Décaméron

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Décaméron
Image illustrative de l’article Décaméron
Illustration du Decameron, 1492
Publication
Auteur Boccace
Titre d'origine
Il Decameron
Langue Italien (florentin)
Parution 1349-1353
Recueil
Le Décaméron
Intrigue
Genre Recueil de nouvelles
Lieux fictifs Florence

Le Décaméron (Il Decameron ou Decameron) est un recueil de cent nouvelles écrites en italien (florentin) par Boccace entre 1349 et 1353.

Titre[modifier | modifier le code]

Le mot Décaméron vient du grec ancien δέκα / déka (« dix »), et ἡμέρα / hêméra (« jour ») ; littéralement, c'est donc le « livre des dix journées »[1].

Résumé[modifier | modifier le code]

Proême[modifier | modifier le code]

Le Décaméron s'ouvre par un bref prodrome[2] (proemio), préambule dans lequel l'auteur parle en son nom propre. On y apprend que, mystérieusement guéri d'un amour obsédant, il a décidé de consacrer un peu de son temps aux plaisirs d'un lectorat principalement féminin.

Première journée[modifier | modifier le code]

La première journée est précédée d'une description de la peste et du récit de la rencontre fortuite des narrateurs des nouvelles.

Peste[modifier | modifier le code]

La première journée commence par une longue introduction dans laquelle Boccace décrit de manière saisissante les ravages effroyables de la peste noire qui a atteint Florence en 1348 et l'impact de l'épidémie sur toute la vie sociale de la cité.

« Combien de vaillants hommes, que de belles dames, combien de gracieux jouvenceaux, que non seulement n'importe qui, mais Galien, Hippocrate ou Esculape auraient jugés en parfaite santé, dînèrent le matin avec leurs parents, compagnons et amis, et le soir venu soupèrent en l'autre monde avec leurs trépassés. »

— Boccace, Le Décaméron, Première journée[3].

Formation de la « brigade »[modifier | modifier le code]

Alors que Florence est décimée, un mardi matin, sept jeunes femmes (amies, parentes ou voisines) de la haute société florentine se trouvent par hasard réunies en l'église Sainte Marie Nouvelle presque déserte. Alors que l'office religieux s'achève, les paroissiennes se mettent à bavarder. Boccace indique qu'il pourrait donner leurs noms exacts, mais afin de dissimuler leur identité par prudence, il a choisi de leur attribuer des noms d'emprunt. Il y a là :

  1. Pampinée (Pampinea), 28 ans, la plus âgée du groupe ;
  2. Flammette (Fiametta) ;
  3. Philomène (Filomena) ;
  4. Émilie (Emilia) ;
  5. Laurette (Lauretta) ;
  6. Néiphile (Neifile) ;
  7. Élissa (Elissa), 18 ans, la plus jeune.

Évoquant la situation sanitaire, Pampinée lance l'idée de se retirer hors de la ville pour protéger à la fois leur santé et leur réputation. Alors que toutes approuvent l'idée, Philomène, « qui était fort sensée », précise Boccace, fait valoir le danger à laisser leur société sans homme pour les régir. Et la jeune Élissa d'appuyer :

« Assurément, les hommes sont les chefs des femmes, et s'ils n'y mettent bon ordre par eux-mêmes nos entreprises ont peu de chances de connaître une fin louable ; mais comment voulez-vous que nous trouvions ces hommes ? Chacune de nous sait bien que la majeure partie des siens sont morts, et que ceux qui sont encore en vie, regroupés çà et là, sans que nous sachions où, en plusieurs compagnies, s'en vont fuyant ce que nous cherchons nous aussi à fuir ; prendre des étrangers ne serait pas convenable. De ce fait, si nous avons souci de notre salut, il nous convient de nous arranger et de prendre nos dispositions pour ne pas voir, alors que nous partons pour notre agrément et notre repos, l'ennui s'ensuivre ou la discorde. »

— Boccace, Le Décaméron, Première journée[4].

Sur ces entrefaites entrent dans l'église trois jeunes gens élégants « dont le cadet n'avait pas moins de 25 ans » :

  1. Pamphile (Panfilos) ;
  2. Philostrate (Filostratos) ;
  3. Dionée (Dioneo).

Les jeunes femmes mettent les garçons au courant de leur projet. Le premier instant de surprise passé, ceux-ci acceptent de les accompagner (d'autant plus volontiers que l'un d'entre eux aimait Néiphile, précise Boccace).

Pampinée est désignée « reine » de la journée et organise le départ. Les domestiques des uns et des autres sont mis à contribution pour assurer l'intendance (cuisine, valets de chambre, etc.)

Le lendemain, mercredi, quittant Florence au point du jour, la brigade se réfugie dans une campagne idyllique à deux milles[5] à peine. Boccace dépeint le lieu comme un paradis terrestre : « Ce lieu était situé sur une montagnette, de tous côtés à l'écart de nos routes […] en haut de la colline s'élevait un palais […] il y avait de petits prés alentour, des jardins merveilleux, des puits aux eaux très fraîches »[6]. La Nature est omniprésente dans le récit et occupe une place centrale pour les personnages ; il est fait mention d'« oiseaux chanteurs, épars sur les vertes ramures », d'« herbes mouillées de rosée », d'une « vaste plaine sur la rosée des herbes », ainsi que d'une « guirlande de laurier » dans « le délectable jardin »[7].

Chaque jour nouveau débute par un lever de soleil poétique et coloré : « L'aurore déjà de vermeille qu'elle était, à l'apparition du soleil, devenait orangée » ou encore « tout l'orient blanchissait » (introductions à la Troisième journée et à la Cinquième journée). On voit en cette nature un univers protecteur où chacun peut trouver le repos de l'âme. Cet univers paisible forme un contraste prononcé avec l'atmosphère infectieuse de la ville contaminée par les épidémies.

La précision des descriptions qui en sont faites dans certains passages rapproche le Décaméron du traité médical : « la propriété de la maladie en question fut de se transformer en taches noires ou livides qui apparaissaient sur les bras, sur les cuisses » ; « presque tous […] dans les trois jours suivant l'apparition des signes mentionnés […] trépassaient » (Introduction à la Première journée).

La confrontation de ces deux aspects opposés que sont l'insouciance de quelques jeunes gens dans un jardin en fleurs et une population décimée par la peste noire, est un exemple de la figure de style dénommée antithèse. C'est, par ailleurs, l'une des tournures majeures du Décaméron.

Règles du jeu[modifier | modifier le code]

Boccace racontant le conte de la cage aux oiseaux
William Turner, 1828
Tate Britain, Londres[8]

Pour se divertir, les personnages instaurent une règle selon laquelle chacun devra raconter quotidiennement une histoire illustrant le thème choisi par le roi ou la reine de la journée. Le premier et le neuvième jour, pour varier, ont un thème libre. Ainsi, dix jeunes gens, narrant chacun une nouvelle pendant dix jours, produisent un total de cent nouvelles. Le titre de l'œuvre indique d'ailleurs cette prééminence du nombre 10 puisque déca signifie 10. Ils se réunissent tous les jours sauf le vendredi et le samedi pour raconter tour à tour une histoire sur le thème choisi la veille.

Organisation des journées[modifier | modifier le code]

Boccace obéit à un cadre structurel précis. Chaque journée est introduite par un court paragraphe qui situe l'action et précise l'identité du roi ou de la reine. Généralement, le roi choisit un thème qui sera développé dans les récits des protagonistes. En outre, chaque journée est introduite par un court résumé qui donne le plan de son déroulement, juste avant la narration des nouvelles proprement dites.

  • Premier jour : reine — Pampinée : « Où l'on parle de ce qui sera le plus agréable à chacun. »
  • Deuxième jour : reine — Philomène : « Où l'on parle de ceux qui, tourmentés par le sort, finissent au-delà de toute espérance par se tirer d'affaire. »
  • Troisième jour : reine — Neifile : « Où l'on parle de ceux qui, par leur ingéniosité, ont obtenu ce qu'ils voulaient, ou ont retrouvé ce qu'ils avaient perdu. »
  • Quatrième jour : roi — Philostrate : « Où l'on parle de ceux qui eurent des amours se terminant par une fin tragique. »
  • Cinquième jour : reine — Flamette : « Où l'on parle des fins heureuses terminant des amours tragiques. »
    Le jardin de la Villa Schifanoia à Fiesole près de Florence.
  • Sixième jour : reine — Elissa : « Où l'on parle de ceux qui évitent dommage, danger ou honte par l'usage d'une prompte réplique. »
  • Septième jour : roi — Dionée : « Où l'on parle des tours que les femmes, poussées par amour ou pour leur salut, ont joué à leurs maris, conscients ou non. »
  • Huitième jour : reine — Laurette : « Où l'on parle des tours que les femmes jouent aux hommes et vice versa, ou que les hommes se jouent entre eux. »
  • Neuvième jour : reine — Émilie : « Où chacun parle de ce qui lui est le plus agréable. »
  • Dixième jour : roi — Pamphile : « Où l'on parle de tous ceux qui agirent en amour ou autre circonstance avec libéralité ou magnificence. »

Introduction à la quatrième journée[modifier | modifier le code]

Quatrième jour, Apologo delle Papere.

Cette introduction est quelquefois considérée comme la cent-unième nouvelle de l'œuvre.

Les nouvelles racontées pendant la quatrième journée sont précédées d’une longue introduction, un texte séparé dans lequel Boccace prend la parole à la première personne. Le propos de Boccace est de réfuter les détracteurs et les censeurs qui pourraient critiquer d'une part son usage d’une langue vernaculaire, d'autre part le caractère immoral de l’œuvre.

Cette introduction à la quatrième journée est connue comme l'apologo delle papere ou comme la novella delle papere (nouvelle des oies). Pour illustrer sa position sur la place de l’éros dans la construction de la société civile, Boccace raconte l’histoire d’un vieil homme, Filipo Balducci, et de son fils, qui vivent isolés dans la campagne de Florence. Quand, au cours d’un voyage à la ville, le fils découvre pour la première fois l’existence des femmes, son père essaie de le protéger en lui disant que ce sont des oies (Elle si chiamano papere). Mais c’est en vain, et le père se rend compte que la nature est plus puissante que l’intelligence (E sentì incontanente piú aver di forza la natura che il suo ingegno)[9].

Thèmes de l'œuvre[modifier | modifier le code]

Illustration d'une édition flamande de 1432

Chaque histoire met en scène des personnages tirés de la réalité contemporaine (marchands, notaires, banquiers, artisans, gens du peuple, paysans installés à la ville etc., mais on rencontre aussi des rois, des chevaliers, des personnages de l'histoire) au moyen de registres variés (comique, pathétique, tragique, héroïque, grotesque, picaresque...). Boccace se concentre donc sur l'être humain, son comportement et ses capacités qui lui permettent de s'adapter aux aléas de la vie et d'en abattre les obstacles. La plupart des personnages font peu de cas des valeurs morales de l'Église, leur préférant le bon sens et l'initiative personnelle pour se sortir des situations difficiles. Ce tableau est aussi le reflet de la nouvelle société bourgeoise de l'époque, dont les valeurs pratiques l'emportent sur l'ordre ancien, chevaleresque et aristocratique. Le comportement des dix conteurs, empreint d'élégance et de courtoisie fondée sur la dignité, le bon goût et le respect, est aussi l'occasion pour Boccace de tracer une esquisse d'un idéal de vie.

Les nouvelles traitent principalement du thème de l'amour aussi bien courtois que vulgaire. La plupart du temps, Boccace en profite pour prendre la défense des femmes. Il montre que leur meilleure arme est la parole, qu'elles savent exploiter correctement. Ici, la question de leur place est cruciale. En effet, la plupart des nouvelles mettent en scène le monde féminin. Cependant, Boccace peut faire preuve d'une vision dépréciative à leur égard ; certaines nouvelles sont de véritables critiques de leur attitude. Par exemple, la septième nouvelle de la huitième journée raconte la vengeance d'un écolier sur une veuve qui lui a joué un mauvais tour. L'écolier en profite pour faire une longue critique du comportement de certaines dames. On assiste aussi dans ces récits, considérés comme les premières nouvelles de la littérature européenne, à l'émergence d'une nouvelle classe sociale : une bourgeoisie commerçante et éclairée.

Plus précisément chaque journée est dédiée à un thème en particulier annoncé dans l'introduction qui commence le récit :

En examinant les thèmes des dix jours, et surtout en lisant les nouvelles, on peut comprendre qu’y sont représentés d'autres thèmes, autant importants que l'amour, la courtoisie, l'intelligence, la fortune (et leur contraires).

Boccace, dans l'Introduction, dédie son livre aux femmes. Il traite différents types de situations amoureuses. Tout d'abord, l'amour purement charnel, voire vulgaire, s'inspirant des fabliaux du Moyen Âge. Dans la quatrième nouvelle de la première journée, un abbé cède au péché de chair avec une jeune fille, juste après avoir condamné un moine qui venait de coucher avec cette même fille : « quelque vieux qu'il fût, soudainement et d'aussi cuisante manière que son jeune moine il ressentit à son tour les aiguillons de la chair ». Dans ce genre d'amour grivois, ce ne sont pas seulement les hommes qui recherchent le désir charnel : « La jeune fille, qui n'était ni de fer ni de diamant, se plia fort aisément aux vouloirs de l'abbé. » Ensuite, nous trouvons l'amour malheureux. Dans la conclusion de la troisième journée, le roi du jour est désigné, ainsi que le sujet sur lequel ils devront raconter des histoires : « Aussi me plaît-il que l'on ne devise pas demain d'une autre matière que de ce qui ressemble le plus à mon sort, à savoir DE CELLES ET DE CEUX DONT LES AMOURS CONNURENT UNE FIN MALHEUREUSE. » La première nouvelle de cette journée en est un exemple flagrant. Apprenant que son amant est mort, une jeune fille se suicide. avant de se donner la mort, elle dit : « Ô mon cœur bien aimé, je t'ai rendu tous les offices dont je devais m'acquitter envers toi; il ne me reste plus autre chose à faire que m'en aller tenir avec mon âme compagnie à la tienne. » D'autre part, Boccace traite aussi d'histoires d'amour difficiles qui ont tout de même une fin heureuse. La deuxième nouvelle de la cinquième journée raconte l'histoire d'une femme qui croit son amant mort et qui finalement le retrouve vivant : « Quand la jeune fille le vit, il s'en fallut de peu qu'elle ne mourut de joie [...] au triste souvenir de ses infortunes passées autant que sous le poids de son bonheur présent, sans pouvoir dire la moindre chose elle se mit tendrement à pleurer. » Puis, nous trouvons l'amour adultérin, notamment dans la cinquième nouvelle de la septième journée : « Déguisé en prêtre, un jaloux confesse sa propre femme ; celle-ci lui fait accroire qu'elle aime un prêtre qui vient la trouver toutes les nuits. Du coup, tandis que le jaloux monte la garde en cachette à sa porte, la dame fait venir son amant par le toit et se donne du bon temps avec lui. » À l'opposé de l'amour trompé, Boccace évoque l'amour courtois. Dans la sixième nouvelle de la dixième journée, un vieux roi épris d'une jeune fille, décide finalement de la marier ainsi que sa sœur à des jeunes hommes. Le roi raisonnable se rend compte de son erreur : « le roi donc se résolut néanmoins à marier les deux jeunes filles [...] comme les siennes propres. » Boccace ne fait donc pas dans son œuvre un éloge d'un amour particulier, mais décrit toutes les formes d'amour possibles.

À travers son œuvre, Boccace nous livre également une véritable satire des mœurs du clergé qu'il accuse des plus grands vices. Dès la deuxième nouvelle de la première journée, l'auteur, par le biais de Néiphile, affiche nettement son anticléricalisme lorsqu'il décrit les habitudes douteuses des membres de l'Église. Cette nouvelle raconte ainsi l'histoire d'un marchand juif qui, poussé à se convertir par un ami catholique, part à Rome pour y observer le mode de vie des religieux. Se déclenche alors une longue diatribe contre les membres du clergé qui « le plus déshonnêtement du monde », péchaient par luxure, selon les voies naturelles, ou même sodomitiques, sans aucun frein de remords ou de vergogne ». Mais Boccace ne s'arrête pas là. Par le biais de Dionée, dans la quatrième nouvelle de la première journée, il dénonce les relations sexuelles entre certains membres du clergé et une jeune fille. Un vieil abbé surprend ainsi un jeune moine goûter aux plaisirs de la chair avec « une be