traduit en justice pour r�pondre de ses crimes s'il �tait encore de ce monde. Puisqu'il manque � l'appel et qu'aucun tribunal n'acceptera d'entendre des accusations criminelles contre une personne d�c�d�e, ce grand personnage n'est toutefois pas � l'abri d'un jugement et d'une juste sanction de l'histoire. Et l'unique sanction qu'il est d�sormais possible de lui infliger pour les actes criminels qui lui sont reproch�s et dont la preuve est incontestable est de s'en prendre � sa m�moire et de lui retirer les honneurs qu'on lui rend injustement depuis trop longtemps en perp�tuant son nom et sa gloire aupr�s de la population et pour la post�rit�.

En tant que responsable du Service de toponymie, vous �tes certes sensible au fait que l'odonymie urbaine constitue tout � la fois un espace symbolique, un outil de transmission de connaissances, un livre d'histoire � ciel ouvert, une m�moire dominante et officielle, apposant � la fois sa marque politique et une certaine empreinte id�ologique. Vous conviendrez avec moi que le processus d'identification ou de d�nomination de notre espace urbain ne peut jamais �tre neutre. Ce processus refl�te un choix, une valorisation s�lective du pass�, une volont� de constituer une m�moire publique et officielle. Valoriser un personnage, un �v�nement, un moment, un symbole, est en soi un geste politique.

Constituer et imposer un panth�on de grands personnages historiques est un geste politique. Construire un patrimoine toponymique est un geste politique. Offrir des h�ros ou des figures embl�matiques � la post�rit� est un geste politique. �lever au rang de h�ros national un personnage qui s'est bassement distingu� par des crimes de guerre, par des crimes contre l'humanit� et par son implication directe dans la perp�tration d'un g�nocide est aussi un acte politique, mais un tel acte public est scandaleux, il trouble les consciences et perturbe compl�tement les valeurs fondamentales que nous cherchons tous � pr�server et � transmettre � la post�rit�. Puisque nous portons des accusations de la plus haute gravit� contre le colonel Robert Monckton, nous allons, dans un premier temps, pr�senter le contexte dans lequel il est intervenu, puis identifier les principales actions dans lesquelles il a engag� sa responsabilit� personnelle par sa participation � un crime d'�tat perp�tr� contre une population civile, innocente et d�sarm�e.

Le contexte historique

Suite � la longue guerre de succession d'Espagne, le roi Louis XIV se voit dans l'obligation de c�der � l'Angleterre tout le territoire de l'actuelle province de la Nouvelle-�cosse. Le Trait� d'Utrecht, sign� le 11 avril 1713, confirme par la France cette cession en faveur de la Grande-Bretagne, mais sans toutefois lui octroyer un titre l�gitime ni m�me une souverainet� de droit sur ce territoire, puisque tant les lois fondamentales du royaume de France que le droit coutumier des nations europ�ennes ne reconnaissent alors la l�gitimit� d'une cession forc�e de territoire sans le consentement libre et volontaire des habitants concern�s, car la violence et la force ne peuvent jamais �tre tenues pour sources de droits.(1) Afin de se concilier la faveur des habitants et dans l'espoir de faire progresser la situation d'une souverainet� de fait vers une souverainet� de droit, les ministres tories de la reine Anne pr�parent � l'intention du gouverneur Nicholson une instruction sp�ciale dans laquelle Sa Majest� confirme express�ment � ses nouveaux sujets Acadiens leur droit de conserver leurs terres ou tenures et d'en jouir aussi pleinement et librement que tous ses autres sujets. Le contenu de cette instruction est d'ailleurs conforme au droit de la nature et des nations et elle a pour effet de cr�er une loi fondamentale applicable � toute la colonie. Au plan constitutionnel, la primaut� de cette loi fondamentale peut m�me se comparer � celle de la Magna Carta consentie par le roi Jean aux barons anglo-normands en 1215. Ajout�e � la reconnaissance du libre exercice de leur religion, cette derni�re garantie ne peut qu'inciter les Acadiens � consid�rer plus favorablement la cession de leur province � la nouvelle souveraine et � vouloir continuer � demeurer librement et volontairement sous la protection du droit constitutionnel anglais et des lois fondamentales de l'Acadie. Malheureusement, le d�c�s de la reine Anne survenu le 17 ao�t 1714 et l'�lection d'une majorit� whig au parlement de Westminster vont radicalement transformer la situation politique en Nouvelle-�cosse et compromettre d�finitivement le processus d'�volution n�cessaire d'une souverainet� de fait, fond�e essentiellement sur la force et la violence, vers une souverainet� de droit.

Une dictature prend forme en Nouvelle-�cosse

Le gouvernement whig de la m�tropole met graduellement en place de nouvelles institutions gouvernementales et administratives dans la province, mais les Acadiens n'en sont que des spectateurs puisqu'ils sont en tous points trait�s comme des sujets �trangers, r�duits � un �tat de servitude civile, priv�s de leurs droits civiques et politiques, et mis en minorit� l�gale perp�tuelle. Ils attendront d'ailleurs jusqu'au milieu du XIXe si�cle pour qu'on leur reconnaisse le simple droit de voter, comme � tout citoyen, � des �lections provinciales.

Cette n�gation des droits civiques et politiques se fait arbitrairement, ill�galement et en violation de la foi internationale de la puissance conqu�rante, car la r�ception et l'application locales de lois p�nales �trang�res, adopt�es contre les catholiques anglais au XVIe s, se fait dans la contradiction compl�te des lois fondamentales de la colonie. De plus, au m�pris complet de leurs propres principes constitutionnels, les autorit�s de Whitehall mettent en place un gouvernement dictatorial et laissent subsister la plus grande confusion possible sur l'�tat du droit applicable dans la colonie. Les nouveaux sujets de Sa Majest� sont trait�s sans m�nagement, comme des �trangers et des ennemis potentiels du gouvernement. Suscitant par ailleurs un conflit artificiel et juridiquement non fond� autour du serment d'all�geance, tout est mis en place pour �carter toute forme d'int�gration des nouveaux sujets de sa Majest� dans la nouvelle organisation constitutionnelle et administrative de la Nouvelle-�cosse. D�savouant ses engagements solennels, et privil�giant le r�gne de la force � celui du droit, Sa Majest� choisit finalement de gouverner en usurpateur et non en souverain l�gitime de sa nouvelle conqu�te.(2)

Un serment d'all�geance sollicit� sous la menace et la contrainte

La lutte entourant la question du serment prend tr�s t�t une v�ritable dimension constitutionnelle. Les Acadiens tiennent � tout prix � ce que les lois fondamentales de la colonie, explicitement octroy�es par le Trait� d'Utrecht et l'instruction sp�ciale de la reine Anne, leur soient confirm�es � l'occasion de la prestation du serment d'all�geance. D'o� l'inqui�tude qu'ils ressentent � souscrire sans r�serve � un serment d'all�geance erron�ment qualifi� d'absolu. En fait, il y a m�prise grave sur le sens attribu� au qualificatif absolu. Lorsqu'il associe l'�pith�te absolue au serment d'all�geance, le droit anglais de l'�poque ne fait que pr�ciser, dans l'espace et le temps, l'obligation de fid�lit� du sujet � l'endroit de son souverain. L'obligation de fid�lit� du sujet est absolue dans l'espace et le temps, en ce sens que l'�loignement des fronti�res et le passage du temps ne peuvent amoindrir ni affaiblir ni alt�rer l'obligation de fid�lit� du sujet � l'endroit de son souverain. En voici un exemple purement fictif. Un tout jeune enfant, n� dans le Cheapside, suit ses parents qui choisissent de quitter Londre pour immigrer � Paris et ce, sans id�e de retour. �lev� et �duqu� � Paris, ce jeune " fran�ais " choisira peut-�tre de faire carri�re au sein de l'arm�e fran�aise. Puis, pr�s de 50 ans apr�s avoir quitt� son pays de naissance, une guerre �clate entre la France et l'Angleterre. Si, � la suite d'un combat, il est par malheur fait prisonnier par une arm�e anglaise, il ne pourra �tre l�galement trait� en prisonnier de guerre, et sera accus� de haute trahison � l'endroit de son souverain d'origine. Il aura le privil�ge d'�tre jug� par ses pairs anglais et, reconnu coupable, il sera pendu s'il est roturier, ou d�capit� s'il est noble. C'est en ce sens uniquement que l'obligation d'all�geance peut �tre qualifi�e d'absolue puisqu'elle persiste, parfaite et enti�re, malgr� l'�loignement dans l'espace et le passage du temps.

Les autorit�s exploitent la m�prise des Acadiens

Dans ce conflit de nature constitutionnelle provoqu� par les autorit�s anglaises, les Acadiens croient, � tort, qu'un serment d'all�geance absolue constituerait un engagement solennel de se soumettre, sans r�serve, � tout ordre provenant de Sa Majest� ou de l'un de ses fonctionnaires autoris�s. Cette conception est totalement erron�e puisque, Sa Majest�, elle-m�me tenue de se conformer � la loi, ne pouvait ordonner que des actes autoris�s par la loi. Pendant pr�s de 42 ans, les autorit�s tant locales que m�tropolitaines vont exploiter � outrance la m�prise des Acadiens sur le sens du mot absolu associ� au serment d'all�geance afin d'entretenir un climat de r�pression morale et de chantage, lequel conna�t son d�nouement final dans l'inqualifiable d�cision du 28 juillet 1755 d'exiler tous les habitants fran�ais de la colonie et de confisquer, sans aucun souci de l�galit�, leurs terres et tous leurs biens au profit de Sa Majest�. Cette d�cision est non seulement brutale, cruelle et arbitraire, mais elle n'a pas la moindre apparence de l�galit�. D�j� priv�s ill�galement de tous leurs droits civiques et politiques depuis la cession forc�e de leur province, les Acadiens, de par la d�cision du 28 juillet 1755, se voient, juridiquement et de ce fait, d�pouill�s civilement de leur qualit� d'hommes et de citoyens. Rabaiss�s au niveau de b�tail humain, le gouvernement de la Nouvelle-�cosse dispose souverainement d'eux avec tous les exc�s qu'un propri�taire intransigeant peut exercer sur ses objets, son b�tail, ses esclaves. Leur common law �tant de sa nature un syst�me juridique incertain et retardataire, les Anglais ont, de toutes �poques, �prouv� une singuli�re difficult� � distinguer les attributs de la puissance publique des simples attributs de la propri�t� de la terre. La d�cision du 28 juillet 1755 en constitue un exemple patent et infiniment tragique.

Un serment est une s�ret� personnelle

Une seconde pr�cision juridique s'impose quant � la m�prise au sujet du serment d'all�geance. (3) Un tel serment n'a jamais eu pour objet de " cr�er " une obligation de fid�lit� du sujet � l'endroit de son souverain. L'obligation de fid�lit�, elle, na�t uniquement de la loi et est limit�e dans ses applications par la loi. � la suite du Trait� d'Utrecht, les Acadiens sont devenus de nouveaux sujets de Sa Majest� britannique, et ce, par la seule et unique op�ration de la loi, mais non en cons�quence des serments auxquels on leur a demand� de souscrire � plusieurs reprises. C'est la loi, seule, qui fait d'une personne un sujet, et c'est elle seule qui �tablit l'obligation de fid�lit� et en d�limite l'�tendue. Le serment d'all�geance, lui, est uniquement un accessoire de l'obligation de fid�lit� d�coulant du fait d'�tre le sujet d'un souverain. Le seul r�le du serment d'all�geance est de constituer une s�ret� personnelle et morale garantissant l'ex�cution des obligations d�coulant du devoir d'all�geance ou de fid�lit�. Par exemple, lorsque quelqu'un emprunte de sa banque un montant de 50 000 $ pour s'acheter une maison, il s'oblige essentiellement � rembourser ce montant, plus les int�r�ts. Et l'hypoth�que qu'il consent alors � l'institution financi�re n'est qu'une garantie r�elle pour rassurer le cr�ancier en cas de d�faut de paiement. En ce sens, le serment d'all�geance constitue une garantie, une s�ret� personnelle, donn�e au cr�ancier de l'obligation de fid�lit� pour le rassurer. En pr�tant serment, le d�biteur de l'obligation de fid�lit� prend Dieu � t�moin de la sinc�rit� de sa foi et lui demande de le juger et de le punir s'il vient � manquer � son obligation de fid�lit� � l'endroit de son souverain. Il est encore important de le rappeler, seule la loi cr�e l'obligation de fid�lit�, le serment, lui, n'est qu'une garantie personnelle quant � sa parfaite ex�cution.

Un serment ne se pr�te qu'une seule fois

En outre, l'intervention de Dieu comme t�moin du serment, et comme juge en cas de d�faut, explique pourquoi un serment ne peut �tre pr�t� qu'une seule fois. � partir du moment o� Dieu consent � agir comme t�moin et qu'il s'engage � juger et � punir personnellement le principal int�ress� en cas de d�faut, il ne faut pas pousser l'outrecuidance � son extr�me limite en allant jusqu'� mettre en doute la bonne foi de Dieu lui-m�me. En harcelant les Acadiens pendant pr�s de 45 ans sur la question du serment, en exigeant sa r�p�tition, en s'interrogeant sur le sens exact des mots, en s'inqui�tant m�me sur la place des virgules dans le texte, en prof�rant lib�ralement une litanie de menaces pour obtenir une autre forme de serment qui, enfin, pourrait les tranquilliser, on peut se demander si les autorit�s anglaises ne sont pas victimes d'une crise de confiance qui visait Dieu lui-m�me.

Dans la mesure o� ni l'intervention de Dieu ni le caract�re sacr� du serment ne peuvent les rassurer de quelque fa�on, il n'est pas si �tonnant de voir les autorit�s anglaises chercher � inverser les r�les et � se convaincre qu'ils sont, eux, les v�ritables victimes des actes de perfidie, de trahison et de r�bellion des Acadiens. La d�cision du 28 juillet 1755 constitue le point culminant o� ces victimes imaginaires se d�cident � �radiquer le mal acadien de la province au profit des int�r�ts sup�rieurs de l'Empire. Le colonel Robert Monckton, l'officier le plus haut grad� de la colonie, se voit donc confier la t�che d'exiler ou d'exterminer, par la force et la violence, la totalit� de la population d'origine fran�aise de la province de Nouvelle-�cosse.

Les premiers faits d'armes du colonel Monckton

Il vaut sans doute la peine de pr�ciser que les " ennemis " qu'on lui demandait d'expulser et d'exiler dans des conditions pitoyables sont non seulement d'authentiques sujets de Sa Majest� britannique, mais des civils pacifiques, non arm�s, et compos�s de tous les �ges de la soci�t�, y incluant, bien entendu, des enfants, des malades, des invalides et des personnes �g�es. Le lieutenant-gouverneur de la province autorise express�ment tous ses officiers, pour arriver � leurs fins, � recourir aux mesures les plus rigoureuses qui soient, non seulement pour obliger les victimes � monter sur les navires devant les transporter dans des pays �trangers, mais pour �viter qu'ils puissent s'�chapper et trouver refuge � quelqu'endroit que ce soit. � cette fin, les officiers sont express�ment autoris�s � recourir � des mesures d'extermination, c'est-�-dire incendier toutes les maisons et d�truire pr�ventivement tous les moyens de subsistance et de fuite dont pourraient se servir d'�ventuels fuyards. Et c'est exactement ce que mit en �uvre le colonel Monckton, et ce, sur une p�riode s'�talant sur plusieurs ann�es. D�s le 14 ao�t 1755, les capitaines Lewis et Willard et leurs hommes, sur les ordres personnels du colonel Monckton, entreprennent de d�vaster syst�matiquement toute la c�te est, du c�t� de �le St-Jean. Toutes les maisons, granges, b�timents, moulins, bateaux et cano�s sont ras�s, incendi�s. Rien ne doit subsister qui pourrait �tre de quelque secours � la survie de fuyards �ventuels. L'objectif n'est pas seulement de vider toute la Nouvelle-�cosse de sujets dont le gouvernement ne veut plus, mais de les d�sint�grer, en tant que groupe humain et politique, en les distribuant individuellement et, le plus souvent, en les s�parant de leurs familles, dans toutes les colonies am�ricaines de la Grande-Bretagne.

Monckton est autoris� � flouer les Acadiens

En ce qui concerne la fa�on de rassembler les Acadiens et de les emprisonner en attendant les transports, le colonel Monckton est autoris� � utiliser tout stratag�me de nature � les flouer. Et c'est ce qu'il fait. Sous pr�texte de leur annoncer de bonnes nouvelles concernant leurs titres de propri�t�, le colonel Robert Monckton convoque tous les chefs de famille � une r�union d'information, tenue � Beaus�jour le 11 ao�t 1755. Ne se m�fiant aucunement du traquenard qui leur est tendu, plus de 400 chefs de famille se pr�sentent au rendez-vous. Finalement, lorsqu'ils sont rassembl�s, les portes du Fort Beaus�jour sont referm�es derri�re eux. Ils sont alors inform�s qu'ils sont d�clar�s rebelles et que, pour cette raison, leurs terres, leurs maisons et leurs bestiaux sont enti�rement confisqu�s au profit du tr�sor de Sa Majest�. Pour apaiser un peu leur d�tresse, le colonel Monckton les informe qu'ils seront d�port�s � l'�le Royale, alors possession fran�aise. Ceci est pourtant tout ce qu'il y a de plus faux, mais il lui fallait bien trouver un moyen, avant l'arriv�e des transports, de ma�triser et de calmer tous ces gens stup�fi�s, totalement d�sesp�r�s. Par la suite, le colonel Monckton envoie ses hommes parcourir tous les villages de la r�gion pour se saisir de tous les gar�ons au dessus de 16 ans. C'�tait l� le tout d�but d'un processus �tatique d'�radication, de destruction et de liquidation de ses propres citoyens de la part du gouvernement de la Nouvelle-�cosse, processus qui allait se poursuivre sur une p�riode de huit ans avec une rigueur et une violence inou�es. Au cours de l'automne 1755, des proc�d�s identiques sont mis en �uvre � Grand-Pr�, Pigiquit, Annapolis-Royal et Cap-de-Sable, mais ce sont d'autres officiers de Sa Majest� qui en ont la t�che.

Le projet initi� � l'automne 1755 de rafler tout le monde en une seule op�ration et de faire dispara�tre � jamais la communaut� acadienne n'est, au mieux, qu'un demi succ�s. Beaucoup de gens r�ussissent � s'�chapper et � trouver refuge dans les bois, parfois avec l'aide des indiens Micmacs, d'o� la mise en branle d'une traque infernale, d'une chasse � l'homme sans merci qui va se prolonger pendant pr�s de huit ans contre cette population d�munie, d�sarm�e, terroris�e.

Sa Majest� tient boucherie en Acadie

Pour stimuler l'ardeur et le z�le des soldats de Sa Majest� dans cette chasse aux innocents, le gouvernement de la Nouvelle-�cosse adopte, le 14 mai 1756, une proclamation offrant des r�compenses fort lucratives pour la capture et la remise de prisonniers ou, le cas �ch�ant, le d�p�t de scalps. Ces r�compenses sont pay�es sans d�lai sur livraison de prisonniers ou de scalps � tout fort de Sa Majest� dans la province. Compte tenu que la solde annuelle d'un soldat s'�tablissait au plus � 14 �, une r�compense de 25 � par chevelure lev�e constituait une horrible prime au rendement pour exciter, chez les militaires, une v�ritable boucherie contre un peuple d'innocents. Il n'existe pas de chiffres ni de compilation pour se faire une id�e des sommes totales pay�es par le gouvernement de la Nouvelle-�cosse pour son programme de lev�es de chevelures, mais il y a des cas �loquents rapport�s par des t�moins de l'�poque qui nous donnent une id�e de l'ampleur du carnage. Par exemple, un officier du nom de Huston, rattach� � la direction du tr�sor militaire, se voit contraint de payer, pour une seule livraison de chevelures, la somme de 1250 � � un groupe de Rangers. Fort scandalis� de la chose et ne d�sirant pas donner suite � la demande, l'officier se fait r�pondre par son sup�rieur qu'il n'a qu'� ob�ir � la loi et � payer le montant d� pour la livraison de chevelures. Quelques ann�es plus tard, le sup�rieur en question, le colonel Montague Wilmot, sera promu gouverneur de la Nouvelle-�cosse. Quant � la proclamation en cause, si son application finit par tomber en d�su�tude, il n'existe � l'heure actuelle aucune information disponible � l'effet qu'elle aurait �t�, par la suite, abrog�e � quelque moment que ce fut. Avis, toutefois, aux atavistes de chevelures lev�es, ces primes n'ont vraisemblablement jamais �t� index�es.

Les activit�s d'extermination se syst�matisent

� l'automne 1755, les Acadiens constatent et apprennent que le gouvernement de la Nouvelle-�cosse a express�ment ordonn� aux militaires anglais de faire usage des moyens les plus rigoureux pour les exiler de leur province et, au besoin, les exterminer sans merci. En mai 1756, ils apprennent que leurs chevelures se paient 25 � comptant � tout fort du gouvernement provincial. Terroris�s par ce gouvernement dont la toute premi�re raison d'�tre est pourtant de les prot�ger, les Acadiens s'enfoncent et se cachent dans les for�ts de leur province pour leur survie. Beaucoup essaient d'atteindre le territoire actuel du Nouveau-Brunswick en restant au c�ur des for�ts, �vitant les sentiers ou les chemins o� ils risqueraient leur vie en se faisant surprendre par des soldats de leur gouvernement, toujours int�ress�s par les horribles primes au rendement. Sans provisions, sans armes, voyageant p�niblement en famille avec des enfants, des gens �g�s, des malades, leur d�tresse est extr�me. Beaucoup meurent en chemin. Les Acadiens, pourtant des sujets, entiers et parfaits, de Sa Majest� britannique, se voient traqu�s dans tous les recoins de leur province et pourchass�s � mort par des officiers � la solde de leur propre gouvernement. Il n'existe plus aucune protection l�gale, aucune restriction morale, aucune autorit� publique pour leur garantir ne serait-ce que le simple droit � la vie. � l'�t� 1756, le colonel Robert Monckton fait partie de ceux qui organisent et ex�cutent des battues g�n�rales et qui r�pandent la terreur, la d�vastation et la mort au sein de la communaut� acadienne en �tat de d�sint�gration avanc�e. Ce n'est pas une guerre contre des ennemis arm�s qu'il m�ne, mais une traque aux innocents qui courent d�sesp�r�ment pour leur survie.

� l'�t� 1757, le colonel Robert Monckton entreprend, cette fois, de ravager le secteur de la rivi�re St-Jean. � la t�te d'une troupe de 300 soldats, il m�ne des battues, attaque des villages de r�fugi�s, incendie les cabanes, d�truit les stocks de poissons, d�truit les filets et les agr�s de p�che, ainsi que les v�tements et tout ce qui peut �tre de quelqu'utilit� � la survie de r�fugi�s pourtant si d�munis. Il conduit avec succ�s son impitoyable campagne d'extermination g�n�rale. Les femmes captur�es sont outrag�es, fustig�es et souvent battues � mort par les soldats. Et, s'il s'en trouve d'avoir la chance d'�tre ramen�es vivantes, elles sont livr�es au gouvernement de la Nouvelle-�cosse, pour �tre exil�es � jamais dans les colonies am�ricaines ou en Angleterre et, pour beaucoup, sans espoir de revoir un jour leurs proches ou leurs parents.

Des d�vastations de grande envergure apr�s la chute de Louisbourg

L'ann�e 1758 est infiniment plus terrifiante et d�sastreuse que la pr�c�dente. Le 26 juillet, les autorit�s fran�aises de Louisbourg capitulent et c�dent la forteresse au g�n�ral Amherst, de m�me que les territoires encore sous juridiction de la Couronne de France, c'est-�-dire l'�le St-Jean et le territoire actuel du Nouveau-Brunswick. Imm�diatement, et ce, en violation absolue du droit coutumier reconnu et respect� par l'ensemble des nations dites civilis�es, Son Excellence le g�n�ral Amherst charge le colonel Andrew Rollo d'exiler toute la population civile de l'�le St-Jean, soit environ 3 500 personnes. Toute cette population est traqu�e, puis embarqu�e sur neuf navires en direction de Liverpool o� elle sera tenue prisonni�re jusqu'� la conclusion du Trait� de Paris en 1763. Deux de ces b�timents, v�tustes et dangereux, sont abandonn�s en pleine mer par leurs officiers anglais, avant de sombrer avec leur cargaison acadienne.

� Son Excellence le g�n�ral James Wolfe, le g�n�ral Amherst confie la mission de pourchasser, de d�busquer et de d�truire toutes les tentatives d'installation de r�fugi�s dans la Gasp�sie. L'entreprise d'extermination s'av�re l� aussi un succ�s complet. Dans son rapport du 30 septembre 1758 au g�n�ral Amherst, Wolfe �crira : " Nous avons fait beaucoup de mal, nous avons port� la terreur des armes de Sa Majest� dans toute l'�tendue du Golfe, mais nous n'avons rien ajout� � sa gloire ". Comment ne pas rappeler ici la critique acerbe que Sir Thomas More adressait � son �poque au souverain de son pays : " � nos princes ne songent qu'� la guerre. Ils n�gligent les bienfaits de la paix. S'agit-il de conqu�rir de nouveaux royaumes, tout moyen leur est bon : le sacr� et le profane, le crime et le sang, rien ne les arr�te. En revanche, ils s'occupent fort peu de bien administrer les �tats soumis � leur domination. " (4)

Et � notre h�ros, jusqu'� ce jour injustement honor� par la Ville de Qu�bec, Son Excellence le g�n�ral Amherst donne le mandat, � l'automne 1758, d'expurger la partie m�ridionale du territoire actuel du Nouveau-Brunswick des fuyards acadiens qui se traquent dans les for�ts. Le colonel Robert Monckton confie au lieutenant-colonel Scott et au capitaine Dank le soin de d�vaster tous les abords de la baie de Shepody et de la rivi�re Petitcodiac. Avec une force de mille hommes, les deux officiers rasent sans rencontrer la moindre r�sistance trois villages, puis remontent la rivi�re, en faisant r�gner partout la terreur implacable des armes de Sa Majest�, c'est-�-dire en br�lant les cabanes des r�fugi�s, en d�truisant les stocks de vivre et les �quipements de p�che, et en rasant tout ce qui pouvait avoir quelqu'utilit� pour la survie d'une population civile tant d�munie. Donc, l� aussi, une impitoyable campagne d'extermination totalement r�ussie. Se pr�valant des avantages de la Proclamation du 14 mai 1756, les soldats de Sa Majest� l�vent des chevelures acadiennes qu'ils vont �changer dans les forts de la Nouvelle-�cosse pour 25 �/pi�ce.

La terreur sur les rives de la rivi�re St-Jean

Le colonel Robert Monckton, avec une force de 3 000 hommes et 18 vaisseaux, entame une autre op�ration de d�vastation de grande envergure sur la rivi�re Saint-Jean et qui va durer du 18 septembre au 19 novembre 1758. Une fois de plus, c'est la politique de d�vastation et de la terre br�l�e contre une population innocente, terroris�e, affam�e, totalement d�munie. La destruction est totale, de chaque c�t� de la rivi�re et sur une distance d'environ 70 milles. Deux villages, ceux de Grimrose et de Villeray, sont enti�rement d�truits. Le colonel Monckton fait pourtant peu de prisonniers. Les Acadiens pr�f�rent toujours s'enfoncer davantage dans les for�ts et y mourir de froid, de faim et de mis�re, plut�t que d'exposer leurs chevelures � la soldatesque sanguinaire et brutale de Sa Majest�. Personne ne pourra jamais �tablir combien de centaines ou de milliers d'Acadiens ont p�ri des suites de cette op�ration infernale d'extermination qui ne visait manifestement aucun objectif militaire. Le seul objectif �tait de d�truire un peuple � qui l'on avait supprim� le simple droit d'exister.

La destruction sur la rivi�re St-Jean ne devait pas s'arr�ter l�. Apprenant que des Acadiens sont encore en train de se reconstituer un village � un lieu d�nomm� Sainte-Anne, Robert Monckton remet sa machine de desdestruction en marche en f�vrier 1759. Un d�tachement surprend le village dans la nuit du 19 f�vrier. Six Acadiens seulement sont ramen�s prisonniers, les autres r�ussissant � s'enfuir en pleine for�t, sans v�tement, sans �quipement, sans provision. Une centaine de maisons et de b�timents sont incendi�s. Les vivres et les animaux sont d�truits. L'�glise est incendi�e. Les habitants, toujours plus d�munis, doivent, au p�ril de leur vie, s'enfoncer plus loin dans la for�t. En fait, c'est la mort par le froid, la faim et la d�tresse qui attend ces malheureuses victimes. La terreur des armes royales continue � frapper aveugl�ment des sujets innocents de Sa Majest�. Le capitaine John Knox ne pouvait-il mieux traduire les sentiments ou la volont� de Sa Majest� lorsqu'il �crivait dans son journal : " Pour extirper l'ennemi [acadien] de cette province, on a pris les mesures les plus rigoureuses; on veut lui enlever � tout jamais le moyen de faire quelque figure en cette partie du monde ". Peut-on imaginer aveu plus franc et plus direct d'une volont� bien arr�t�e d'exterminer en entier une population civile, condamn�e arbitrairement et sans justification l�gale par son propre gouvernement, et scandaleusement trahie par la Cour supr�me de la colonie.

Monsieur de Monckton transporte la terreur � Qu�bec

� l'�t� 1759, le colonel Robert Monckton, pass� sous les ordres du g�n�ral James Wolfe, se transporte, cette fois-ci, � Qu�bec pour le si�ge de la ville. Au m�pris des principes du droit coutumier qui interdisent formellement de s'en prendre � des cibles civiles, le g�n�ral Wolfe d�cide tout de m�me de formuler et de mettre � ex�cution une politique d'extermination et de la terre br�l�e en aval de la ville de Qu�bec, et ce, sur chaque c�t� du Saint-Laurent. C'est � un officier tr�s exp�riment� en semblable mati�re quand le g�n�ral Wolfe s'adresse au colonel Robert Monckton pour d�truire toutes les maisons, les b�timents, les r�coltes de la population civile, de L�vis jusqu'� la rivi�re Ouelle. Les victimes de tels actes cruels, arbitraires et ill�gaux, vont souffrir des ann�es de mis�re avant de pouvoir r�cup�rer mat�riellement et moralement d'une inutile destruction de leurs biens, laquelle ne visait strictement aucun objectif militaire.

Pour se faire une id�e de l'�tat de pr�m�ditation criminelle et du m�pris total des r�gles de droit applicables aux bellig�rants, il est fort �clairant de lire ce passage d'une lettre que le g�n�ral Wolfe �crit � son coll�gue Amherst � la fin mai 1759, lors du voyage qui devait le conduire d'Halifax � Qu�bec pour entreprendre le si�ge de cette ville : " Si nous nous apercevons que Qu�bec ne semble pas vouloir tomber entre nos mains (tout en pers�v�rant jusqu'au dernier moment) je propose de mettre la ville � feu avec nos obus, de d�truire les maisons tant en haut qu'en bas de la ville, d'exp�dier le plus de Canadiens possible en Europe et de ne laisser derri�re moi que famine et d�solation. Belle r�solution tr�s chr�tienne! Mais nous devons montrer � ces sc�l�rats � faire la guerre comme des gentils-hommes� "

Voil� un aveu suppl�mentaire fort explicite d'une intention criminelle et pr�m�dit�e de violer syst�matiquement les r�gles du droit coutumier applicables � tous les bellig�rants, de se placer au-dessus de tout principe moral et au-del� des limites de toute conscience humaine pour arriver � ses fins, c'est-�-dire acqu�rir, par la force et la violence, de nouveaux territoires pour le profit de l'Empire. Et comme l'a exprim� avec tant d'� propos le chancelier Thomas More : " S'agit-il de conqu�rir de nouveaux royaumes, tout moyen leur est bon : le sacr� et le profane, le crime et le sang, rien ne les arr�te. "

Les conqu�rants de Qu�bec n'oublient pas les Acadiens

Apr�s la capitulation de Qu�bec, un autre forfait met en lumi�re la d�termination in�branlable des autorit�s de ne laisser aucun r�pit aux Acadiens et de les d�truire en tant que peuple. S'adressant au colonel Monckton, 200 Acadiens sans feu ni lieu lui demandent une autorisation �crite d'aller se r��tablir le long de la rivi�re St-Jean. L'autorisation octroy�e, les malheureux entreprennent sans d�lai un voyage de 600 milles qui dure jusqu'� la fin novembre 1759. Ext�nu�s et �puis�s apr�s un si dur voyage, ils se font r�pondre, d�s leur arriv�e, que le colonel Monckton a certainement voulu parler d'une autre rivi�re St-Jean. R�ponse stup�fiante ! Qui connaissait mieux la rivi�re St-Jean que le colonel Monckton ? C'�tait vraisemblablement un autre pi�ge dans lequel �tait tomb� ce groupe d'Acadiens. Ils sont arr�t�s sur le champ, livr�s au gouvernement de la Nouvelle-�cosse, puis exp�di�s en Angleterre.

La capitulation de Montr�al fournit une autre occasion de constater � quel point l'obsession anglaise de d�truire les Acadiens en tant que peuple est opini�tre. Dans le projet de capitulation pr�par� et transmis � Son Excellence le g�n�ral Amherst, le gouverneur Vaudreuil demande, � l'article 39 : " � qu'aucun Fran�ais, restant au Canada, ne sera transport� dans les colonies anglaises ni en Angleterre " R�ponse du g�n�ral Amherst : " Accord�, sauf � l'�gard des Acadiens. "

� l'article 54 du m�me acte : " Les officiers, les militaires et les Acadiens prisonniers en Nouvelle-Angleterre seront renvoy�s en leur pays. " R�ponse du g�n�ral Amherst : " Accord�, � la r�serve des Acadiens ".

R�f�rant au sort que les autorit�s r�servaient � la population acadienne, les mots du capitaine Knox sont encore probablement les plus r�v�lateurs : " � on veut lui enlever [au peuple acadien] � tout jamais le moyen de faire quelque figure en cette partie du monde ". � l'�tude des faits, force est de constater que ces conqu�rants du Canada ne connaissent et ne reconnaissent que le r�gne de la force et de la violence. Ils pratiquent syst�matiquement la cruaut� et la destruction pour le seul plaisir de d�truire. Ils font r�gner la terreur partout, m�prisent souverainement le droit et se placent sans aucune g�ne par de l� le bien et le mal. Ils ne se reconnaissent des devoirs qu'� l'�gard de leurs �gaux, c'est-�-dire leurs semblables de l'humanit� anglo-saxonne. Ils sont trop imbus et convaincus de leur sup�riorit� morale et intellectuelle pour seulement admettre qu'ils sont eux aussi de simples citoyens de la communaut� universelle du genre humain. �lus de Dieu, semble-t-il, pour combattre universellement les forces du mal, ils partagent collectivement l'illusion de d�tenir le privil�ge d'imposer, par tous moyens, les lumi�res de la civilisation au restant de l'humanit�.

Qualification juridique des faits

Tous ces gestes que nous venons de rappeler constituent, � l'�poque o� ils sont pos�s, des actes criminels. Ceci, tant en vertu du droit anglais qu'en vertu du droit de la nature et des nations reconnus et appliqu�s par l'ensemble des nations europ�ennes. Tous les grands auteurs de l'�poque, de Grotius � Burlamaqui et Vattel, et sans omettre Puffendorf, enseignent que non seulement toute guerre doit �tre juste, mais que les parties bellig�rantes sont strictement limit�es dans le choix des moyens et des m�thodes de conduire la guerre. La premi�re de toutes ces r�gles fondamentales est de distinguer entre combattants et populations civiles. Au XVIe s, l'auteur espagnol Vitoria, affirme d�j� que l'innocent est tout homme qui ne porte pas les armes. Le droit coutumier est absolument clair sur ce point que les combattants ne peuvent viser que des cibles militaires et que, en cas de cession de territoire ou de souverainet�, les habitants ne peuvent d'aucune fa�on �tre affect�s dans leurs droits de propri�t� ni restreints dans l'exercice de leurs droits civils. Au XVIIIe s, l'Angleterre, n'�prouvant aucune g�ne � se proclamer la nation la plus civilis�e qui n'ait jamais exist� sur cette terre, consid�re que le droit de la nature et des nations fait partie int�grante de sa common law, sous r�serve des principes de droit incompatibles avec des dispositions sp�cifiques de son droit statutaire. (5) En regard du droit coutumier applicable � cette �poque, il importe peu que les Acadiens aient �t� des sujets du roi d'Angleterre ou du roi de France : ils ne pouvaient, l�galement parlant, devenir la cible d'aucune entreprise militaire, et ce, de qui que ce soit. Le gouvernement de la Nouvelle-�cosse leur reproche sans cesse d'�tre perfides, tra�tres et rebelles. Ces trois qualificatifs sont depuis toujours des lieux communs utilis�s pour justifier des mesures p�nales extr�mement s�v�res et discriminatoires contre les catholiques anglais qui, d'ailleurs, ne repr�sentent m�me pas 2% de la population totale de l'Angleterre. La question de la perfidie et de la r�bellion acadienne est une affaire purement imaginaire, invent�e de toute pi�ce et, cons�quemment, sans aucun fondement objectif. Les Acadiens �taient peut-�tre, aux yeux de leurs conqu�rants, � la mauvaise place au mauvais moment, mais ils n'�taient certainement pas des tra�tres ni rebelles. Et aucune preuve s�rieuse n'a jamais �t� avanc�e pour soutenir les accusations extr�mement graves port�es contre eux.

Admettons, cependant, de fa�on uniquement th�orique ou hypoth�tique, que les Acadiens aient �t� un peuple en r�volte contre l'autorit� l�gitime. Que pouvait l�galement faire le gouvernement de la Nouvelle-�cosse pour rem�dier � une telle situation? Si tel avait �t� le cas, la seule mesure autoris�e par le droit de la nature et des nations aurait �t� de les faire surveiller par des troupes arm�es et de nourrir et entretenir ces troupes aux frais des personnes surveill�es. C'�tait la seule mesure l�gale qui aurait pu �tre prise contre les Acadiens si, manifestement, ils avaient constitu� une menace grave et certaine pour la s�curit� de la province. Les Acadiens qui, par ailleurs, avaient fait de leur province une terre d'abondance et de prosp�rit� alimentaires, �taient en mesure de nourrir un nombre important de militaires et ce, pendant longtemps, puisque leurs terres agricoles, conquises sur la mer, ne s'�puisaient pratiquement jamais et assuraient des rendements hors du commun.

Bien que de religion catholique et de langue fran�aise, les Acadiens n'en sont pas moins des sujets, entiers et parfaits, de Sa Majest� britannique. Juridiquement, absolument rien ne peut les distinguer des sujets anglais de Sa Majest�. (6) En vertu du lien d'all�geance unissant sujets et souverain, Sa Majest� a l'obligation l�gale de garantir la s�curit� de tous ses sujets acadiens. Rien, dans le droit constitutionnel anglais, ne peut justifier Sa Majest� de se lib�rer de cette obligation. Et d'ailleurs, � titre d'exemple uniquement, m�me � l'endroit d'un sujet qui serait reconnu coupable d'un crime et d�clar� hors la loi par une d�cision formelle d'un tribunal judiciaire, Sa Majest� aurait encore l'obligation de prot�ger ce sujet puisque le lien d'all�geance, essentiellement personnel, subsiste malgr� tout ostracisme judiciaire et social. Dans un tel contexte l�gal, la d�cision du gouvernement de la Nouvelle-�cosse, avec l'appui des autorit�s m�tropolitaines et la scandaleuse trahison du juge en chef, de les expulser de leurs terres, de confisquer leurs biens, de br�ler leurs maisons et leurs b�timents, de les traquer et de les pourchasser sans merci, de mettre leurs t�tes � prix pour 25�, de les r�duire � l'�tat d'esclavage l�gal, de les garder et de les entasser pendant des mois dans des cales de bateaux am�nag�s uniquement pour recevoir de la marchandise, de les s�parer � tout jamais des membres de leur famille, de les disperser dans des pays lointains, sans aucune aide, au milieu de populations hostiles, doit �tre qualifi�e de crime d'�tat, de crime contre l'humanit� et, en raison du caract�re intentionnel et d�lib�r� de l'entreprise, de g�nocide.

La notion de crime de g�nocide

Le g�nocide et les crimes contre l'humanit� constituent des crimes d'�tat. En droit p�nal international, les auteurs qualifient le g�nocide de crime absolu. Ils consid�rent que ce crime porte atteinte non seulement � l'ordre public interne, mais �galement � l'ordre public international, puisque, ultimement, c'est l'humanit� elle-m�me qui est attaqu�e dans sa dignit�. Ce crime d'�tat est particuli�rement odieux en ce qu'il r�sulte d'une politique pr�m�dit�e de l'�tat de mettre en �uvre un proc�d� radical d'occupation territoriale, �conomique, culturelle ou autre, dans le but arr�t� de cr�er irr�m�diablement, en un territoire donn�, une situation favorable � l'affirmation de la sup�riorit� du groupe dominant, � l'uniformisation de son patrimoine id�ologique et, finalement, � l'imposition irr�versible de son mod�le de soci�t�. M�me si l'expression est relativement r�cente, le crime, lui, ne comporte absolument rien de nouveau. Ce n'est qu'apr�s les carnages indicibles de la deuxi�me Guerre mondiale que des juristes mettent � jour un vocabulaire technique appropri� pour identifier, qualifier et distinguer les formes extr�mes de transgression criminelle de la part des �tats. Le terme g�nocide appara�t, pour la premi�re fois, dans la Convention du 9 d�cembre 1948 pour la pr�vention et la r�pression du crime de g�nocide. L'expression, il va sans dire, ne cr�e pas le crime comme tel, elle ne fait que le qualifier juridiquement afin de le distinguer des autres formes de crimes d'�tat.

Un crime d'intention sp�cifique

Tout g�nocide est forc�ment un crime contre l'humanit�, mais la r�ciproque n'est pas forc�ment vraie. Essentiellement, ce qui les distingue l'un de l'autre, est que le g�nocide est un crime d'intention sp�cifique. Et cette intention est de faire dispara�tre un peuple comme tel, pour ce qu'il est, et non pour ce qu'il fait ou a fait. S'il y a absence de preuve d'intention de faire dispara�tre un peuple ou une communaut� humaine, on ne peut qualifier un crime de g�nocide, peu importe, par ailleurs, la gravit� et l'ampleur des massacres et des carnages qui ont pu �tre commis. Il s'agirait, en ce cas, d'un crime contre l'humanit�, mais non d'un g�nocide, au moins au sens de la convention de 1948. Le crime n'a pas non plus besoin d'�tre imm�diatement ex�cut� ni totalement r�ussi pour �tre qualifi� de g�nocide. Le crit�re d�terminant, essentiel, est l'intention criminelle, mais non pas le succ�s de l'entreprise. Le nombre de victimes n'est pas non plus un crit�re. �videmment, s'il n'y a que quelques victimes, l'intention criminelle sera forc�ment difficile � prouver. L'ampleur des massacres et des carnages n'est pas davantage un crit�re. Rien ne peut se comparer � l'holocauste des Juifs par les nazis. Dans ce cas, il y a eu commission de crimes au premier degr�, ex�cut�s � �chelle industrielle. Dans bien des cas, les g�nocides s'initient par des mesures administratives et discriminatoires, par des d�portations massives de populations civiles, et ex�cut�s dans des conditions insoutenables. Le froid, la faim, la fatigue et la d�tresse ont vite fait de r�gler le sort des plus faibles. M�me si les d�port�s ne sont pas assassin�s au premier degr�, tous les d�c�s qui d�coulent de telles mesures n'en sont pas moins l'�uvre de la main criminelle de l'homme.

Les actes incriminants �taient ill�gaux en 1755

Au-del� des termes et des qualificatifs juridiques, les preuves historiques d�montrent clairement que le peuple acadien a �t� victime d'une succession d'actes criminels pr�m�dit�s, perp�tr�s tant par les autorit�s de la Nouvelle-�cosse qu'avec l'assentiment des autorit�s m�tropolitaines. Tant en vertu du droit anglais que du droit coutumier de l'�poque, tous ces actes perp�tr�s contre les Acadiens sont ill�gaux et gravement criminels. La s�questration arbitraire des notables, � partir du 4 juillet 1755, puis la confiscation et la destruction arbitraire des biens et des propri�t�s, la r�duction � l'esclavage de toute la population, les battues g�n�rales et les chasses � mort contre les fuyards, les assassinats et les lev�es de chevelures, la fustigation, le fouet, le viol et l'assassinat des femmes, l'extermination par la destruction syst�matique des abris et des cabanes de r�fugi�s, de leurs �quipements et de tous les biens indispensables � la survie, l'expulsion forc�e de la colonie dans des conditions horribles, la dissolution des familles, la r�p�tition des m�mes crimes pendant pr�s de huit ans et l'acharnement � vouloir d�truire cette population jusque dans ses ultimes retranchements, constituent autant de preuves de l'intention d�lib�r�e de faire dispara�tre un peuple dans un but essentiellement politique.

Dans le cas acadien, il y a eu certainement commission de crimes contre l'humanit�, mais il y a eu davantage puisque l'intention arr�t�e des autorit�s �tait de faire dispara�tre ce groupe humain, non pour ce qu'il a fait, mais pour ce qu'il �tait. En ce sens, on peut clairement affirmer que le peuple acadien a �t� victime d'un g�nocide.

Une typologie des g�nocides (7)

Qualifier un crime de g�nocide est une entreprise souvent accueillie par de vives critiques. Certains auteurs ont jug� utile de recourir � une classification, ou typologie, afin de faciliter la compr�hension et la qualification du ph�nom�ne. Le recours � un tel instrument facilite surtout la comparaison des ph�nom�nes relativement semblables dans le temps et dans l'espace et, �galement, permet d'identifier les causes qui ont pu provoquer la volont�, chez des gouvernements, d'exterminer des groupes entiers de leurs propres citoyens. D'autres auteurs ont tent� d'expliquer le ph�nom�ne du g�nocide par le concept de surplus de population, puisque, effectivement, bien des gouvernements ont eu recours � l'extermination de segments importants de leurs populations pour �quilibrer leur d�mographie. Inutile d'insister que, en ces cas, les extermin�s n'appartiennent jamais au groupe qui a l'avantage de se maintenir au pouvoir. Dans la Nouvelle-�cosse de 1755, il n'y a, � l'�vidence, aucun exc�s ni surplus de population dans la province. Par contre, il se trouve qu'un groupe trouble la qui�tude du gouvernement en place. Bien davantage que l'impardonnable ti�deur des sentiments des Acadiens � l'endroit de sa Majest�, l'�tonnante, l'incomparable prosp�rit� agricole de ce groupe constitue en soi un danger potentiel et une source d'inqui�tude pour des autorit�s qui se soucient, avant toutes choses, de faciliter l'expansion territoriale de l'Empire. O� a-t-on d�j� vu une population agricole produire des surplus alimentaires remarquables, ann�e apr�s ann�e, et ce, sans jamais d�faillir ? Et cette population, bien que maintenue dans un �tat d'incapacit� l�gale et priv�e de tous droits civiques et politiques, continue � cro�tre naturellement, � prosp�rer et � conqu�rir sans rel�che sur la mer des terres d'une exceptionnelle fertilit�. Non seulement les Acadiens ont-ils appris � dominer la mer, mais leur habilet� � ex�cuter de grands travaux en communaut� leur donne une efficacit� �tonnante dans leur entreprise pour transformer cette mer hostile et dangereuse en champs fertiles et pratiquement in�puisables. Rien ne peut laisser croire � un ralentissement de cette vigoureuse et fructueuse conqu�te sur la mer. Les Acadiens mangent gras, font beaucoup d'enfants et vivent vieux. Le hic, la question, n'est toutefois pas que les Acadiens aient mis au point un proc�d� exceptionnel et sans pr�c�dent de production de surplus alimentaires. Le hic est qu'une puissance rivale puisse un jour prendre pied sur ce territoire, s'y installer confortablement et dominer un emplacement strat�gique au c�ur de l'Empire britannique. Jamais le gouvernement de la Nouvelle-�cosse ne se serait souci� de traiter les Acadiens de perfides, de tra�tres et de rebelles s'ils avaient �t� en train de s'�puiser et de mourir de faim sur des terres st�riles. En fait, il n'y a aucun surplus de population en Nouvelle-�cosse en 1755, il y a simplement surplus d'Acadiens qui ne cessent de multiplier les conditions favorables � la production r�guli�re de surplus alimentaires.

Cette question de la richesse alimentaire des Acadiens peut �galement �tre mise en lumi�re et comprise dans le contexte de l'�poque. Partout, de tout temps et � toutes les �poques, les disettes et famines ont s�vi. Les populations pauvres et affam�es ne cessaient de menacer la s�curit� des villes. Au XVIIIe s., en Angleterre, les pauvres repr�sentaient un danger � la paix sociale des privil�gi�s et �taient pendus pour de simples vols de nourriture. Il a fallu attendre le XIXe s, en Europe, pour conna�tre un d�but de s�curit� et de stabilit� alimentaire. Les Acadiens, eux, de fa�on tout � fait inattendue et exceptionnelle, r�alisent dans leur province ce qui n'a �t� r�ussi nulle part ailleurs. Non seulement ont-ils mis fin aux cycles de disettes et de famines dans leur province, mais ils produisent r�guli�rement des surplus alimentaires de bonne qualit� et pour lesquels ils trouvent toujours preneurs. C'est la possession et le contr�le de cette richesse alimentaire qui rend leur neutralit� inqui�tante aux yeux des autorit�s coloniales, toujours plus int�ress�es � deviser sur des projets d'expansion territoriale qu'� se soucier du bien-�tre de ses propres citoyens.

Le peuple �lu de Dieu � la conqu�te du monde

Au XVIIIe s., l'�dification et l'agrandissement d'un empire colonial est au c�ur m�me du mythe de la nation sup�rieure et privil�gi�e, �lue de toute �ternit� pour la primaut� et la propagation universelle de la civilisation. Rien ne semble pouvoir contrecarrer l'�lan de cette mission sacr�e qui donne tout son sens � la nouvelle identit� nationale des Britanniques. Toutefois, parall�lement au mythe de la nation privil�gi�e, �lue et civilisatrice, se d�veloppe son sordide corollaire, soit celui des cheap races, mythe qui va tant fl�trir et assombrir les pr�tentions de cette mission civilisatrice pendant tout le XIXe s. et ce, m�me jusqu'� l'aube de la deuxi�me Guerre mondiale. En fait, ce mythe de la nation �lue et sup�rieure constitue d�j� un hymne � la gloire, � la grandeur et � l'�nergie de l'humanit� anglo-saxonne dispensant, par la force et la violence, la justice, la paix et la libert� tout autour du globe.

Bien que profond�ment engag�e dans une entreprise d'expansion et de conqu�te coloniale, l'Angleterre a pourtant gravement et syst�matiquement manqu� � ses obligations les plus �l�mentaires � l'endroit des populations vaincues et soumises � sa domination militaire et politique. Jamais, par exemple, elle n'a adopt� la moindre politique coloniale coh�rente pour encadrer le travail des fonctionnaires coloniaux et m�tropolitains. Jamais le parlement de Westminster n'a adopt� de loi-cadre pour baliser et contr�ler les pouvoirs de la Couronne en mati�re d'administration coloniale. Rarement des questions de droit colonial n'ont �t� entendues et tranch�es � la Cour de Westminster Hall. En 1713, ann�e de la cession de l'Acadie, il n'y avait qu'une seule d�cision judiciaire, d'environ une quinzaine de lignes, portant sur le droit colonial.(8) En 1755, aucune autre d�cision judiciaire ne s'�tait ajout�e � celle qui existait en 1713. Aucun trait� syst�matique portant sur le droit de la nature et des nations n'a encore �t� �crit par un juriste anglais. Pis encore, des auteurs suppos�ment cr�dibles et s�rieux soutenaient m�me qu'il serait choquant pour l'esprit humain de pr�tendre octroyer le b�n�fice des libert�s anglaises � des inf�rieurs et � des �trangers, c'est-�-dire � des populations incapables d'en appr�cier la juste valeur. Manifestement, seuls les Anglais, appartenant � l'humanit� anglo-saxonne, pouvaient pr�tendre � la protection constitutionnelle des lois et des tribunaux.

La cour supr�me de la Nouvelle-�cosse recommande l'ex�cution du crime

Lors des �v�nements tragiques de 1755, les Acadiens, totalement priv�s de leurs droits civiques et politiques depuis la cession de leur province, n'ont b�n�fici� en aucune fa�on de la protection ni du droit public interne ou du droit de la nature et des nations. Ils sont cruellement et arbitrairement condamn�s, et ce, scandale inou�, m�me par la Cour supr�me de leur province. Si le gouvernement de la Nouvelle-�cosse craignait, sinc�rement et s�rieusement, pour la s�curit� de la colonie, il aurait pu y pourvoir en recourant � des m�thodes �nergiques, non bassement ill�gales, inhumaines et aux effets irr�versibles. Il aurait pu se limiter � briser l'�lan des Acadiens � conqu�rir leurs terres sur la mer, les r�installer graduellement dans les hautes terres, les intimider, proclamer la loi martiale, leur faire des proc�s sommaires, confisquer une partie de leurs biens, les taxer lourdement, etc. Le gouvernement a plut�t opt� pour la mesure la plus radicale et la plus irr�versible qu'on puisse imaginer. De plus, il a explicitement insist� aupr�s de ses officiers afin qu'ils fassent usage des moyens les plus rigoureux pour arriver � leurs fins.

Les battues g�n�rales, les chasses � l'homme jusque dans les coins les plus recul�s, les mesures d'extermination, l'usage de proc�d�s absolument barbares, les assassinats, les viols, l'acharnement � reproduire et � continuer les m�mes proc�d�s pendant plusieurs ann�es, m�me apr�s la chute de Qu�bec et de Montr�al, sont autant de preuves d'une volont� in�branlable d'�radiquer toute pr�sence acadienne de cette partie du monde. Tout �a, parce que ce peuple agricole, �tonnamment prosp�re, ne pouvait garantir � Sa Majest� que ses richesses alimentaires ne tomberaient jamais en d'autres mains.

Selon la typologie propos�e par le professeur Dadrian, et adopt�e par plusieurs auteurs, il s'agit d'un g�nocide optimal. Et cette volont� d'extermination est si puissante que m�me les traces de la pr�sence acadienne dans cette province sont supprim�es avec pers�v�rance et acharnement. � peu pr�s tous les b�timents sont ras�s. Leurs archives sont confisqu�es, et elles ne seront jamais retrouv�es. Les archives incriminantes du gouvernement de la Nouvelle-�cosse sont partiellement d�truites. Les archives de Lord Halifax pour cette p�riode sont �galement port�es manquantes. M�me la toponymie des lieux, pourtant d�j� fort ancienne, est totalement �radiqu�e pour effacer toutes traces de la pr�sence acadienne en Nouvelle-�cosse.

Un g�nocide Irlandais sous Cromwell

Parmi tous les g�nocides ordonn�s et autoris�s par le gouvernement anglais pendant sa p�riode d'expansion et de domination coloniales, aucun n'a vis� aussi express�ment la disparition totale d'une population que celui perp�tr� contre les Acadiens. En Irlande, par exemple, quand Oliver Cromwell d�barque pour r�tablir la paix britannique dans l'est de l'�le, des milliers d'Irlandais sont massacr�s. Des milliers d'autres sont exp�di�s aux antipodes comme esclaves. � Drogheda, le 11 septembre 1649, et � Wexford, des populations civiles enti�res sont pass�es au fil de l'�p�e. L'objectif vis� est de terroriser l'ensemble de la population pour l'obliger � se soumettre � l'autorit� anglaise et � reconna�tre les bienfaits de sa civilisation. Malgr� l'ampleur et l'extr�me cruaut� des massacres et des carnages commis contre cette population, le gouvernement anglais n'a jamais cherch� � faire dispara�tre en totalit� le peuple irlandais. Il voulait surtout le terroriser pour l'exploiter plus facilement et forcer les habitants � remettre leurs terres � des propri�taires anglais. Selon la typologie du professeur Dadrian dont nous avons fait �tat plus haut, il s'agit d'un cas de g�nocide punitif ou r�tributif visant � terroriser et � asservir un peuple. La notion de g�nocide n'implique ou n'exige d'ailleurs pas l'intention de d�truire en entier un groupe national donn�.

Une fausse famine en Irlande

Durant les ann�es 1846-1848, la maladie de la pomme de terre se r�pand en Irlande. Un million et demi d'Irlandais mourront de faim, un autre million devra quitter l'�le, dans des conditions pitoyables, pour �chapper � une mort certaine. Quand on fait �tat, dans ce cas, de " famine ", une nuance importante s'impose, puisque seule la pomme de terre est affect�e par la maladie. Pendant ce temps, les Irlandais continuent � semer et � r�colter du bl�, de l'orge, de l'avoine, du seigle, etc. Toutes ces denr�es sont r�colt�es en abondance, sorties du pays et vendues librement sur le march� anglais. Totalement asservis par une puissance dominatrice, ne poss�dant ni droits civiques et politiques, n'�tant que des locataires sans bail sur les terres de leurs anc�tres qu'ils cultivent pour le b�n�fice du conqu�rant, les Irlandais ne sont nullement autoris�s � se nourrir d'autre chose que de pommes de terre.

Devant l'imminence d'un d�sastre sans pr�c�dent, le gouvernement de Whitehall aurait pu d�cr�ter un embargo sur ces denr�es et demander qu'elles soient vendues � bon march� aux Irlandais pour rem�dier au d�sastre qui menace de d�cimer toute la population. Des consid�rations bien plus importantes que la vie pr�valaient alors. Le gouvernement est bien au fait que, si les denr�es irlandaises ne sont pas vendues librement sur le march� anglais, la raret� des produits alimentaires provoquera des hausses de prix, que ces hausses de prix provoqueront une pression de la part des ouvriers anglais pour des hausses de salaires, que ces hausses de salaires augmenteront les co�ts de production des produits manufactur�s anglais, les produits anglais seront moins comp�titifs ou vendus avec moins de profits et, ultimement, la v�ritable victime de la maladie de la pomme de terre deviendrait, par ricochet, la classe d'affaires qui fait rouler l'�conomie anglaise. Confront� � un dilemme terrible o� il se voit accul� � choisir entre la vie d'un tr�s grand nombre d'hommes et l'argent de quelques uns, le gouvernement esquive quelque peu ses responsabilit�s et juge plus pratique de confier le sort des Irlandais � une autorit� abstraite, soit l'intervention divine. Cet acte, fort mitig�, de sagesse et de courage du gouvernement de Whitehall est vivement salu� par les gens d'affaires et les �conomistes anglais. Selon la typologie ci-haut �voqu�e, il s'agit l� d'un g�nocide latent. Rappelons, encore une fois, que la qualification de g�nocide n'exige pas la destruction imm�diate et compl�te d'un groupe national.

Du sang et des jeux en Inde

En Inde, au XIXe s., la pr�sence anglaise n'est pas toujours appr�ci�e � sa juste valeur par la population locale. � l'arriv�e des Anglais, l'artisanat indien est prosp�re et le pays est riche. Dans ce contexte, pour favoriser la perc�e de leurs propres produits sur le march� local, les Anglais changent les lois commerciales. En cons�quence, les produits anglais se vendent fort bien sur le march� indien tandis que l'artisanat local, lui, tombe en chute libre. Sur le plan agricole, les autorit�s anglaises confisquent, sous de faux pr�textes, des milliers de terres aux habitants pour les c�der � rabais � des exploitants anglais. Le riz et le bl� indiens font alors le grand bonheur des march�s anglais, pendant que les disettes et les famines ravagent r�guli�rement le pays. Au cours du XIXe s., vingt millions d'Indiens mourront de faim. Sur le plan fiscal, la situation est excellente pour la puissance dominatrice. Chaque ann�e, l'Angleterre fait une ponction d'au moins quinze millions de livres sur l'Inde. Ces sommes consid�rables, ramen�es dans la m�tropole, ont un impact majeur dans le financement de la r�volution industrielle anglaise. En 1857, suite � l'introduction d'une cartouche lubrifi�e � la graisse de porc, la situation devient subitement explosive. Les soldats locaux, les Sh�pah�s, qui doivent d�goupiller ces cartouches avec leurs dents, se r�voltent de devoir se souiller les l�vres avec de la graisse de porc. Le 10 mai 1857, une mutinerie g�n�rale des Sh�pah�s �clate dans le pays. De nombreuses villes tombent aux mains des insurg�s. Peu form�s aux strat�gies militaires, les insurg�s ne tirent nullement profit de leurs victoires. Ils s'enferment dans des villes fortifi�es et laissent � la r�pression tout le temps de s'organiser. Et elle s'organise rapidement et se d�ploie avec une rigueur inou�e. L� o� s'active la terreur des armes de Sa Majest�, il ne reste que mort et destruction totale. La r�pression est aveugle et f�roce, elle n'�pargne personne.

Lord Elphinstone, gouverneur de Madras, rapporte comme indescriptibles les horreurs commises par les armes de Sa Majest� lors de la chute de Delhi. Le Bombay Telegraph rapporte que " tous les habitants qui se trouvaient � l'int�rieur des murs de la ville quand nos troupes y entr�rent furent pass�s � la ba�onnette sur le champ. " Tous, sans exception, passent au sacrifice, c'est-�-dire vieillards, femmes et enfants. Les soldats de Sa Majest� racontent que, lorsqu'ils p�n�traient dans une maison de Delhi, ils pouvaient trouver dans une pi�ce de 50 � 60 personnes p�trifi�es d'horreur, en attente du moment ultime. Form�s � l'usage de la ba�onnette, les soldats n'ont qu'� faire p�n�trer de 2 � 3 pouces la lame dans le corps d'une victime et, ainsi, passer imm�diatement � la suivante. Une telle efficacit� permet � un tout petit groupe de soldats de nettoyer une maison au complet et sans qu'il n'en co�te une seule balle gaspill�e au tr�sor de sa Majest�. Les jeunes soldats qui ex�cutent ces carnages, dans des lettres � leur famille, se vantent m�me de n'avoir �pargn� personne et assurent " que la chasse aux n�gres est un jeu des plus divertissants ". Imaginons un peu ce qu'aurait pu �tre l'agr�ment et le divertissement de ces exterminateurs s'ils avaient pu, comme en Nouvelle-�cosse, r�clamer du gouvernement une prime au rendement de 25 � pour chaque coup de ba�onnette bien piqu�.

Pour �clairer davantage le c�t� soit-disant divertissant de la chose, lorsque les militaires anglais avaient la chance de mettre la main sur une personne de haut rang, ils se r�servaient ce butin pour l'heure du th�, rituel qui semble avoir �t� respect� m�me lors des moments les plus tragiques de la r�pression. Lorsqu'on avait cette chance de pouvoir ainsi agr�menter l'heure du th�, on faisait attacher le grand personnage, mains et pieds, immobilis� tout juste devant une bouche de canon pr�te � �tre allum�e. Le plaisir consistait � contempler le malheureux suant � grosses gouttes et se contorsionnant de d�sespoir, pendant que les gentlemen d�gustaient leur th�, tout en appr�ciant l'indicible spectacle de l'agonie d'un supplici�. Le th� termin�, on allumait la m�che avant de remettre en marche la terreur des armes de Sa Majest�. Selon la typologie ci-haut mentionn�e, la r�pression de la mutinerie des Sh�pah�s constituerait un g�nocide punitif ou r�tributif. L'objectif n'�tait nullement de faire dispara�tre un peuple en entier, mais de le terroriser le plus possible afin de continuer � l'exploiter plus facilement. Quelques ann�es apr�s cette dure le�on d'ob�issance, un d�nomm� Bryce, agent en poste en Inde, pouvait rapporter : " not even a dog wags his tail against us among these 260 millions of people. " Pour sa part, � la suite de cette r�pression d'une rare cruaut� perp�tr�e par ses compatriotes, le baron Macaulay, fid�le interpr�te de la vision whig de l'histoire de l'Angleterre et propagandiste profond�ment convaincu de la sup�riorit� morale et intellectuelle de sa nation, �crit, fort sereinement, que l'histoire de l'Angleterre est celle du progr�s et que, de la race anglaise, a enfin �merg� le peuple le plus civilis� que le monde n'ait jamais connu. Le baron Macaulay �tait infiniment appr�ci� de ses lecteurs anglais parce qu'il leur disait exactement ce qu'ils souhaitaient entendre.

Des troph�es d'extermination export�s d'Australie

En Australie, le contact des colons anglais avec les Aborig�nes conna�t des r�sultats d�sastreux. Les Aborig�nes sont chass�s de leurs terres, d�cim�s par des maladies, et priv�s de leurs sources naturelles d'approvisionnement en nourriture. Les survivants de cette h�catombe entrent rapidement en conflit avec les �leveurs, lesquels s'�taient fait octroyer des domaines immenses pour servir de p�turages � leurs b�tes. Les conflits frontaliers sont sanglants, mais toujours au d�savantage des Aborig�nes.

En 1835, avec la nomination de Lord Glenelg au poste de secr�taire aux Affaires coloniales, s'amorce une politique coloniale favorable aux Aborig�nes. Humaniste et id�aliste, Lord Glenelg insiste pour que les droits des Aborig�nes, en tant que sujets de Sa Majest�, soient pleinement reconnus et respect�s. En 1837, suite � des massacres commis par des agents du gouvernement, il ordonne la tenue d'une enqu�te officielle, car, au plan local, aucune mesure n'est prise pour prot�ger les Aborig�nes. Des d�tachements de police mont�e sont mis sur pied, mais pour pr�ter main-forte aux colons et forcer les Aborig�nes � se d�placer dans des zones moins productives. Sur plus d'un si�cle, au moins 20 000 Aborig�nes sont ex�cut�s sommairement lors de raids d'extermination organis�s par des colons. Jusqu'au premier quart du XXe si�cle, des Aborig�nes continuent d'�tre ex�cut�s, d�capit�s et, souvent, empoisonn�s. Lors d'exp�ditions d'extermination, leurs cr�nes sont m�me pr�lev�s, bouillis, nettoy�s, empaquet�s et exp�di�s sur les march�s anglais pour le plus grand bonheur des collectionneurs.

En 1838, � la suite d'un massacre survenu � Myall Creek, Lord Glenelg revient � la charge pour demander au procureur g�n�ral de porter des accusations de meurtre contre les responsables. Finalement, le procureur g�n�ral se d�cide � porter des accusations contre sept exterminateurs, lesquels sont reconnus coupables et condamn�s � la peine capitale. Pareilles condamnations soul�vent un toll� g�n�ral d'indignation et de r�probation dans la population. Condamner des " innocents " � la peine capitale pour des actes que, quelques mois auparavant, des agents du gouvernement perp�traient eux-m�mes, est absolument inconcevable. Les condamn�s eux-m�mes s'indignent du sort qui leur est fait en soutenant que jamais personne ne leur a dit que tuer des Aborig�nes �tait d�fendu par la loi. Malgr� toutes ces manifestations d'indignation, les sept condamn�s sont ex�cut�s. Malheureusement, l'exemple de ces condamnations n'a pas l'effet escompt�. Lord Glenelg quitte ses fonctions d�s 1839. Les Aborig�nes, eux, continuent d'�tre traqu�s, chass�s et abattus. Le dernier incident rapport� o� un groupe d'Aborig�nes est ex�cut� par un groupe de policiers remonte � 1928. Dans ce dernier cas, il appara�t que le gouvernement central n'a voulu ni planifi� l'extermination des Aborig�nes, mais � l'exception des interventions protectrices de Lord Glenelg, � peu pr�s rien n'est fait pour mettre un terme aux carnages. Quant au gouvernement local, s'il ne joue pas directement le r�le d'exterminateur, il ferme les yeux sur une pratique g�n�ralis�e d'assassinats de ses propres citoyens. � de nombreuses reprises, ses propres policiers participent � des ex�cutions collectives. Selon la typologie ci-haut mentionn�e, ce g�nocide pourrait donc �tre qualifi� � la fois d'utilitaire et de latent.

L'�tude comparative et ses conclusions

Le ph�nom�ne du g�nocide nous appara�t constituer une tendance importante et dominante dans l'histoire de l'humanit� et des civilisations. Les historiens n'ont toutefois jamais port� beaucoup d'attention � l'�tude et � la compr�hension de ce ph�nom�ne. L'attitude des historiens � �viter cette �tude du ph�nom�ne g�nocidaire appara�t comme une forme de d�n�gation collective devant l'inacceptable et l'inexplicable. Il est �galement utile de comprendre que, les g�nocideurs �tant le plus souvent des dominants, des puissants, des conqu�rants et, presque toujours, des �lites politiques, l'histoire officielle - souvent subventionn�e - est naturellement port�e � traiter avec beaucoup d'�gards la fa�on dont la confiscation ou le partage du pouvoir se sont initialement �tablis dans une soci�t� donn�e et comment la constitution d'un pays s'est form�e ou a �t� impos�e aux domin�s par les dominants. L'histoire officielle semble donc dispos�e � ne pas porter ombrage aux droits acquis des poss�dants et des puissants et � ne pas aborder de questions pouvant soulever des d�bats interminables quant � un plus juste partage du pouvoir dans la soci�t�.

La fin de la deuxi�me Guerre mondiale a provoqu� beaucoup d'int�r�t pour l'�tude de l'Holocauste juif, parfois pour le g�nocide arm�nien, mais rarement pour les nombreux g�nocides perp�tr�s comme solutions politiques radicales et irr�versibles des conflits sociaux. En 1975, le professeur Vahakn Dadrian est le premier � proposer de recourir � une approche comparatiste afin de mieux comprendre pourquoi et comment des groupes humains s'autorisent � d�truire, exterminer, r�duire � l'esclavage et tuer d'autres groupes humains pour faire pr�valoir leurs int�r�ts politiques, �conomiques, sociaux, culturels ou autres. Comme vous l'aurez constat�, nous avons abord� cette approche, en y incluant l'usage de la typologie propos�e par le professeur Dadrian afin d'identifier, voire de cerner, certaines caract�ristiques nous permettant de comprendre les mobiles, les raisons et la volont� du gouvernement de la Nouvelle-�cosse de r�duire ses propres citoyens � l'�tat d'esclavage, de les d�porter, de les exterminer, de les d�sint�grer comme groupe humain et de trancher, sans appel possible, la question constitutionnelle de la place et du r�le politique de cette population dans le gouvernement de la province.

L'�tude comparative sommaire que nous venons de pr�senter laisse apercevoir un grand nombre de traits communs apparaissant chez les groupes victimes, de m�me que certaines singularit�s propres au seul c�t� acadien.

Ces traits communs observ�s chez les groupes victimes sont les suivants :

tous sont l�galement des sujets de Sa Majest� britannique;

tous sont �trangers � la culture, � la langue, � la religion officielle de l'Angleterre;

tous sont radicalement exclus de l'exercice de leurs droits civiques et politiques et r�duits, sur le plan constitutionnel, � l'�tat de simples spectateurs;

tous sont soumis � des restrictions, parfois majeures, dans l'exercice de leurs droits civils;

aucun n'a jamais constitu� la moindre menace, directe ou indirecte, � la s�curit� militaire du territoire de la Grande-Bretagne. Et quant aux diff�rences : Tous sont exploit�s �conomiquement, � l'exception des Acadiens qui ne l'ont jamais �t� et qui ne donnent aucun signe qu'ils pourraient le devenir un jour;

tous sont militairement sans organisation et sans pouvoir, � la seule exception de l'Inde qui avait une population, une richesse �conomique et une infrastructure artisanale qui lui auraient permis de se constituer �ventuellement une force militaire;

tous sont priv�s d'appuis ext�rieurs, � l'exception des Acadiens qui auraient pu �ventuellement requ�rir l'aide de la France; aucun ne constitue une source r�elle d'inqui�tude � la s�curit� militaire de l'Empire, � l'exception des Acadiens et ce, principalement pour deux raisons. Premi�rement, les Acadiens occupent un territoire strat�giquement tr�s important. Deuxi�mement, leur expertise exceptionnelle et unique en mati�re de construction de digues leur permet de conqu�rir sur la mer des terres hautement productives et in�puisables; cette expertise ne pouvant aller qu'en se perfectionnant, en m�me temps que croissait rapidement sa population.

Absolument rien ne permet d'envisager un ralentissement quelconque de cette irr�sistible conqu�te d'un peuple d'agriculteurs sur la mer. La production continuelle de surplus alimentaires �tant en soi un ph�nom�ne tout � fait exceptionnel au XVIIIe s., il est tout ce qu'il y a de plus inqui�tant pour les int�r�ts d'une puissance dominatrice et coloniale d'imaginer qu'une puissance rivale puisse en prendre un jour le contr�le. Les surplus alimentaires de l'�poque avaient probablement autant d'importance logistique que les puits de p�trole peuvent en avoir de nos jours. Quand vous rajoutez � �a le fait que ces surplus alimentaires soient pr�cis�ment situ�s � un endroit jug� g�ostrat�giquement vital, nous pourrons nous expliquer l'obsession maladive des autorit�s locales et m�tropolitaines de vouloir � tout prix expurger les Acadiens de cette partie du monde, et ce, dans le m�pris absolu et d�lib�r� de tous les droits que ces personnes poss�daient en tant que f�aux sujets de Sa Majest�. Les Acadiens ont connu le bien triste privil�ge de se faire exterminer par le peuple le plus civilis� que le monde ait jamais connu � ce jour.

Les le�ons constitutionnelles d'une trag�die

Ce tout premier chapitre de l'histoire constitutionnelle du Canada, �crit douloureusement avec le sang et les larmes des Acadiens, se termine donc sur une note fort peu encourageante pour la suite des choses. L'�chec des revendications de nature constitutionnelle des Acadiens, puis, leur expulsion et leur extermination par le gouvernement de la Nouvelle-�cosse, constituent, pour l'avenir du Canada, un pr�c�dent troublant et inqui�tant. Verra-t-on poindre d'autres engeances constitutionnelles dans l'histoire de ce pays ? Vu le caract�re singulier du peuple conqu�rant et dominant mis en cause, rien ne devait nous surprendre. Sir Thomas More nous aura d'ailleurs bien pr�venus, lui qui connaissait si bien l'histoire de son pays et le comportement singuli�rement bouillonnant de ses compatriotes chaque fois que s'est pos�e la question du partage ou de l'accession au pouvoir : " S'agit-il de conqu�rir de nouveaux royaumes, tout moyen leur est bon : le sacr� et le profane, le crime et le sang, rien ne les arr�te. " C'est � suivre�

De retour � Monsieur Robert Monckton

Il y a eu perp�tration d'un g�nocide contre le peuple acadien. Un g�nocide a �t� et demeure toujours un crime d'une extr�me gravit�. Ce genre de crime porte d�lib�r�ment atteinte � l'ordre public international.

Le colonel Robert Monckton a �t� le principal officier de Sa Majest� charg� de l'ex�cution de ce crime. Pour des raisons qui demeurent inexpliqu�es, la Ville de Qu�bec a choisi d'honorer la m�moire de ce criminel et de le pr�senter en exemple � la post�rit�. � notre avis, il s'agit d'une erreur grave. Cette erreur doit �tre corrig�e.

Aussi, soucieux d'honorer la m�moire des victimes de ce g�nocide, nous sugg�rons de nommer cette rue BEAUS�JOUR. La population de la rue Beaus�jour ne se plaindra certes pas d'habiter une rue avec un nom aussi accueillant.

Le tout soumis respectueusement � votre attention.

Christian N�ron

C.c. : Jean-Paul L'Allier, maire
Ann Bourget, conseill�re municipale

1. Sixte de Bourbon, " Le Trait� d'Utrecht et les lois fondamentales du royaume " Com-munication et Tradition, th�se 1914, �d. 1998.
2. HEFFTER, A.-G., Le droit international de l'Europe, Berlin et Paris, 1873, p.355
3. PUFFENDORF, Les devoirs de l'homme et du citoyen, Tome 1, Londres, M.DCC.XLL., p.288
4. Utopie, p.12
5. Blackstone, Commentaries, vol. 1 p.44
6. CALVIN, Case, 7 CO. Rep. 1a
7. DADRIAN, Vahakn N., " A Typology of Genocide ", International Review of Sociology, 2 [1975]
8. BLANCHARD, v. GALDY (1695) 4 Mod. 222

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