Les livres de
Françoise Sagan ont peu perdu de
leur liberté
d'écriture, de leur humour et de leur ton insouciant
particuliers, qui avaient
bousculé les tabous en 1954 avec Bonjour tristesse,
premier livre publié à dix-sept ans par une jeune fille de
bonne famille et premier best-seller...
La jeune fille rangée prodigue
des années cinquante publiera à la suite de l'époque dorée de
Saint-Germain-des-Prés une
quarantaine de livres avec souventle même succès, même si les plages
de Saint-Tropez, la vitesse des jaguar incontrôlées et la
passion du jeu
de ses débuts, cliché qui lui collera un peu trop à la peau, ne constituaient plus son seul univers existentiel.
En quarante ans d'écriture, on
lui aura tout reproché, on lui aura tout envié, mais on continuera à
la lire, sachant accrocher et happer son lecteur, en l'introduisant au
cœur des crises que
subissaient ses personnages et parfois elle-même...
Françoise Sagan, quand
vous avez publié votre premier livre à dix-sept ans,
pensiez-vous réellement devenir écrivain ?
Non. Vous savez, à cette
époque, les filles se mariaient, point final! Si je n'avais pu
écrire, j'aurais voulu être médecin... en fait, je n'aurais
jamais eu le courage de faire ces études, ni rien d'autre...
...que d'écrire.
Oui... (long silence). Je
ne rêvais que de ça... Ecrire, publier : être écrivain...
On ne peut pas dire que
votre famille vous a supporté à vos débuts. Quand, en arrivant
à table, vous leur annoncez votre contrat chez Julliard, d'où
vous venez, leur première réponse fut : "Tu ferais mieux
d'être à l'heure pour déjeuner" ! Avez-vous douté, à cet
âge, de votre avenir littéraire ?
Bien sûr! Naturellement...
D'ailleurs, quand j'ai terminé d'écrire Bonjour tristesse,
je l'ai mis dans un placard. C'est par hasard que je l'ai
ressorti six mois après...
Qu'est-ce qui vous a
poussée à écrire ?
La lecture. Dès que j'ai
commencé à lire, j'ai pensé que rien n'était plus passionnant
que la littérature. J'ai alors eu envie d'écrire, sans penser
que je serais publiée un jour. J'ai commencé à écrire dès
l'âge de quatorze, quinze ans. Des poèmes, qui n'étaient pas
très bons, à vrai dire... Et puis j'ai écrit "Bonjour
tristesse" à dix-sept ans. La suite, vous la connaissez...
Quels sont les auteurs
qui vous ont influencée dans votre jeunesse ?
Mes premiers chocs
littéraires d'adolescente sont "Les Nourritures terrestres" de
Gide. Et puis Rimbaud, Camus, en particulier "Le mythe de
Sisyphe". Ensuite, j'ai lu Sartre, j'ai découvert Proust...
Proust que vous avez
commencé à lire d'une façon particulière...
En effet... J'ai essayé de
commencer Un amour de Swann, mais je l'ai abandonné.
J'ai alors entamé par hasard Albertine disparue, ce qui
m'a permis de lire toute la "Recherche" plus
facilement. Les gens devraient savoir que c'est très difficile
de commencer Proust par Un amour de Swann. Albertine
est beaucoup plus aisé pour rentrer dans son univers.
Vous avez aussi cité
dans vos livres autobiographiques Balzac, Dostoïevski et
Stendhal...
A l'époque, je lisais tout
ce que je pouvais lire. Mais d'un point de vue d'adolescent -
c'est à dire l'âge où l'on cherche des gens qui vous proposent
des espèces de modes de vie-, ce sont Les Nourritures
terrestres de Gide et l'œuvre de Camus qui m'ont d'abord
influencée. C'étaient des moralistes, qui m'expliquaient
comment était la vie, de manière un peu solennelle, que je
trouve maintenant un peu alambiquée. Mais à l'époque, j'étais
fascinée...
Relisez-vous dorénavant
ces auteurs ?
Camus et Gide, non. Mais
Proust, souvent, au hasard. Sinon Balzac, Dostoïevski,
Rimbaud, Apollinaire et d'autres poètes...
Le roman est-il pour
vous une forme de liberté? Y réalisez-vous vos rêves ?
J'y réalise avant tout ma
passion d'écrire. On peut appeler ça réaliser ses rêves...
c'est à dire les concrétiser, leur donner une forme. Mais ça
m'a permis surtout de vivre comme j'en avais envie. Et c'est
déjà énorme.
Préparez-vous vos
livres avant de les écrire?
Pas du tout. Je pars sur
une image, avec dans la tête une idée de scène, de sentiment,
et deux ou trois personnages. Je pars avec mes héros dans une
direction, et je m'embarque avec eux! Et ensuite, je subis
toutes les vicissitudes et toutes les déviations que l'on peut
subir en écrivant un roman...
Vous ne connaissez
jamais la fin de vos livres ?
Pas toujours... Le plus
souvent, je l'apprends au cours du livre.
Prenez-vous beaucoup de
notes ?
Non. Je fais des débuts de
livre, que je n'arrive pas à continuer. Je les mets alors de
côté pendant un certain temps, et puis je continue, j'écris
encore un autre début, et cætera... Si bien que j'ai deux ou
trois cahiers remplis d'ébauches de mon prochain livre, mais
que je n'écrirai peut-être pas avant un an...
Etes-vous une fanatique
des archives ?
J'ai horreur des
documents! Quand j'ai écrit un livre sur Sarah Bernhardt, j'ai
bien sûr lu deux, trois livres sur elle, pour avoir des points
de repères, mais c'est tout.
Vous n'avez pas un
carnet de notes toujours sur vous ?
Ah, ça, jamais! Je trouve
que cela a un côté "pique-assiette"! (rires). Ma vie est ma
vie, mes romans c'est autre chose : c'est un mélange
d'intuition, de recoupement, d'imagination. Je ne me sers pas
des gens que je rencontre pour créer mes personnages. Je ne
vois jamais rien et ne tire jamais rien de mon expérience.
Cela se passe peut-être dans ma tête, mais ce n'est pas du
tout un travail conscient. Lorsque je décris un sentiment, je
ne cherche pas à me rappeler ce qui m'est arrivée : je n'ai
pas du tout le sens de l'observation...
Vous n'avez jamais
ressenti le besoin de voyager, pour situer une scène d'un de
vos romans ?
Non. J'ai situé une scène
d'un de mes romans dans le Limousin, alors que j'étais au
Népal! Pour moi, la littérature est faite de nostalgie...
Avez-vous déjà été
inspirée par un autre sujet que celui sur lequel vous
travailliez ?
Si une autre idée me
traverse, je la laisse tomber. Ou elle est bonne et je la
retrouverai un jour ou l'autre, ou elle est mauvaise et alors
elle est passagère.
Avez-vous déjà écrit
plusieurs romans en parallèle?
Ca m'est déjà arrivé
d'écrire deux livres à la fois, mais, finalement, il y en a un
qui a gagné, je n'en ai publié qu'un seul. Il m'est aussi
arrivé d'écrire d'affilée deux livres : lorsque j'ai terminé
La Femme fardée, j'ai écrit illico Un orage immobile.
J'étais lancée, je n'arrivais plus à m'arrêter! J'étais comme
une machine lancée, c'était pratiquement de l'écriture
automatique!
Tenez-vous un carnet de
bord afin de vous retrouver dans l'évolution de vos
personnages?
Pas du tout...
Cela ne vous est jamais
arrivé de faire des erreurs, des oublis ?
Non, c'est très rare... Un
de mes personnages peut faire des erreurs, me compliquer la
vie avec les autres, mais je ne rectifie pas ces erreurs de
parcours. J'ai peut-être tort, d'ailleurs...
Quel est votre endroit
favori pour écrire ?
N'importe où, la nuit, là
où il n'y a pas de bruit. Chez moi, j'écris dans une pièce
isolée au premier étage, où je suis tranquille, que j'appelle
pompeusement mon "bureau", alors qu'il y a toujours une foule
noire dans la journée... Mais la nuit, j'y suis tranquille, il
n'y a pas de gens, pas de téléphone...
Ne vous plongez-vous
pas dans une ambiance particulière pour travailler?
Non. Le silence de
préférence, et c'est tout...
Comment vous
installez-vous ?
Je m'installe sur un
canapé et je prends des notes sur un cahier, avec un stylo.
J'aime bien le contact entre le stylo et le papier : quand ça
marche, c'est un plaisir énorme, et quand ça ne marche pas ,
c'est épouvantable! Ensuite je transcris ces notes sur un
magnétophone, pour une personne qui les tape. Après, je les
relis, je les corrige et je les redonne au fur et à mesure à
taper...
Pourquoi avez-vous
besoin d'un magnétophone? Pour retravailler la musique de
votre texte ?
Pas du tout ! C'est
simplement parce que j'ai une écriture illisible. J'ai déjà du
mal à me relire moi-même, alors je ne vais pas demander à
quelqu'un d'autre de le faire! Donc, je suis obligée de passer
par un moyen de transition...
Comme vous parlez vite,
ça ne doit pas être facile de comprendre...
En effet, mais on peut
ralentir la vitesse du magnétophone. Cela me donne une belle
voix graaave, comme çaaa (FS prend alors une voix lente et
grave), on entend tout!
A vos débuts, vous
tapiez pourtant vos textes à la machine...
En effet, mais un jour
j'ai dû m'arrêter un certain temps, car je m'étais cassé le
coude. J'étais en plein livre et je ne pouvais me servir que
de trois doigts... J'ai alors commencé à dicter à quelqu'un,
j'ai trouvé cela très commode et j'ai adopté le
magnétophone...
Ecrivez-vous tous les
jours ?
Non. Seulement quand
j'écris un livre, ce qui peut durer de trois à six mois, avec
des coupures. Quand je suis bien lancée dans le livre et qu'il
m'excite, j'écris tous les jours; mais au début, quand ça ne
marche pas et que je m'énerve, je n'écris qu'un jour sur
trois...
Avez-vous des moments
préférés pour écrire ?
Entre minuit et six heures
du matin. Je me lève tard, à l'heure du déjeuner, et je traîne
pendant la journée : je vois des amis, je vais à droite et à
gauche, je lis... Je dîne dedans ou dehors, selon les
circonstances, et à minuit, je quitte tout le monde pour me
mettre au travail jusqu'à six heures, quand ça marche. Jusqu'à
deux heures, dans le cas contraire. Dans ce cas, je sors, je
vais promener mon chien et j'essaie de m'y remettre.
Connaissez-vous le
syndrome de la feuille blanche?
Non, qu'est-ce que c'est
que ça?
L'écrivain qui est face
à sa feuille blanche et qui n'arrive pas à écrire...
Oh, oui, je connais ça
depuis mes premiers débuts! On a une phrase dans la tête, on
l'écrit et elle ne paraît pas bonne, on la rechange... C'est
le syndrome de la première phrase qui est affreux. Il y a un
moment où il faut se forcer. A ce moment-là je tournicote, je
mets un disque... Ecrire, c'est un acte extravagant, ce n'est
pas un acte naturel...
Quelles sont vos
astuces pour y échapper ?
Je fais comme tout le
monde...
Vercors prend un
bonbon... et vous?
Ah, oui! Il y en a qui
prennent des bonbons, d'autres prennent autre chose, des
pilules. C'est variable, mais tout le monde prend quelque
chose. Mais on ne va pas échanger nos recettes, bien qu'il
soit vrai qu'entre écrivains, on se les échange...
Quelles sont vos
recettes?
C'est absolument secret!
Je ne vais pas vous révéler mes recettes, et puis quoi encore!
Vous est-il arrivé de
ne pas écrire pendant une longue période ?
Ca m'est arrivé de ne pas
écrire pendant deux ans...
A ce moment,
n'avez-vous pas douté de pouvoir reprendre une plume ?
Cela m'arrive à chaque
fois que je commence un livre. Je me retrouve toute abrutie,
je n'arrive pas à le faire. J'ai peur de n'avoir plus d'idées,
de ne plus pouvoir écrire. Et puis, avec l'effort, ça vient...
Etes-vous très critique
avec vous-même ?
Sans doute pas assez
(soupir) et à la fois trop. Pas assez sur chaque livre et
peut-être trop sur l'ensemble...(long silence).
Vous corrigez-vous
souvent ?
Quand j'ai terminé un
manuscrit, je le fais lire à deux, trois amis. Je tiens compte
aussi de la réaction de ma claviste, qui retape deux fois mon
texte. Mais quand je refais une scène, je la réécris
entièrement, je jette l'ancienne. Je réécris plus que je ne me
corrige...
Avez-vous facilement
tendance à jeter ce que vous avez écrit ?
Je n'ai pas un papier qui
traîne, je jette tout au fur et à mesure!
Avez-vous déjà réécrit
plusieurs fois un manuscrit ?
Ah oui! J'ai réécrit onze
fois les cent premières pages de "La femme fardée"!
Vous tenez ainsi compte
des avis extérieurs...
Je suis leurs sentiments,
non pas sur le contenu du livre, mais sur ses longueurs...
savoir s'ils bâillent! Je corrige aussi les détails qu'il faut
couper avec une lectrice chez Julliard...
Jugez-vous vos
personnages ou les faites-vous évoluer à leur guise?
J'essaie de les diriger.
Quand on dit que les personnages vous "échappent", c'est une
vieille image. Mais elle est bonne. Il y a un moment où il
font un petit peu ce qu'ils veulent. Bizarrement, ils se
conduisent ou disent des choses qui sont un peu inattendues,
ce qui oblige à changer souvent la fin.
Flaubert a pourtant dit
: "Madame Bovary, c'est moi"...
Je n'ai jamais compris
dans quel sens il l'avait dit. C'est une vieille question, un
vieux débat. De plus, je ne suis pas fascinée par Madame
Bovary. C'est un livre fait pour les hommes, par un auteur
macho, souvent méprisant envers les femmes...
Pourquoi Flaubert
est-il pour vous un auteur "macho"?
Madame Bovary, c'est
l'image même de "l'emmerdeuse", telle que la voient les hommes
qui n'aiment pas les femmes. C'est le prototype des femmes
vues à l'époque par la littérature masculine. Les femmes
vivantes ont commencé avec Stendhal, auparavant, c'étaient des
objets, des espèces de créatures irréelles, insignifiantes ou
puérilement méchantes...
A cet égard, certains
de vos personnages vous ont-ils particulièrement déplu?
J'ai créé des personnages
déplaisants dans La femme fardée; et puis, au fur et à
mesure que le roman avançait, ils me sont devenus
sympathiques, plus ou moins touchants, car j'étais assez
indulgente avec eux. Je suis ainsi partie avec sept
personnages antipathiques; à la fin, il n'y en avait plus que
deux !
Dans ce livre, vous en
avez pourtant tué un ! Le gigolo..
Oui, mais c'est parce que
je ne savais plus quoi en faire... Il m'a échappé. D'autres
tombent dans le drame. Dans Un peu de soleil dans l'eau
froide, au milieu du livre, je dis au sujet du personnage de
Nathalie : "Quand elle vit Gilles, elle l'aima". C'est une
situation foudroyante, un peu à la Balzac, qui m'a obligée à
la tuer à la fin du livre, en écho à cette phrase !
Accordez-vous une part
importante à l'actualité dans votre vie ?
Assez... Je m'intéresse
particulièrement à la politique.
Comment intervient
votre expérience personnelle dans votre œuvre ?
Comment, je ne sais pas,
mais elle intervient forcément. Je crois que toute littérature
est une tentative de traduire son expérience personnelle, en
l'arrondissant, en la moralisant et en la dessinant mieux.
Dans la vie, tout est un petit peu confus, décousu. Toute
œuvre littéraire est une manière de donner un sens à tout
cela. Ecrire, c'est formuler la vie, c'est imaginer ce que
l'on savait déjà.
Arrivez-vous à conclure
facilement vos chapitres?
Je ne pense pas tellement
aux chapitres. Je conclus les situations, et je fais les
chapitres au milieu de mon manuscrit, ou après l'avoir
terminé. Je taille à ce moment-là dans le texte, pour les
créer.
Etes-vous une
"angoissée de la dernière ligne" ?
Oh, non! Pas la dernière.
Plutôt la première !
Laissez-vous reposer
votre manuscrit un certain temps avant de le reprendre ?
Ca dépend où j'en suis par
rapport à mon éditeur, s'il m'accorde des rallonges...
Que vous inspire le mot
"Fin" ?
Un mélange de soulagement,
de bonne conscience d'avoir fini quelque chose. Mais c'est
aussi une tristesse de ne pas avoir écrit Le temps
retrouvé
et de devoir quitter mes personnages avec lesquels j'ai
vécu...
En tant qu'écrivain
médiatique, êtes-vous sensible au succès d'un de vos romans
lorsqu'il est publié ?
Bien sûr. Lors de la
sortie de Bonjour tristesse, je suis tombée dans le bus sur
une femme qui lisait mon livre. J'étais fascinée : quelqu'un
qui lisait mon premier livre! Mais au bout de cinq minutes,
elle s'est mise à bâiller et elle l'a refermé! J'étais dans
tous mes états : je suis descendue et je suis rentrée chez moi
à pied! (rire mélancolique). L'avantage du succès, c'est qu'il
vous débarrasse de l'envie du succès...
Et les critiques ?
Je ne suis plus tellement
sensible aux critiques. Il y a trois, quatre critiques qui
m'intéressent. Mais les autres, beaucoup moins : à mes débuts,
elles étaient plus sur moi que sur mes livres, ça m'a un peu
dégoûtée de les lire...
L'image que l'on vous a
attribuée, le fait, par exemple, de conduire des bolides les
pieds nus, vous a agacée ?
Oui. Cette image a été
totalement inventée par un journaliste, qui me l'a avoué
d'ailleurs... Et puis ça m'est complètement indifférent,
toutes ces histoires touchent vraiment au cliché... (air
blasé).
Tout le scandale qui a
été organisé autour de votre premier livre "Bonjour tristesse"
est-il un poids pesant dans votre vie ?
Pas du tout ! C'est grâce à
ce livre que j'ai commencé à être écrivain et que j'ai
continué à le devenir. Quant à mon image, elle s'est quand
même un peu modifiée depuis cette époque, le scandale du livre
est devenu assez relatif. Et heureusement. D'ailleurs, je n'ai
toujours pas compris où était le scandale! J'en suis encore
étonnée.
Vous avez encore votre
côté joueur, tout de même...
Oui, bien sûr. J'ai
toujours eu les mêmes défauts et les mêmes qualités. Je suis
d'une nature dépensière et je n'ai jamais pensé à faire des
économies, ni à me garantir une sécurité quelconque. Je vis
sur les avances financières de mon éditeur : quand j'ai un
contrat, il me fait vivre pendant deux, trois ans et après
quoi, je lui remets mon livre...
Le besoin pécuniaire
vous pousse-t-il à écrire ?
Ca me pousse aussi à
écrire. C'est une nécessité qui devient un plaisir. Cependant,
comme je suis d'une nature relativement fainéante, je ne sais
pas si j'aurais écrit autant sans cette nécessité... Etant
relativement indifférente à certaines valeurs -je n'aime pas
les bijoux, et toutes ces choses-, mon argent est libre, donc
vite dépensé. Simplement, j'en parle peu, pour rassurer mes
banquiers...
Vous avez d'ailleurs
dit : "Je prends des airs pieux devant mon banquier"...
Oui ! Devant mon banquier,
devant mon éditeur, devant les flics... Je me tiens comme il
faut! Je me suis même fait interdire de jeux pendant cinq
ans...
C'est vous-même qui
avez pris l'initiative de vous faire interdire de jeu ?
Tout à fait. Je n'ai pas
"été" interdite de jeu. Pour cela, il faut avoir triché. Ce
n'est pas mon cas. J'ai demandé à être interdite, en envoyant
une lettre au ministère de l'Intérieur. C'est une demande que
l'on fait pour cinq ans. Si on veut la lever au bout de cette
période, il faut réécrire une autre lettre, ce que j'ai fait
au bout de quatre ans, car chaque fois que je passais dans les
couloirs d'un casino et que j'entendais ce bruit de jetons sur
un tapis, j'étais désespérée!
Pourquoi avoir alors
écrit cette lettre d'interdiction ?
C'était un soir d'ivresse,
j'étais avec un ami, nous avions beaucoup perdu... On s'est
dit que c'était trop bête. On a alors écrit cette lettre tous
les deux. Ensuite, c'était trop tard, la lettre était
partie...
Vous sentez-vous isolée
par les exigences de votre métier ?
Pas du tout. Quand je
travaille, je suis seule. C'est très difficile et très
pénible, surtout au début. Mais c'est compris dans le
forfait...
Lisez-vous beaucoup vos
contemporains ?
Oui, pas mal...
Y prenez-vous du
plaisir ?
Pour certains, oui. J'aime
beaucoup la littérature américaine : Roth, Murdoch, Styron,
Bellow... En France, j'aime beaucoup Jacques Laurent, Duras,
Bernard Frank.
Comment jugez-vous le
milieu littéraire actuel par rapport aux années cinquante,
soixante ?
C'était plus brillant à
cette époque que maintenant. Les auteurs comme Sartre, Malraux
et compagnie étaient plus décisifs... Actuellement ça manque
un peu de chef de file. Pour qu'il y ait un grand écrivain, il
faut qu'il y ait une morale quelconque. Du temps de Sartre,
Malraux, Camus, on sortait d'une guerre assez manichéenne. Il
y avait les méchants et les gentils, et la peur de tomber sous
le règne des méchants. Il y avait des problèmes moraux,
politiques avec la Russie, ce qui donnait une morale
automatique aux gens qui pensaient un peu. Mais maintenant,
tout est vague, sous le signe de la télévision et de l'argent.
Actuellement, les grands talents sont soit en France et alors
ils ne sont pas encore découverts, soit à l'étranger. Des gens
comme Lawrence Durrel et Günter Grass, ce ne sont pas des
poids "moyens"...
Aimez-vous Peter
Handke ? (allusion à l'émission Caractères où cet auteur
a critiqué grossièrement son dernier roman, dans
l'indifférence surprenante et hilarante de Françoise Sagan)
Ah, oui, Handke? J'ai
trouvé extrêmement vicieux de ma part de sourire quand il
critiquait mon livre, et ensuite de faire des compliments des
siens quand on parlait de lui. A sa place, j'aurais été ivre
de rage !
Comment expliquez-vous
qu'il n'y ait pas actuellement de grands écrivains en France ?
Je ne sais pas.
Actuellement les gens sont plongés dans une espèce de doute
général, ce qui les empêche d'écrire des choses définitives...
Mais ça reviendra.
Regrettez-vous la
disparition des écoles littéraires ?
Le Nouveau Roman a été une
catastrophe pour la littérature française à l'étranger. Les
gens ont arrêté de lire la littérature française à cause de
ces écrivains. J'aime beaucoup Robbe-Grillet, Simon et
Sarraute, mais leur école était barbante au yeux de beaucoup.
Donc, je ne regrette pas sa disparition. Cependant, je
regrette l'école des Surréalistes. Ca devait être très amusant
et très passionnant de faire partie de l'école de Breton, à
condition d'en sortir. Mais maintenant, les écrivains doivent
à la fois s'exhiber à la télévision et écrire, qui est un acte
secret. C'est très pernicieux...
Avez-vous des relations
épistolaires avec vos confrères ?
Pas du tout. J'écris les
lettres les plus ennuyeuses de la terre! Quelquefois, je
téléphone ou j'envoie un fax pour m'amuser. J'ai plein d'amis
qui s'envoient des sottises par fax : des phrases, des
extraits de journaux... C'est l'école des "faxeurs", si vous
voulez...
Avez-vous des entrevues
fréquentes avec vos confrères?
Non. Pratiquement jamais.
Quand je déjeune avec Bernard-Henri Lévy ou Bernard Frank,
nous ne nous voyons pas en tant qu'écrivains, mais en tant
qu'amis. Les écrivains, je les rencontre par hasard.
Que pensez-vous de la
disparition des salons littéraires?
Ca devait être très
amusant aussi, à condition de ne pas y rester trop de temps.
Dès qu'on prend des habitudes semi-littéraires, on est fichu.
Ce qui était intéressant, c'était d'échanger des bêtises ou
des phrases définitives. Il y a un certain goût du superficiel
qui a disparu, et qui a été remplacé par un goût d'actualité,
audiovisuel, qui est beaucoup moins puissant. C'est dommage.
L'écrivain est plus solitaire maintenant...
Quels conseils
donneriez-vous à un jeune écrivain débutant?
Pour "réussir", comme on
dit, ou pour écrire?
Pour écrire...
Il faut lire. Beaucoup. Et
puis ne pas penser que la littérature passe par la télévision,
ou automatiquement par le succès. Il faut travailler et mener
une vie la plus isolée possible des médias.
Lequel de vos romans
voudriez-vous qu'il lise en premier?
Je laisse faire le
hasard... La femme fardée ou Des bleus à l'âme sont ceux
qui me gêneraient le moins...
Avez-vous écrit le
livre que vous vouliez ?
Non! Le prochain,
peut-être. J'espère! Ce qui fait qu'il va y avoir des
malheureux qui vont devoir supporter ma prose jusqu'à la
fin...
Quelle expérience
tirez-vous de votre œuvre ?
Il y a des roueries que je
ne pratique plus. Il y a deux, trois choses que j'ai
comprises, mais je n'ai pas appris grand chose. Je n'ai aucun
regret, aucun de mes livres ne me fait honte. Mais il y en a
que j'ai un peu bâclés...
Pouvez-vous me citer
ces livres que vous estimez avoir bâclés ?
Non !
Si c'était à refaire,
que feriez-vous ?
Je serai à nouveau écrivain, bien sûr. Je ne
sais faire que ça !
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