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La mort des langues


La mort des langues n�est pas un ph�nom�ne nouveau. Depuis au moins 5000 ans, les linguistes estiment qu�au moins 30 000 langues sont n�es et disparues, g�n�ralement sans laisser de trace. Avec le temps, force est de constater que le rythme de la mortalit� des langues s�est singuli�rement acc�l�r�, surtout depuis les conqu�tes colonialistes europ�ennes. Au cours des trois derniers si�cles, pendant que l�Europe perdait une bonne dizaine de langues, l�Australie et le Br�sil, par exemple, en perdaient plusieurs centaines. En Afrique, plus de 200 langues comptent d�j� moins de 500 locuteurs, sans parler de la liquidation de tr�s nombreuses langues am�rindiennes et de plusieurs petits peuples ayant v�cu sous l�ancienne URSS ou en Chine (Ingouches, Kalmouts, Mekh�tiens, Nus, Achangs, etc.). 

Le linguiste fran�ais Claude Hag�ge estime, pour sa part, qu'une langue dispara�t �tous les quinze jours�, c'est-�-dire 25 annuellement. Autrement dit, � ce rythme, si rien n'est fait, le monde aura perdu dans un si�cle la moiti� de son patrimoine linguistique, et sans doute davantage � cause de l'acc�l�ration due aux prodigieux moyens de communication. Ce ph�nom�ne touche particuli�rement les langues indon�siennes (plus de la moiti� des 600 langues serait moribonde), n�o-guin�ennes (plus de la moiti� des 860 langues de Papouasie-Nouvelle-Guin�e serait en voie d'extinction) et africaines, mais il concerne aussi de nombreuses autres langues menac�es par l'anglo-am�ricain ou d'autres grandes langues de communication. Par exemple, en Inde et en Afrique, un grand nombre de langues qui avaient pourtant r�sist� � la colonisation sont aujourd'hui menac�es par les grandes langues indiennes (surtout par l'hindi en Inde et par l'ourdou au Pakistan) ou certaines langues africaines telles que le swahili (en Afrique orientale), le peul (en Afrique centrale), le haoussa (au Niger et au Cameroun) ou le wolof (au S�n�gal); ces langues sont tout aussi �dangereuses� pour les �petites langues� que l'anglais ou le fran�ais, car elles ne sont pas consid�r�es comme des �langues �trang�res� et poss�dent le prestige des grandes langues africaines. Le rythme d�extinction des langues, qui s��tait d�j� acc�l�r� au cours du XXe, va atteindre des proportions sans pr�c�dent au cours du prochain si�cle.  

Certains experts pr�voient qu�au cours du pr�sent si�cle de 50 % � 90 % des langues parl�es actuelles dispara�tront, c�est-�-dire de 3000 � 4000 langues. En Europe, sur 123 langues recens�es � le continent le moins menac� �, on compte 9 langues �moribondes�, 26 �proches de l�extinction� et 38 �en danger�. Selon une �tude de l�UNESCO (commenc�e en 1997 et dont le rapport fut diffus� en 2002), pas moins de 5500 langues sur 6000 dispara�tront d'ici un si�cle et seront devenues des langues mortes au m�me titre que le latin et le grec ancien. Cela signifie que 90 % des langues actuelles seront liquid�es au cours de ce si�cle.  Un �massacre�, estime l'UNESCO. Le pire, c�est qu�on ne le remarquera peut-�tre m�me pas, car la disparition d'une langue ne repr�sente jamais un �v�nement bien spectaculaire. Pourtant, on peut parler d'un v�ritable �cataclysme� qui se produira dans l'indiff�rence g�n�rale.

�videmment, il y a des gens qui croient que la disparition des langues est un �v�nement normal dont il ne faut pas s'inqui�ter. Par exemple, le chroniqueur am�ricain du National Review, John J. Miller, ne voit pas en quoi, par exemple, les quelque 800 langues de la Papouasie-Nouvelle-Guin�e puissent constituer un �mod�le� auquel d'autres devraient se plier; il ne voit pas non plus pourquoi nous devrions nous alarmer, car ces populations n'auraient rien � donner aux autres, si ce n'est quelques babioles artisanales. 

La mort des langues est une cons�quence in�vitable de la supr�matie des langues fortes dans l'ar�ne linguistique. De fa�on g�n�rale, on peut dire qu'une langue est menac�e dans sa survie d�s qu'elle n'est plus en �tat d'expansion, d�s qu'elle perd de ses fonctions de communication dans la vie sociale ou qu'elle n'est plus pratiqu�e quotidiennement pour les besoins usuels de la vie, d�s qu'elle n'est plus rentable au plan �conomique, ou d�s qu'il n'y a plus suffisamment de locuteurs pour en assurer la diffusion. On estime qu�une langue ne peut survivre qu�� la condition de compter au moins 100 000 locuteurs. Or, sur les quelque 7100 langues actuelles, la moiti� compte moins de 10 000 locuteurs...

Les causes de la disparition des langues demeurent multiples et complexes, mais elles sont plus ou moins circonscrites, comme pour les facteurs d'expansion, � des facteurs d'ordre militaire, d�mographique, g�ographique, �conomique, politique et culturel. Ces facteurs s'imbriquent souvent les uns dans les autres, sans qu'il soit toujours ais� d'identifier lequel d'entre eux joue un r�le pr�pond�rant.

1) Les conqu�tes militaires

Les conqu�tes militaires peuvent �tre d�terminantes pour les langues perdantes. Tout d�pend du type de conqu�te militaire. Les effets d'une d�faite militaire seront diff�rents s'il s'agit d'un g�nocide ou s'il s'agit d'une langue faible ou d'une langue forte.

1.1 Le g�nocide

Une langue peut cesser d'exister par le g�nocide, c'est-�-dire par l'�limination pure et simple de la population dont c'est la langue maternelle. S'il s'agit d'une petite langue minoritaire, l'effet est radical, imm�diat et irr�versible. Mentionnons, � titre d'exemples, la liquidation de nombreuses langues am�rindiennes et de plusieurs petits peuples de l'ex-URSS (aujourd'hui la Russie) et de Chine (Ingouches, Kalmouts, Mekh�tiens, Nus, Achangs, etc.).

Dans d'autres cas, un g�nocide, m�me partiel, constitue le d�but d'un long d�clin parce qu'il r�duit inexorablement la vitalit� linguistique des survivants. Rappelons les massacres des arm�es de C�sar qui fauch�rent sept millions de guerriers gaulois et r�duisirent la population du tiers de ses meilleurs effectifs. Signalons aussi l'extermination de deux millions d'Irlandais par les Anglais au XIXe si�cle, celui de 1,2 million d'Arm�niens par les Turcs au d�but du XXe si�cle, l'h�catombe des Ibos au Nigeria (1966-1970) et celle de trois millions de Bengalis par le Pakistan en 1971; plus r�cemment, les r�gimes totalitaires du Cambodge, de l'�thiopie et du Rwanda ont �limin� des millions de leurs concitoyens, entra�nant par le fait m�me un affaiblissement irr�versible de leurs langues. Ce sont sont l� que quelques exemples, car les g�nocides sont nombreux dans l'histoire.

Non seulement les conqu�tes militaires peuvent r�duire les effectifs des petites peuples de fa�on draconienne, mais elles laissent souvent des s�quelles tout aussi funestes: famine, �pid�mies, pauvret�, asservissement, exploitation, d�placements de population, r�pression, etc. � long terme, les petites langues sont alors entra�n�es vers une in�luctable extinction.

1.2 La d�faite d'une langue forte

Les conqu�tes militaires n'ont pas n�cessairement le m�me effet dans le cas des langues fortes, mais perdantes. Ainsi, les Romains ont conquis la Gr�ce, mais ils n'ont jamais �limin� le grec. Au contraire, la culture latine s'est hell�nis�e et la plupart des Romains instruits se sont fait un devoir d'apprendre le grec; bien souvent, ce sont les esclaves grecs qui ont enseign� leur langue � leurs ma�tres conqu�rants. Lorsque les Romains ont �t� conquis � leur tour par les peuples germaniques, le latin a alors amorc� son d�clin; d�s le VIe si�cle, il n'�tait plus parl�, mais il a continu� d'�tre utilis� comme langue v�hiculaire jusqu'au XXe si�cle, alors qu'il avait perdu depuis longtemps les effets de sa grandeur.

Plus r�cemment, la Conqu�te anglaise de 1760 au Canada n'a pas �limin� le fran�ais. D'une part, il n'y a pas eu de g�nocide, d'autre part, le fran�ais est rest� une langue forte dans le reste du monde. Cela signifie qu'une langue forte qui est conquise n'entra�ne pas n�cessairement son d�clin, mais si d�clin il y a il peut �tre tr�s lent et s'�taler sur plusieurs si�cles.

1.3 La victoire de la langue vaincue

M�me si le ph�nom�ne est apparu tr�s rarement dans l'histoire de l'humanit�, il arrive que la langue vaincue finisse par gagner sur la langue dominante. De fa�on exceptionnelle, elle peut m�me assimiler celle des vainqueurs. C'est le cas de la langue des guerriers normands des IXe et Xe si�cles qui ont perdu leur langue (le vieux norrois) pour adopter celle des vaincus (l'ancien fran�ais). Auparavant (Ve et VIe si�cles), les Francs avaient conquis la Gaule, mais ils avaient perdu leur langue germanique en l'espace de quelques g�n�rations.

De leur c�t�, les Wisigoths, comme plusieurs peuples germaniques, ne purent imposer leur langue, le wisigoth, apr�s avoir conquis l'Espagne au Ve si�cle de notre �re. Le wisigoth �tait d�j� passablement romanis� � cette �poque, alors que les Wisigoths adopt�rent plut�t celle du vaincu, une langue qui n��tait plus le latin d�origine, car celui-ci s��tait d�j� beaucoup transform�; ce n'�tait plus du latin, mais du roman, sauf au Pays basque o� le basque, une langue pr�-indo-europ�enne, s'est maintenu, prot�g� par les montagnes. Il n'en demeure pas moins que le choc des armes s'av�re presque toujours fatal pour l'une des langues en pr�sence et qu'il peut entra�ner pour l'une d'elle dans un long d�clin dont l'issue peut �tre l'extinction.

2) La faiblesse num�rique

Si la puissance d�mographique contribue � l'expansion des langues, la faiblesse num�rique entra�ne la r�gression des langues. Dans certains cas extr�mes, une langue dispara�t parce que tous ses locuteurs ont disparu, par mort naturelle. Ainsi, de nombreuses langues autochtones ne comptent que 5, 10 ou 20 locuteurs tous �g�s de plus de 50 ans. Par exemple, en �quateur, il ne restait plus � la fin de 1999 que cinq locuteurs du zaparo, et il s�agissait de personnes tr�s �g�es et vivant � plusieurs jours de marche les unes des autres; il est �vident que cette langue, comme d�ailleurs des centaines d�autres, auront totalement disparu dans quelques ann�es lorsque sera d�c�d� le dernier survivant.

Pour r�sumer, on estime que le seuil de survie d�une langue est plac� � environ 100 000 locuteurs et que la survie d'une langue est pr�caire d�s qu'elle est parl�e par moins d'un million de locuteurs. Or, la plupart des 7100 langues du monde sont parl�e par moins de 100 000 locuteurs. Toutefois, une petite communaut� linguistique peut survivre pendant longtemps si elle vit isol�e et concentr�e, par exemple, dans des for�ts, des montagnes ou des �les, � l'abri d'une langue dominante. En ce d�but du XXIe si�cle, un tel isolement physique et social est appel� � devenir de plus en plus rare, voire � peu pr�s impossible.

Cela �tant dit, une langue dispara�t g�n�ralement parce qu�elle n�a plus suffisamment de locuteurs pour assurer un minimum de communication, mais surtout, et c�est l� le ph�nom�ne le plus important, parce que les locuteurs acceptent ou choisissent de l�abandonner ou de ne plus la transmettre � leurs enfants. Autrement dit, parce qu�elle n�est plus jug�e utile pour communiquer. D�s lors, avec la langue dispara�t une partie du patrimoine de l�humanit� dans la mesure o� une langue incarne une vision du monde, c�est-�-dire une fa�on de v�hiculer le savoir.

2.1 La dispersion d�mographique

L'une des pires situations pour une langue num�riquement faible, c'est l'�parpillement de ses locuteurs sur de vastes �tendues de territoire domin�es par une langue majoritaire. La dispersion g�ographique peut alors �tre fatale parce qu'elle contribue � r�duire les forces de r�sistance � la langue dominante. Prenons le cas des Frisons aux Pays-Bas et en Allemagne. Ceux-ci parlent une langue germanique, assez proche de l�anglais, qui est parl�e dans trois r�gions r�parties entre les Pays-Bas et l�Allemagne. Aux Pays-Bas, on compte quelque 400 000 locuteurs du frison dans la province de la Frise, environ 10 000 � 12 000 locuteurs dans la province de Groningue, ainsi que dans deux r�gions en Allemagne du Nord: quelque 9000 locuteurs dans le Land du Schleswig-Holstein et environ 2000 dans le Land de Basse-Saxe. Or, toutes ces langues frisonnes se sont fragment�es en dialectes diff�rents. De plus, la dispersion d�mographique des Frisons entra�nera, relativement � court terme, l�extinction des frisophones en Allemagne ainsi que ceux de la province de Groningue (Pays-Bas).

Relevons un autre exemple avec le cas des 900 000 Qu�b�cois francophones qui se sont r�fugi�s aux �tats-Unis entre 1840 et 1930. Ceux-ci ont non seulement affaibli le poids des francophones au Qu�bec, mais ils ont �galement perdu toute r�sistance � la force d'attraction de l'anglais en se fondant dans la majorit� anglophone. C'est pourquoi le sort des francophones hors Qu�bec est pr�occupant dans la mesure o� leur dispersion dans l'ensemble anglo-canadien les rend extr�mement vuln�rables � l'assimilation. En somme, si l'exode � l'�tranger favorise les langues fortes, il affaiblit les langues minoritaires qui perdent alors leur r�sistance. Il ne faut jamais oublier qu'une langue ne vit bien que lorsqu'elle est fortement concentr�e sur un territoire.

2.2 L'immigration �trang�re

L'immigration �trang�re massive est n�faste pour une langue minoritaire au plan national mais majoritaire localement, car elle peut minoriser un groupe linguistique sur son propre territoire. Ainsi, les Hawa�ens d'origine ont subi l'assaut de la minorisation au moyen de vagues d'immigration successives; de 1878 � 1890, la proportion d'Hawa�ens �pure laine� est pass�e de 81 % � 45 %, puis � 36 % en 1896, 24 % en 1900, 20 % en 1910, 13 % en 1930. Aujourd'hui, ces Polyn�siens indig�nes ne forment plus que 1,5 % de la population. La minorisation par submersion a �t� pratiqu�e ailleurs avec succ�s aupr�s de groupes autochtones, notamment par les Am�ricains, les Russes, les Chinois, les Britanniques, les Fran�ais, les Espagnols, les Portugais, etc.

2.3 Les mariages mixtes et la d�natalit�

D'autres facteurs � caract�re d�mographique contribuent �galement � la disparition des langues faibles: les mariages mixtes (ou exogamie) et la d�natalit�. Si les mariages exogames favorisent les langues fortes, c'est �videmment l'inverse pour les langues minoritaires, car l'exogamie acc�l�re la tendance � l'assimilation; le cas des francophones hors Qu�bec en est un exemple probant, leur taux d'assimilation variant de 30 % � 90 %. D'ailleurs, c'est l'exogamie qui explique que les Francs  et plus tard, les Normands (Vikings), vainqueurs et minoritaires, se sont assimil�s aux vaincus; les enfants issus des mariages mixtes entre p�res francs et m�res gallo-romaines ont naturellement appris la langue maternelle, le fran�ais.

Quant � la d�natalit�, elle ne r�duit pas � court terme la vitalit� d'une langue si le r�servoir d�mographique est suffisamment dense: par exemple, 50, 80 ou 100 millions de locuteurs. M�me si le taux de f�condit� est inf�rieur au seuil de renouvellement des g�n�rations aux �tats-Unis, en France, en Italie, en Allemagne f�d�rale, les cons�quences de la d�population demeurent, pour l'instant, minimes pour ces pays, qui comptent sur un grand nombre de locuteurs et qui assimilent leurs minorit�s.

Par contre, pour les groupes minoritaires, un faible taux de natalit� a pour effet d'accentuer le d�clin d�mographique et, par voie de cons�quence, de r�duire dangereusement les facteurs de r�sistance; l'exemple du Qu�bec est frappant � cet �gard. Cela dit, il est probable que l'Occident aura � assumer un jour les cons�quences de sa sous-f�condit�, ce qui entra�nera une r�duction de la puissance des langues comme l'anglais, le fran�ais, l'allemand, etc. Mais le d�clin de ces langues dans le monde risque d'�tre lent.

3) La domination socio-�conomique

La r�gression d'une langue d�pend aussi de la place que ses locuteurs occupent dans les rapports socio-�conomiques. Une langue minoritaire doit souvent s'en remettre au groupe dominant pour assurer son d�veloppement �conomique. Le breton en France et le gallois au Royaume-Uni illustrent le d�clin rapide et catastrophique de langues soumises � un changement social radical provoqu� de l'ext�rieur. Tant que la Bretagne et le pays de Galles sont rest�s des soci�t�s agricoles prot�g�es par l'isolement relatif de leur r�gion, le breton et le gallois se sont maintenus malgr� la pression linguistique, francisante ou anglicisante, de l'�cole, de l'administration et du gouvernement.

3.1 L'int�r�t �conomique

C'est la prosp�rit� �conomique qui a attir� les populations bretonnes et galloises vers les zones urbaines o� r�gnait la langue dominante; en m�me temps, les r�gions p�riph�riques �taient dirig�es par des chefs d'entreprises qui ne parlaient, selon le cas, que le fran�ais ou l'anglais. Les changements socio-�conomiques ont donc propuls� les locuteurs bretons et gallois dans un univers culturel nouveau sur lequel ils n'ont eu � peu pr�s aucune prise. En moins d'une g�n�ration, le breton et le gallois ont perdu une bonne moiti� de leurs locuteurs � la suite de l'industrialisation, de l'urbanisation et des brassages de population. Puis l'apathie a fait le reste.

En fait, la prosp�rit� �conomique de la langue dominante et le sous-d�veloppement �conomique de la langue domin�e �touffent cette derni�re en pla�ant ses locuteurs dans une position sociale les obligeant � utiliser la langue dominante afin d'am�liorer leur niveau de vie. C'est ce qui fait dire au politicologue Jean-A. Laponce:

Lorsqu'une communaut� d�cide que le co�t du maintien de sa langue n'a plus de contrepartie suffisante sous forme de gains sociaux et psychologiques, la langue dispara�t, comme a disparu le celte du Yorkshire qui n'est plus employ�, pratiquement, que pour compter les moutons. (Langue et territoire, PUL, 1984, p. 57).

Seul l'int�r�t �conomique explique que des communaut�s abandonnent leur langue pour une autre qu'elles jugent plus rentable. Si la pression exerc�e par la langue la plus forte en raison de son utilit� �conomique se maintient pendant une longue p�riode, le groupe minoritaire finira pas achever lui-m�me l'�uvre de destruction de sa propre langue, et ce, malgr� l'attachement qu'il lui porte. L'un des cas les plus connus de mutations linguistiques successives concerne celui des Kamassiens. Ce peuple de Sib�rie a chang� de langue trois fois en 50 ans. En effet, les Kamassiens parlaient originellement une langue samoy�de (le kamassien); ils ont commenc� � parler le turc vers 1840 et ne parlaient plus que cette langue 20 ans plus tard; � partir de 1890, les Kamassiens avaient d�j� abandonn� le turc pour le russe.

3.2 Le prix du d�veloppement �conomique

Le poids social et �conomique de la langue forte peut �tre tel que les langues faibles ne peuvent pas lui r�sister � moins de demeurer enferm�es dans un ghetto linguistique et de s'isoler totalement. Les groupes minoritaires qui refusent de s'isoler doivent alors accepter de perdre leur langue. N'oublions pas que le maintien d'une langue faible aux c�t�s d'une langue forte se fait in�vitablement au prix du d�veloppement �conomique et que le d�veloppement �conomique se fait aussi aux prix de la langue faible. Dans une situation de concurrence linguistique, l'am�lioration du niveau de vie passe souvent par la r�gression de la langue subordonn�e.

4) L'impuissance politique

Les langues les moins � m�me de survivre sont celles qui n'exercent pas le contr�le d'un �tat, d'un gouvernement ou, � d�faut, d'un territoire qui leur soit propre. Toute langue qui ne d�tient pas un quelconque pouvoir politique et qui ne dispose pas d'un statut reconnu se place n�cessairement dans une position pr�caire de survie.

4.1 Les langues sans �tat

Les langues sans �tat, celles qui ne b�n�ficient d'aucune autonomie politique ou qui ne partagent aucun pouvoir politique, doivent leur maintien � la bonne volont� de la majorit� dominante. Comme la grande majorit� des quelque 6700 langues du monde demeurent sans �tat  moins d'une centaine b�n�ficie de l'appui d'un �tat comme langue officielle ou co-officielle, on comprend que l'avenir de la plupart des langues est incertain. Les langues sans �tat sont des langues d�sarm�es, souvent sans force d�mographique et �conomique influente, sans statut reconnu, et elles sont donc refoul�es vers des domaines comme la religion, la vie familiale, l'agriculture, les relations interpersonnelles, c'est-�-dire les communications non institutionnalis�es.

L'�tat peut agir facilement sur les langues minoritaires qui ne b�n�ficient d'aucun pouvoir politique. Un grand nombre de langues assistent impuissantes � leur propre liquidation dans une sorte de d�culturation � l'�gard du patrimoine ancestral et de dissolution dans la �civilisation� moderne. C'est le cas des langues am�rindiennes, des langues des aborig�nes australiens, des langues pal�o-sib�riennes de Russie, de la langue des A�nous du Japon, des Bochimans et des Hottentots du Sud de l'Afrique, de celle de nombreux peuples m�lan�siens et polyn�siens d'Oc�anie, des francophones de la Louisiane, de la Vall�e d'Aoste et de la plupart des provinces anglaises du Canada, du breton en France, de l'�cossais au Royaume-Uni, etc. Toutes ces langues ne disposent, � toutes fins utiles, d'aucun pouvoir politique, m�me si elles occupent un territoire depuis plusieurs si�cles. Certains peuples doivent m�me subir la r�pression comme les Berb�res en Alg�rie, les Kurdes en Turquie, en Iran et en Irak, les Papous d'Indon�sie, les Kar�nes de Birmanie, etc.

4.2 La d�possession politique

L'�tat peut �tre tellement fort qu'il arrive � d�poss�der une langue majoritaire de tout pouvoir politique et de tout statut. Lorsque le duc de Normandie, Guillaume le Conqu�rant, envahit l'Angleterre au XIe si�cle, il fit du fran�ais la seule langue officielle de la cour et de l'administration royale; pendant les trois si�cles qui suivirent, la classe dominante a parl� et �crit en fran�ais, les classes domin�es ont parl� anglais. C'est seulement en 1363 que, pour la premi�re fois, l'anglais fut introduit au Parlement de Londres. La guerre de Cent ans entre la France et l'Angleterre avait fait du fran�ais la langue de l'ennemi et l'anglais celle de l'identit� britannique.

La conjonction des conflits militaires et du pouvoir politique peut donc produire un impact sur le destin des langues. Dans cette premi�re partie du XXIe si�cle, on assiste encore davantage qu'auparavant � cette d�possession d'une langue majoritaire par une autre qui d�tient le pouvoir politique. Il en est ainsi du chinois ta�wanais � Taiwan, du javanais en Indon�sie, de l'afar � Djibouti, du swahili au Za�re, du bemba en Zambie, du visayan aux Philippines, du mossi au Burkina Faso, du peul en Gambie, etc. Dans tous ces pays, et dans bien d'autres, c'est une langue minoritaire ou �trang�re qui domine, souvent le chinois, le fran�ais, l'anglais, etc. Dans plusieurs pays, l'�tat ne cherche pas � prot�ger la langue majoritaire; au contraire, il favorise la langue coloniale ou une langue parl�e par une minorit� de la population. Ces exemples d�montrent l'effet protecteur du contr�le politique dans la vie et la mort des langues.

4.3 Les �tats non souverains

Il faut des structures politiques pour exercer une influence sur une langue. Les langues des peuples d'�tats politiquement non souverains sont d�savantag�es dans la mesure o� les �lites politiques peuvent plus difficilement contr�ler leur destin linguistique. Ces langues sont soumises � la volont� d'un gouvernement central plus fort, qui peut renverser les d�cisions du pouvoir r�gional. Il n'est d'ailleurs pas rare qu'on assiste � un v�ritable sabotage de la part du gouvernement central � l'�gard de la langue majoritaire � l'�chelle r�gionale mais minoritaire au plan national. Il est, en effet, mal per�u pour un �tat r�gional de trop prot�ger sa langue locale parce que toute mesure de protection � cet �gard risque de se faire aux d�pens de la langue nationale majoritaire; ce qui est inacceptable pour la majorit�, qui d�tient le pouvoir central. Le cas est manifeste en Espagne pour les r�gions autonomes de la Catalogne (catalan), du Pays valencien (catalan), des �les Bal�ares (catalan) et du Pays basque (basque), en Italie pour le Val-d'Aoste (fran�ais), la province de Bolzano dans le Trentin-Haut-Adige (allemand) et le Frioul-V�n�tie-Julienne (slov�ne), au Canada pour le Qu�bec (fran�ais).

Les langues semi-�tatiques (�tats non souverains) de ces peuples minoritaires ont, pour la plupart, la pr�s�ance sur leur territoire, ce qui leur donne tout de m�me un avantage consid�rable par rapport aux langues sans �tat. Plusieurs sp�cialistes consid�rent m�me la situation des langues minoritaires sous-�tatiques comme des mod�les de protection linguistique. N�anmoins, l'effet protecteur d'un �tat non souverain ne peut se comparer aux petites langues �souveraines� des pays scandinaves telles que le danois, le norv�gien, le su�dois, l'islandais et le finnois. Ces petites langues vont se maintenir contre vents et mar�es aussi longtemps qu'elles continueront � contr�ler le pouvoir politique de leur �tat respectif. Cette protection semble moins assur�e pour la Catalogne, le Qu�bec et encore moins pour le Val-d'Aoste, et ce, parce que les fronti�res linguistiques demeurent perm�ables � la langue majoritaire nationale.

Ainsi, l'avenir des langues sans �tat ou sans gouvernement demeure toujours pr�caire parce que ces langues demeurent � la merci de celle qui contr�le le pouvoir politique, particuli�rement lorsqu'il s'agit d'un �tat fort et peu dispos� � partager son pouvoir (France, Royaume-Uni, �tats-Unis, Chine, Indon�sie, etc.). Dans ces pays, l'�tat central n'a m�me pas � supprimer les langue minoritaires; en pratiquant simplement la non-intervention, il peut compter sur l'apathie pour esp�rer l'extinction de celles-ci sur son territoire.

5) L'imp�rialisme culturel

L'imp�rialisme culturel est le r�sultat d'un rapport de force qui joue en faveur d'une langue dominante, laquelle contr�le � la fois le nombre des locuteurs et le pouvoir �conomique g�n�rateur de produits culturels. La domination culturelle s'�tend de l'�cole jusqu'aux produits v�hicul�s par les moyens technologiques tels le cin�ma, la radio, la t�l�vision et l'informatique.

5.1 L'�ducation

Les groupes minoritaires qui ne disposent m�me pas de l'�cole pour promouvoir leur langue n'ont pratiquement aucune chance de survie. Ainsi, les francophones hors Qu�bec, qui n'ont pas acc�s � l'�cole fran�aise sous pr�texte que leur nombre ne le justifie pas, sont certes plac�s dans une situation pr�caire. Si les minorit�s qui n'ont pas acc�s � l'�cole dans leur langue sont menac�es, � plus forte raison les langues non �crites sont-elles vou�es � l'extinction. C'est pourtant le cas de la plupart des langues du monde. Parmi celles qui sont �crites, il faut consid�rer que les langues qui ne sont ni normalis�es ni codifi�es pourront difficilement r�sister � la puissance des langues fortes. Par exemple, les paysans qu'on alphab�tise en bambara au Mali ne trouvent � peu pr�s rien � lire ni chez les marchands de journaux ni dans les biblioth�ques; il en r�sulte que l'information ne se transmet, � toutes fins utiles, que dans la langue coloniale, le fran�ais. Autrement dit, une langue �crite qui ne g�n�re pas de produits culturels ne sert pratiquement � rien.

5.2 Le cin�ma, la chanson et l'Internet

L'anglais est non seulement la langue maternelle de quelque 350 millions de locuteurs, mais il est aussi devenu la langue des communications internationales. C'est que l'usage de l'anglais est stimul� par les succ�s de la culture, de l'�conomie et de la diplomatie am�ricaines. Dans le domaine culturel, le cin�ma, la chanson et l'Internet sont les grands propagandistes des valeurs am�ricaines dans le monde entier. Selon l'institut de statistique de l'Unesco, les dix plus grands producteurs de films dans le monde sont dans l'ordre, l'Inde, les �tats-Unis, la Chine, le Japon, le Royaume-Uni, la France, la Cor�e du Sud, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie, ce qui repr�senterait 64 % de toute la production mondiale. Toutefois, d'autres pays b�n�ficient de productions non n�gligeables: la Russie, le Mexique, l'Indon�sie, le Br�sil, l'Argentine, le Nigeria, la Turquie et les Philippines. Ce sont donc les langues de ces pays qui ont la possibilit� de prendre de l'expansion hors de leurs fronti�res. Les locuteurs des plus petites langues vont en venir � consid�rer que leur langue constitue un frein � l'expansion de leurs propres productions cin�matographiques. D�s lors, ils songeront � utiliser une langue forte comme l'anglais, l'espagnol, le russe, le fran�ais ou l'hindi, ce qui par voie de cons�quence nuira en m�me temps � leur propre langue.

Quant � la chanson am�ricaine, elle est tellement diffus�e partout dans le monde qu'elle �clipse les productions locales. La diffusion de la chanson populaire anglo-am�ricaine est devenue tellement pr�pond�rante dans le monde que, dans un tr�s grand nombre de pays, les productions dans la langue nationale ont simplement cess� d'exister, par exemple en su�dois, en n�erlandais, en malais, en swahili, etc. Seuls les plus gros pays tiennent encore le coup: la Chine, la Russie, l'Allemagne, la France, l'Italie, le Br�sil, etc. Avec le temps, les locuteurs des autres langues finissent par rel�guer leurs productions au r�le de folklore. Finalement, les locuteurs, notamment les jeunes g�n�rations, en arrivent � ne consommer que les productions d'un seul pays dont la langue n'est pas la leur.

Le succ�s d'Internet symbolise � la fois la domination technologique, linguistique et culturelle des �tats-Unis. Cet outil sert � diffuser de l'information, mais �galement � procurer du divertissement. Alors que rien dans l'architecture informatique du r�seau ne s'oppose � l'usage de quelque langue que ce soit, certaines langues deviennent des instruments privil�gi�s (en 2020), notamment l'anglais (25,9%), le chinois (19,4%), mais aussi l'espagnol (7,9%), l'arabe (5,2%), le portugais (3,7%), le fran�ais (3,3%), le russe (2,%). Finalement, l'ensemble de toutes les autres langues atteint les 30%. D'apr�s les statistiques de l'Internet World Stats (2019), il appara�t qu'avec seulement dix langues (anglais, chinois mandarin, espagnol, arabe, portugais, japonais, russe, malais, fran�ais et allemand), il est possible d'atteindre et de communiquer avec 73,6% de tous les internautes du monde, un pourcentage tr�s impressionnant. Par cons�quent, ce petit nombre de langues sur l'Internet a pour effet de rendre invisibles les autres langues.

5.3 Les langues moins fortes

Le d�fi pour les plus petites langues consiste � la fois � se d�fendre contre l'imp�rialisme des grandes langues et � exceller sur leur terrain, m�me si elles ne disposent ni du nombre ni des m�mes ressources �conomiques et technologiques. Viser les standards internationaux peut �tre suicidaire pour les petites langues en raison du prix � payer en cas d'�chec. Dans le cas contraire, c'est l'asphyxie culturelle et la mort lente des langues qui auront manqu� le train.

Les peuples minoritaires qui utilisent massivement la langue et la culture des autres deviennent d�pendants et an�mient leur propre langue en contribuant par surcro�t � l'expansion des langues fortes. C'est comme si les locuteurs des langues moins fortes �taient complices de leur propre liquidation! Les Am�ricains ont compris qu'ils ont plus de chances de conqu�rir le monde par leur pr�pond�rance culturelle, g�n�ratrice de d�veloppements �conomiques, que par les conqu�tes militaires. L'histoire nous montre que seuls les peuples qui disposent d'un poids culturel fond� sur des institutions stables, un r�seau d'�coles et des traditions �crites, r�ussissent � survivre, m�me apr�s avoir �t� conquis par les armes.

6) Le processus de la mort des langues

La mort d'une langue n'est pas subite, sauf dans le cas d'un g�nocide o� l'on supprime plus ou moins instantan�ment tous les locuteurs de la langue. Le premier sympt�me de la r�gression d'une langue appara�t quand un peuple commence � ne plus utiliser sa langue, quand il l'abandonne pour la remplacer par une autre qu'il estime plus rentable. Ce processus se d�roule en des phases provisoires de bilinguisme variable mais de plus en plus g�n�ralis�.

6.1 Le bilinguisme social

En soi, le bilinguisme ne constitue ni une maladie ni une vertu, et il n'est jamais la cause de la disparition d'une langue. C'est simplement un moyen que prend un peuple pour changer de langue parce que la premi�re ne lui appara�t plus utile.

Dans la phase initiale de r�gression, la minorit� est persuad�e qu'apprendre la langue de la majorit� enrichira sa vie culturelle, lui assurera un meilleur d�veloppement �conomique, l'ouvrira vers l'internationalisme contemporain et lui �vitera un repliement sur soi. Le probl�me, c'est que le bilinguisme social est presque toujours assum� par les seuls minoritaires parce qu'il leur appara�t une n�cessit�; par contre, le bilinguisme est inutile pour les majoritaires � moins qu'il ne s'agisse d'une pure coquetterie culturelle. Autrement dit, le bilinguisme social �tendu plus ou moins � toute une communaut� est le fardeau de la minorit�, � peu pr�s exclusivement.

Le type de bilinguisme qui pr�vaut dans l'extinction des langues ne correspond ni au bilinguisme individuel ni au bilinguisme institutionnel, mais � un bilinguisme social g�n�ralis� dans toute une communaut�; on peut alors parler de �bilinguisme ethnique�. Le bilinguisme individuel est un ph�nom�ne isol� qui ne remet pas en cause les fonctions dominantes de la langue maternelle dans la vie sociale; un individu qui pratique un bilinguisme instrumental dans des fonctions limit�es et bien d�termin�es ne court aucun risque de perdre sa langue. Le bilinguisme institutionnel, pour sa part, permet � chacun des groupes en pr�sence de pratiquer l'unilinguisme, laissant � l'�tat le fardeau du bilinguisme au sein des organismes qu'il contr�le.

Mais si le bilinguisme favorise la langue seconde dans la plupart des r�les sociaux strat�giquement importants, l'individu bilingue met sa langue en danger. La non-utilisation de sa langue maternelle entra�nera une perte d'habilet� linguistique et une perte de l'identit� culturelle. Si cet �tat de bilinguisme s'�tend � toute une communaut�, la mutation linguistique est imminente. La caract�ristique de ce bilinguisme social �volue dans le temps dans une direction unique, avec de plus en plus de personnes, pour de plus en plus de fonctions, jusqu'au moment o� toute la communaut� utilise la langue seconde pour tous les besoins usuels de la vie quotidienne. La langue maternelle ne subsiste plus alors qu'� l'�tat r�siduel tout en �tant fortement impr�gn�e de la langue dominante.

Cette mutation linguistique (ou assimilation) est favoris�e par deux forces convergentes. En effet, entrent en jeu � la fois l'attraction de la langue dominante et la pression sociale du groupe minoritaire vers cette m�me langue. L'attraction se manifeste par les avantages �conomiques et culturels que retire la minorit�, alors que la pression sociale se traduit par l'ensemble des fonctions que choisit cette communaut�: la langue d'enseignement, la langue de travail, la langue des loisirs, la langue de l'information, etc.

La dur�e du bilinguisme transitoire est d�termin�e par le nombre et l'importance des pressions exerc�es sur la langue maternelle. Si toutes les fonctions de communication s'orientent vers la langue �trang�re, la mutation linguistique sera rapide et la mort in�vitable. La situation des francophones hors Qu�bec peut servir � illustrer toutes les phases du processus de la mort des langues, en passant du bilinguisme individuel isol� (Nord du Nouveau-Brunswick) au bilinguisme ethnique �tendu � toute la communaut� (Terre-Neuve, Nouvelle-�cosse, Sud de l'Ontario).

6.2 L'assimilation dans l'espace

On peut r�sumer sch�matiquement le processus de l'assimilation ou de remplacement de la langue dans l'espace selon quatre �tapes. L'assimilation commence avec le bilinguisme syst�matique de l'�lite sociale pendant que la masse demeure unilingue. Puis celle-ci devient progressivement bilingue dans les villes, alors que la population des campagnes reste unilingue. Les villes �voluent ensuite vers un bilinguisme grandissant, tandis que le bilinguisme gagne les zones rurales. Lors de la derni�re �tape, celles-ci passent massivement � l'unilinguisme tout en ne laissant subsister que quelques �lots bilingues.

Linguistiquement parlant, la langue domin�e voit son syst�me phon�tique se fondre lentement dans la langue dominante, ses phrases se calquent sur celles de l'autre langue, son lexique est absorb� graduellement. La langue meurt par transformation, absorb�e par la langue dominante, et ce, tant dans son syst�me linguistique que dans son statut et dans la r�duction de ses locuteurs.


Toutefois, contrairement � ce qu'on peut croire, le processus de la mort d'une langue n'est pas n�cessairement irr�versible. La langue n'est pas un organisme biologique qui na�t, vit plus ou moins longtemps et meurt. C'est une r�alit� sociale qui peut faire fi des d�terminismes biologiques.

L'histoire nous apprend aussi qu'une langue faible peut avoir raison d'une langue forte. Ainsi, au VIIIe si�cle, l'anglais a bien failli dispara�tre au profit du norrois des Vikings; ceux-ci n'avaient plus que quelques batailles � livrer pour �liminer compl�tement les Anglo-Saxons. L'anglais est demeur� une langue faible jusqu'au XVIIe si�cle et plusieurs �sp�cialistes� s'�taient m�me risqu� � pr�dire sa mort prochaine; on conna�t la suite de l'histoire!

� partir du XVIIIe si�cle, nombreux �galement sont ceux qui ont pr�dit la mort du fran�ais en Am�rique du Nord ; or, en ce XXIe si�cle, le fran�ais, du moins au Qu�bec, n'a jamais paru aussi fort, car il a r�ussi � contr�ler quelque peu la dominance de l'anglais sur son territoire, mais cette r�ussite peut �tre de courte dur�e, il suffit de baisser la garde pour que tout revienne comme avant. En Alg�rie, l'arabe a �t� une langue domin�e par le fran�ais pendant 150 ans; aujourd'hui, c'est le fran�ais qui est en train de perdre du terrain, mais pas sur toute la ligne.

L'exemple le plus frappant concerne l'h�breu. Celui-ci a cess� d'�tre utilis� comme langue parl�e d�s le IIe si�cle de notre �re. D�clar�e langue morte, l'h�breu a pu rena�tre de ses cendres quelque 1700 ans plus tard pour devenir la langue officielle d'un �tat qui, malgr� ses 8,7 millions (2018) de locuteurs, conserve une vitalit� enviable et tout aussi comparable au danois, au su�dois, au norv�gien, au finnois, etc.

On constatera que la vitalit� et la mort des langues ne sont jamais des donn�es acquises une fois pour toutes. Le processus d'assimilation, pr�lude � la mort d'une langue, peut s'arr�ter en cours d'�volution, mais il faut avouer qu'il s'agit d'un ph�nom�ne peu g�n�ralis�. La tendance normale est que, une fois le processus de la r�gression amorc�e, la vie d'une langue suit un d�clin plus ou moins long avant de s'�teindre d�finitivement.

Derni�re mise � jour: 17 d�c. 2023

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