LES LANGUES SPÉCIALES SONT-ELLES DES LANGUES ?
La notion de pseudo-langue à travers l'exemple d'une "langue d'initiation" d'Afrique Centrale*
Yves MONINO CNRS - LACITO
On part ici de l'expression "langues spéciales", consacrée par Arnold Van Gennep (1908), pour désigner des formes de parlers propres à un groupe d'âge ou d'activités. Dans la communauté française, cette notion pourra évoquer pêle-mêle le latin d'église, maintenant restreint au clergé intégriste, le verlan, le louchébèm, le javanais, et bien sûr le vaste ensemble de phénomènes langagiers auxquels renvoie le terme d'argot, qu'il s'agisse de l'ancien code hermétique des hors-la-loi urbains de l'Ancien Régime, des actuels argots scolaires, de métiers et de taulards, dont les frontières avec le français sont plus fluides.
Si les locuteurs français ont bien le sentiment que le latin est une langue différente, ils qualifieront plutôt les autres formes de parler cités de « jargons » de métiers, d'étudiants, du Milieu... : langages « corrompus », « déformés », voire « inintelligibles », mais enfin, c'est toujours plus ou moins du français, cela n'entre pas dans la catégorie "langue étrangère". L'expression « langue verte » ne doit pas ici faire illusion : elle ne glose l'argot comme "langue" que par métaphore, un peu comme on parle de la "langue" de Molière ou de la "langue de bois". Une approche
* Ce texte reprend en l'aménageant celui d'une communication faite au colloque Contacts de langue : quels modèles ? (Nice, 28-30 septembre 1987).
langage et société n' 56 -juin 1991