Bertrand BOUCHET

TRIBUS D'AUTREFOIS, KOLKHOZES D'AUJOURD'HUI

II est admis que les identités tribales connaissent une certaine forme de survie dans l'Asie centrale soviétique contemporaine. Ce fait est connu surtout à travers un ensemble hétérogène de publications soviétiques où il apparaît de façon généralement indirecte ou allusive, et en tout cas très partielle. C'est sur cette base, par exemple, qu'Elizabeth Bacon pouvait en faire un tableau dans son livre Central Asians under Russian Rule. A Study in Culture Change [Bacon, 1980 (lre édition, 1966) : 135-137], dans lequel elle soulignait la vigueur de ces identités, et aussi un processus de fusion qui semblait aboutir à l'identification des unités de type tribal avec les collectivités institutionnelles soviétiques, kolkhozes ou brigades. Classés par les orientations de la recherche soviétique dans le domaine des survivances dès qu'il s'agissait de la période socialiste, ces aspects de l'organisation sociale n'ont pas fait l'objet de travaux approfondis et spécifiques, alors même que les chercheurs les observaient inévitablement sur le terrain et s'en servaient dans leur reconstitution des sociétés «traditionnelles» d'avant la collectivisation. Dans une communication de 1 989, Gennadi) Markov, l'une des principales autorités soviétiques dans le domaine des sociétés d'Asie centrale, admettait à propos de la Turkménie, «la conservation dans les sphères spirituelle et idéologique de certains traits traditionnels». «Ils ne sont pas, à l'heure actuelle», poursuivait-il, «dominants ou déterminants, mais ils entretiennent, entre autres, l'endogamie tribale et même parfois des conflits "inter-tribaux" » (Markov, 1990 : 401).

De quelles tribus s'agit-il? Que sont-elles devenues? Au terme de quelle histoire?

L'organisation tribale dont il est question est le système lignager segmentaire caractéristique des populations de pasteurs nomades, ou d'anciens pasteurs noma-

RE.MM.M. 59-60, 1991/1-2