Titraille blanche sur bandeau rouge, les prix littéraires de l’automne bercent nos cœurs d’une langueur monotone, peut-être… Mais pour les auteurs et les éditeurs, ces récompenses, éléments clefs de la rentrée littéraire, imposent leur rythme, au fil des sélections. Ils deviennent pour les lecteurs hésitants des valeurs refuges, rassurantes, même, ou a minima, des objets d’attention. Avec de belles retombées économiques pour l'industrie. Détails.
Le 02/01/2021 à 11:17 par Nicolas Gary
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Publié le :
02/01/2021 à 11:17
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En s’appuyant sur les données de ventes de GfK*, ActuaLitté établit ici un panorama des ventes sur les 7 prix automnaux majeurs. La sélection retient volontairement les plus connus, en pointant les cumuls en volume et en valeur. « Il est bien difficile de dire quelle est la part exacte qui revient aux prix dans l’ensemble des ventes très fortes à cette période — aux environs du quart du chiffre d’affaires global de ventes de livres sur les seuls mois de novembre-décembre — mais assurément cette part liée aux prix est forte, sinon déterminante », assurait l’universitaire Olivier Bessard-Banquy, à ActuaLitté.
Évidemment, le montant évoqué en euros ne représente pas la somme gagnée par l’auteur, laquelle dépend de son avance sur ventes, ainsi que du pourcentage de droits d’auteurs contractuellement validé.
Voici donc pour 2020 :
Prix Goncourt : L’Anomalie d’Hervé Le Tellier
439.405 exemplaires — 8,64 millions € : « Une vraie documentation, riche et précise, qui accentue l’effet de réalisme et donne aux personnages de la crédibilité (si votre rêve de gosse est de devenir tueur à gages, c’est un manuel de formation) ; un sens de la narration incontestable qui donne au lecteur l’envie de tourner les pages (y compris dans la première partie : soit on accélère, soit on abandonne) ; et enfin, un sujet qui donne envie de réfléchir. » ActuaLitté était conquis.
Prix Femina : Nature humaine de Serge Joncour
93.871 exemplaires — 1,94 million € : « Lire Serge Joncour rend le lecteur un tantinet nostalgique d'une période riche, turbulente et stimulante, traumatisante et douloureuse. Une plume trempée d’humanité, au plus près des êtres, pour une brillante évocation de toute la complexité de la dernière partie du vingtième siècle. »
Prix Renaudot : Histoire du fils de Marie-Hélène Lafon
111.626 exemplaires — 1,65 million € : « Parce que Marie-Hélène Lafon connaît bien sa grammaire, sur le bout des doigts, sur le bout de la langue. Sur le blanc de la page, elle s’y attelle avec force et conviction. Elle s’y jette avec gourmandise et délectation. »
Prix du roman Fnac : Betty de Tiffany McDaniel (trad. François Happe)
107.958 exemplaires — 2,81 millions € : « Betty est un récit de vies plurielles. C’est à la fois une danse, un chant, une peinture, une prière, une mémoire brutale et vraie, émaillée de bonheurs, de douleurs, d’émerveillements et de deuils. Betty raconte tout ce que l’être humain peut encaisser de violence et de vie, de bleus à l’âme et au corps. [...] Betty parvient à rendre universels les souvenirs d’une vie, les transformant en hommage aux origines, au courage, à l’espoir et à la famille. »
Prix Médicis : Le Cœur synthétique de Chloé Delaume
39.660 exemplaires – 706.675 €
Prix Interallié : Un crime sans importance d’Irène Frain
34.986 exemplaires – 620.000 €
Grand prix du roman de l’Académie française : La Grande Épreuve d’Étienne de Montety
19.837 exemplaires – 392.781 €
De quoi rassurer les inquiétudes concernant les ventes du prix Goncourt : 2020 sera bien une année exceptionnelle, puisque le roman d’Hervé Le Tellier n’est qu’à quelques dizaines de milliers d’exemplaires des résultats du lauréat 2019.
2020: les 10 meilleures ventes de romans
À elles seules, ces 7 récompenses ont généré plus de 16,75 millions € de chiffre d’affaires, sur une année particulièrement difficile. Mais du fait de la remise tardive de certains prix, la durée de vie des livres se prolongera assurément.
Selon les données du Syndicat national de l’édition, l’année 2019 connaissait une croissance du chiffre d’affaires de 5 %, avec 435 millions d’exemplaires vendus. Soit un CA global de 2,806 milliards € contre 2,67 milliards en 2018. En replongeant dans les données de ventes 2019 (toujours GfK), la comparaison permet de faire ressortir quelques points intéressants :
Prix Goncourt : Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon de Jean-Paul Dubois
366.310 exemplaires — 6,85 millions €
482.141 exemplaires fin 2020
Prix Renaudot : La Panthère des neiges de Sylvain Tesson
350.475 exemplaires — 6,21 millions €
485.420 exemplaires, fin 2020
Prix Interallié : Les Choses humaines de Karine Tuil
127.064 exemplaires — 2,62 millions €
Grand prix du roman de l’Académie française : Civilizations de Laurent Binet
84.141 exemplaires — 1,82 million €
32.353 exemplaires, en format poche sur 2020
Prix du roman Fnac : De pierre et d’os de Bérengère Cournut
47.189 exemplaires – 883.000
20.578 exemplaires, en format poche sur 2020
Prix Femina : Par les routes de Sylvain Prudhomme
45.452 exemplaires – 850.000 €
Prix Médicis : La Tentation de Luc Lang
22.512 exemplaires – 443.000 €
Les prix littéraires de l’année 2019 auront donc réalisé plus 19,67 millions € de ventes — avec le cas Tesson qui rencontrait déjà un succès phénoménal avant même la remise du prix Renaudot. Entre les deux années, on observerait donc une perte de près de 16 % sur les ventes liées aux prix — mais un Renaudot vend, toujours selon GfK en moyenne 219.000 exemplaires. En effet, Sylvain Tesson avait frappé très fort.
VENTES: les 10 livres les plus vendus en 2020
* NDLR : le comparatif repose sur la semaine de vente 52 de l’année 2020 et celle 52 également de l’année 2019, afin de ne pas fausser la comparaison.
Voici deux données complémentaires, concernant le Goncourt des lycéens
Goncourt des lycéens 2020 : Les impatientes Djaïli Amadou Amal
102.926 – 1,72 million €
Goncourt des lycéens 2019 : Les choses humaines, Karine Tuil
(voir chiffres ci-dessus)
Une précision intéressante, puisque réduisant l'écart entre les les sommes qu'ont généré les prix en 2019, comparées à celles de 2020. On bascule en effet sur une somme de 18,47 millions € pour l'an passé, faisant de 2020 une année en recul de 1,2 million €, finalement.
7 Commentaires
Chris
02/01/2021 à 19:09
Lecture en cours de "Betty": découverte inattendue de cette jeune auteure qui nous offre une œuvre exceptionnelle.
Un "prix"dont je conseille vivement la lecture.
Davidoux
03/01/2021 à 00:13
La seule question qui demeure c'est de savoir qui, aujourd'hui, après toutes les révélations sur le prix décerné à Matzneff et le récent article du New York Times révèlant l’entre-soi et le copinage des élites litteraires de notre pays, qui, donc, ose encore imaginer qu'un prix littéraire n'est pas le fruit de connivences et d'ascenseurs à se renvoyer entre gens lettrés et d'influence? Qui?
Paulo
03/01/2021 à 12:18
En effet. De cela on ne dit rien. Et les libraires couvrent. Il n'est dans l'intérêt de personne de révéler quoi que ce soit. Seuls des journalistes indépendants étrangers peuvent se lancer dans l'aventure. Le New York Times a pris la peine, cette année, d'envoyer un reporter sur la Riviera italienne interviewer Matzneff. Espérons que d'autres continueront à enquêter et révéler toutes les formes de l'entre-soi. Cette année, je n'ai pour l'instant lu qu'un seul prix, le Goncourt des Lycéens, et franchement ce n'était pas fameux.
Belaval/Florin
03/01/2021 à 17:13
Il y a longtemps qu'on dit cela; personnellement, je m'en moque un peu sauf quand c'est trop flagrant comme le prix Goncourt de Houellebecq; ce qui m'intéresse, c'est la sortie des livres: de 400 à 500 et rebelote en janvier. Il y a largement de quoi faire son choix parmi les nouveautés: les auteurs que l'on aime et quelques découvertes. Dommage que les statistiques soient liées aux ventes et non aux lectures effectives.
Oliver
03/01/2021 à 20:56
Davidoux peut écrire ce qu'il veut sur les jurys des grands prix et, en particulier, sur celui du Renaudot, il n'empêche que le Renaudot de cette année - "Histoire d'un fils" de Marie-Hélène Lafon - est EXCELLENT. Vrai plaisir de lecture, à consommer sans modération !
Aurtely Gregoire
03/01/2021 à 16:21
Bravo à tous les gagnants de prix littéraires.
Tous ces livres méritent qu'on s'y attarde.
R. Raynal
03/01/2021 à 17:39
Faste pour les éditeurs, beaucoup moins pour les auteurs, qui sont, quels que soient els tirages, les cocus de l'histoire (mais on peut être, comme dit la chanson, cocu mais content).
Exemple : tous les prix tournant autour de 25000 exemplaires annuels vendus. Gros succès. Voire.
L'auteur reçoit une avance (donc des droits en moins, en fait), ce qui permet de conserver un système boiteux où il n'est payé qu'une fois l'an (seul "métier" où les "professionnels" ne sont payés qu'à l'année - si l'éditeur essayait de faire pareil avec un imprimeur, par exemple...) et qui génère nombre de démêlés avec le fisc (sans parler de l'agessa - la "sécu" des auteurs, qui prend mais ne reverse jamais... une mauvaise blague, comme cela a souvent été décrit ici).
Les droits (minables) des auteurs sont voisins de 9%. Mettont 10 %.
Sur 25000 exemplaire à 17 € HT, cela nous fait donc 1,7 x 25000 = 42500 € "bruts"
soit mensuellement 3500 € bruts, dans les 3000 nets.
Ce n'est pas négligeable, mais ce n'est pas tous les ans que l'on a un prix notable... Ce qui veux dire que la plupart du temps, le revenu mensuel de ces "pros", par ailleurs "reconnus" est largement en dessous.
Ce qui explique pourquoi l'immense majorité des auteurs n'est pas "pro", mais conserve un métier par ailleurs (et une couverture sociale - hum...). Et les rares happy fews convié au banquet des grands éditeurs sont si heureux qu'ils se gardent bien de remettre en question ce modèle inique dont certains (éditeurs, jury, copains & coquins germanopratins) pense qu'il va durer autant que les impôts...