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Le milliardaire, le roi d’Angleterre et les nazis

LA CHRONIQUE D’ARTHUR CHEVALLIER. Un récent livre retrace le sinueux parcours de Charles Bedaux, fils de cheminot, proche des nazis et d’Édouard VIII et devenu l’une des plus grosses fortunes des États-Unis.

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De gauche à droite : le duc (le roi déchu Édouard VIII)  et la duchesse de Windsor, ainsi que madame et monsieur Charles Bedaux. 
De gauche à droite : le duc (le roi déchu Édouard VIII)  et la duchesse de Windsor, ainsi que madame et monsieur Charles Bedaux.  © AP/SIPA / SIPA / AP/SIPA

Temps de lecture : 4 min

Le contraire de la décadence n'est pas le succès, mais la décence. L'absence de discipline va de pair avec un effondrement de la morale. Non pas de la morale publique (encore que), mais de la morale individuelle, d'une dignité du quotidien, laquelle requiert un empêchement vis-à-vis de soi-même et de ses vices.

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Autrement dit : quand on fait n'importe quoi, bien souvent, c'est qu'on vit n'importe comment. Les régimes politiques, soumis à la même épreuve, se doivent, pour survivre, de limiter les bassesses qu'implique par nature le pouvoir, et de contraindre le désir de tyrannie, cette tentation de toutes les sortes de puissance. Les monarchies d'Ancien Régime qui ont survécu à la modernité ont en général réussi cet exploit. Les Bourbons d'Espagne ont restauré la démocratie, et les Windsor d'Angleterre ne sont pas devenus fascistes. Pourtant, ça n'est pas passé loin.

Fils de cheminot

Thierry Lentz consacre son dernier livre* à Charles Bedaux (1886-1944), un des antihéros les plus sulfureux et fascinants de la fin des années 1930. Ce fils de cheminot, natif de Charenton, a constitué une fortune considérable aux États-Unis, dont il était le cinquième homme le plus riche et où il a inventé, en gros, les cabinets de conseil pour les entreprises, ce que l'on appelle aujourd'hui le consulting.

Dans le sillage de Henry Ford, il imagine une rationalisation optimale du travail des ouvriers, entre productivité, efficacité et rentabilité, le « système Bedaux », adopté à travers le monde. Célébrité d'un monde des affaires triomphant, il accueille dans son château de Candé (Indre-et-Loire) le roi déchu d'Angleterre Édouard VIII.

À LIRE AUSSI Villa Windsor : le palais secret d'Édouard VIII et de Wallis SimpsonProche du leader fasciste Oswald Mosley, sympathisant de Hitler, Édouard répétait un peu trop souvent et un peu trop fort que la monarchie pourrait se passer de parlement. Ce qui ne plaisait pas au Premier ministre, Stanley Baldwin. Le gouvernement aurait pu tolérer un antisémitisme partagé par la haute société britannique, mais pas ses désirs de tyrannie et même, disait-on, la préparation d'un coup d'État.

Bref, tout le monde se mit d'accord pour le pousser à la démission, et le prétexte fut trouvé. Le roi voulait épouser une Américaine divorcée, Wallis Simpson, ce qui était bien sûr intolérable. Édouard abdiqua en novembre 1936. Puis il se maria avec sa fiancée morganatique dans le château de son nouvel ami français, Charles Bedaux. Le couple, désormais connu sous les titres de duc et duchesse de Windsor, reçut des cadeaux du président du Conseil, Léon Blum, mais aussi d'Adolf Hitler et de Benito Mussolini.

Bedaux, de son côté, maintenait de chaleureuses relations avec les hauts dignitaires nazis, du moins celles qui pouvaient lui garantir la poursuite de ses affaires en Allemagne. La complaisance et la frivolité faisaient le reste. En échange de la bienveillance de Berlin, il se fit l'entremetteur d'une des visites diplomatiques les plus sordides du XXe siècle, et de l'histoire de l'Angleterre, celle du couple Windsor en Allemagne.

Le prince le plus bête du monde traversa le pays au bras de généraux de la SS en souriant à des foules fanatisées, honorées de voir une altesse visiter leur Reich alors devenu le caniveau de la civilisation européenne, saluant les travailleurs des usines et louant les vertus du nazisme pour les classes populaires. Et, puisque tout cela devait se terminer par un triomphe, Lentz écrit : « Hitler reçut les Windsor au Berghof. […] Il vint les accueillir au bas du grand escalier, se courbant légèrement pour saluer Édouard, baisant la main de Wallis. »

Terrible mélange des genres

Bedaux, qui aura néanmoins sauvé des juifs et leurs biens, payera cher cet inconséquent mélange des genres. Ses sympathies allemandes pousseront les Américains à le spolier de ses entreprises, les Français à le renier à la fin des années 1930, et sa cupidité à collaborer avec le gouvernement de Vichy. L'oncle d'Amérique, reçu par le président de la République, célébré comme un modèle de réussite, est désormais tenu pour un affairiste corrompu, antisémite, qui s'est enrichi sur le dos des ouvriers. Traître à son pays, et au peuple. Arrêté par les autorités américaines en Afrique du Nord avant d'être transféré à Miami, il se suicide dans sa cellule en février 1944. Quant à Édouard, le sinistre pitre de la famille royale anglaise, il finira la guerre comme gouverneur des Bahamas et terminera sa vie en France.

Charles Bedaux aurait pu être le personnage d'un roman de Paul Morand, qui fut un des premiers écrivains à faire de la délicieuse futilité du monde des affaires des années 1920 un décor de la littérature. La vie de cet aventurier qui, sans penser à faire le mal, en était tout de même le complice est la démonstration de ce que l'insouciance d'aujourd'hui peut devenir le cynisme de demain. Le basculement des années 1930 ne dit rien ou si peu de notre époque. En revanche, il rappelle à une classe dirigeante que l'impunité n'existe pas. Comme l'écrivait Virginia Woolf dans La Tour penchée, « la paix et la prospérité sont les conditions de l'insouciance ; au-delà, elles deviennent de l'inconséquence, un vice que l'histoire ne pardonne pas ».

*Référence livre : Thierry Lentz, Charles Bedaux le magnifique, Paris, Perrin, 2024.

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