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Deux noms mythologiques indiens : Atri, Aditi L’utilisation de l’étymologie pour la « mythologie comparée », préconisée dès le début des recherches, a mauvaise réputation aujourd’hui. Dans sa préface à Mythe et épopée, Dumézil (1995 : 41) porte sur elle un jugement sévère : « Sur les rapports, enfin, de la mythologie et de la linguistique. Je ne parle pas de la formule qui faisait du mythe une maladie du langage, mais de quelque chose de plus sérieux. Les premiers comparatistes se sont donné pour tâche principale d’établir une nomenclature divine indo-européenne. La consonance d’un nom indien et d’un nom grec ou scandinave leur paraissait être à la fois la garantie qu’ils comparaient des choses comparables et le signe qu’une conception déjà indo-européenne était accessible. Or, les années passant, très peu de ces équations ont résisté à un examen phonétique plus exigeant : l’Erinys grecque n’a pu continuer à faire couple avec l’indienne Saraṇyū, ni le chien Orthros avec le démon Vr̥ tra. La plus incontestable s’est révélée décevante : dans le Dyau védique, le « ciel » est tout autrement orienté que dans le Zeus grec ou le Juppiter de Rome, et le rapprochement n’enseigne presque rien. » Cette condamnation est bien argumentée, mais elle serait plus convaincante si celui qui l’a prononcée n’avait pas eu recours à l’étymologie quand il en avait besoin, par exemple pour Vesta ou pour son interprétation de Neptūnus à partir de la comparaison avec l’irlandais Nechtan et le Rejeton des Eaux indo-iranien Apām Napāt et surtout pour le dieu Quirinus : dans son interprétation trifonctionnelle de la « triade archaïque » Jupiter, Mars, Quirinus, antérieure à la triade capitoline Jupiter, Junon, Minerve, et beaucoup moins documentée, Quirinus est sans conteste le maillon faible de la chaîne : en face de Jupiter dieu souverain et Mars dieu guerrier, le dossier de Quirinus est presque vide, et le peu qu’on y trouve n’est guère encourageant pour l’interprétation proposée. Or, Dumézil a balayé les objections grâce à une étymologie du nom divin, et qui plus est une étymologie fondée sur la « reconstruction interne » : Quirīnus, dont le nom repose sur *co-vir-īnus « (dieu) de l’ensemble des hommes », apparaît ainsi comme un dieu de troisième fonction. Mais il ne l’est que par son nom, et de surcroît par une procédure que Kuhn et les spécialistes de son époque auraient sans nul doute répudiée comme infondée, car elle ne comporte pas de justification comparative. Il est imprudent de condamner par principe l’interprétation étymologique des noms divins : on peut en avoir besoin un jour ou l’autre. Reste à voir ce que la reconstruction linguistique est aujourd’hui en mesure de proposer à cet effet. L’idéal serait évidemment de trouver une forme superposable au nom divin ou héroïque pour reconstruire un étymon indoeuropéen. Mais après plus d’un siècle et demi de recherches sur ce domaine, la probabilité d’y parvenir est faible. Il faut donc le plus souvent se replier sur la reconstruction interne. Or cette voie elle aussi a été explorée, comme on l’a vu pour le Quirīnus latin. Il convient donc de faire appel aux diverses ressources inexploitées de la phonétique et de la morphologie susceptibles de jeter une lumière nouvelle sur les formes sans étymologie comme le nom du poète mythique indien Atri ou dont l’étymologie, en apparence évidente au plan formel, laisse des zones d’ombre au plan du contenu : le nom de la déesse indienne Aditi en fournit un bon exemple. A cet effet, on utilisera une loi phonétique connue, mais limitée à un petit nombre d’exemples manifestement résiduels : un certain nombre de formes indiennes comportant au simple une sonante longue radicale ī, ū, etc. présentent en composition la brève correspondante, i, u, etc. Ai. Gr. I, 93 et suiv. Un abrègement analogue se retrouve par exemple dans le latin cognitus en face de nōtus « connu ». Il est possible de rendre compte par là de formes dans lesquelles la voyelle ou la sonante brève est considérée comme originaire. Atri Cette loi phonétique permet d’interpréter le nom d’un r̥ ṣi mythique auquel sont attribués les hymnes du cinquième livre du R̥ gveda et qui figure dans plusieurs légendes en liaison avec les Aśvins et Indra : Atri, dont le nom n’a pas d’étymologie assurée (EWAia, s.v.). L’abrègement dans un second terme de composé autorise le rattachement de la forme átri- et des formes atrá-, atrín- qui lui sont liées (Mayrhofer 2003 : 8 et suiv.) à la racine TARi- « traverser », « vaincre » : comme le composé négatif d’un adjectif dérivé en –i- parallèle à táturi- « victorieux », signifiant donc « invaincu », « invincible ». On relève une formation parallèle à la base du nom de la « pierre », du « rocher » ádri- s’il se rattache (possibilité mentionnée EWAia, s.v.) à DARi- « éclater ». Une telle dénomination n’est pas déplacée pour ce poète : l’auteur des hymnes du livre 6 se nomme Bharádvāja « gagnant », « vainqueur », et le nom de celui du livre 3, Viśvā́mitra, n’est pas un composé déterminatif signifiant « ami de tous », comme on l’admet ordinairement, mais, eu égard à la quantité du ā, un composé possessif qui signifie « qui a tous les autres pour ennemis », « ennemi de tous » (víśva-, amítra-), ce qui engage à prendre en considération le statut ultérieur du personnage : dans l’épopée, il est considéré comme un roi qui devient brahmane. Ce sont là des noms de rājārṣi « roi-poète ». Naturellement, cette étymologie ne répond pas immédiatement aux diverses questions que pose sa légende, mais elle indique dans quelle direction il convient de chercher. Ainsi pour la question de la fosse ardente (r̥ bī́ṣa-) d’où il est sauvé par les Aśvins : s’il s’agit, comme on l’admet sans doute à juste titre, que les Aśvins noient le feu sous la neige, l’opération semble aller directement à l’encontre de leur fonction principale, comme l’a observé Blair (1961 : 136 et suiv.) : les Aśvins, comme les autres représentants des Jumeaux divins indoeuropéens, ont pour fonction de ramener la lumière et la chaleur estivales, représentées par la Fille du Soleil, ou l’Aurore de l’année. C’est vrai : mais énigmes et paradoxes abondent dans les légendes aśviniennes. Le point essentiel est le rapport établi avec le feu. Car il ressort de RV 2,8,5 a qu’átri- est - au moins dans ce passage un qualificatif d’Agni. On traduira : « Les chants ont en l’invigorant conduit Agni l’invincible à la souveraineté. Il a revêtu toutes les splendeurs. » Cet Agni « invincible » est l’Agni guerrier, fréquemment évoqué (voir Geldner 1951-1957 IV : 13 « Agni als Krieger »), qui est dit par ailleurs « vainqueur de la résistance » 1,59,6 b ; 1,74,3 b ; « triomphant de l’ennemi proche et lointain » 10,115,5 b et surtout « vainqueur invaincu, non défait » 6,16,20 c vanvánn ávato ástr̥ taḥ. Comme plusieurs autres r̥ ṣis et sacrificateurs mythiques, les Bhr̥ gus, les Aṅgiras, etc., Atri est au départ une forme d’Agni. Comme pour les précédents, le pluriel doit être plus ancien que le singulier : il s’agit d’humains qui, par leur fonction, s’identifient au dieu-prêtre. L’identification d’Atri à Agni a suggéré une interprétation de son nom comme une formation isolée ad-tri- signifiant « mangeur » ; hypothèse écartée à juste titre par Mayrhofer (EWAia, s.v. et 2003 : 8 et suiv.). Le doublet a-tr-á- est parallèle à a-tr̥ p-á- « insatisfait » (Ai. Gr. II 1 : 215), le doublet a-tr-ín- à a-rāj-ín- « sans éclat » (ibid. 216). L’un et l’autre font partie des exceptions à la règle générale de l’accentuation du préverbe des composés verbaux négatifs (ibid. 215) illustrée par á-tr-i. Aditi Aditi « Déliement » La déesse Aditi est l’une des figures divines védiques dont l’interprétation, longtemps discutée, fait aujourd’hui l’unanimité des spécialistes : sa fonction de « libératrice » invoquée pour obtenir de « déliement » (á-diti-) correspond exactement à la formation de son nom : un composé négatif du type de á-śasti- « malédiction » (Ai. Gr. II,1 : 79 et suiv.). D’autre part, Aditi est la mère des Ādityas, dieux de la « religion de la vérité » (Haudry 1978) qui incarnent les principaux liens sociaux (Mitra « Contrat d’amitié », etc.), liens nécessaires à la cohésion de la société, mais qui constituent une menace pour qui les viole, même involontairement (en dormant, RV 7,86,6). C’est pourquoi on demande à leur mère une protection contre leur éventuel courroux. On trouve un exposé de la conception commune chez Gonda (1957 : 76 et suiv.). Aditi « Terre » Or cette cohérence apparente est compromise par deux données d’inégale importance, mais liées entre elles : 1° celui que l’Inde continue de nommer Āditya depuis RV 1,50,13 et 1,191,9 est le dieu Soleil, qui, contrairement aux autres membres de cette classe, n’est pas une abstraction sociale divinisée ; 2° plusieurs passages du R̥ gveda identifient Aditi à la Terre, notamment 1,72,9 d où la forme reprend pr̥ thivī́ c ou 5,59,8 a et 10,63,3 b où elle est jointe à dyáv- « ciel » ; de même, avec un changement de flexion, AV 13,1,38 c yaśā́ ḥ pr̥ thivyā́ ádityā upásthe « glorieux sur le sein de la Terre, d’Aditi » 3° en plusieurs passages, l’auteur joue sur son ambivalence, comme 1,112,25 où elle forme le lien entre le couple Mitra Varuṇa et l’Océan, la Terre et le Ciel ; c’est peut-être aussi le cas pour 1,72,9 d précité où figurent également ses fils les Ādityas. Aditi est donc aussi la Terre. D’où sa maternité, et son identification à une vache laitière, 1,153,3 ab « la vache Aditi donne son lait en abondance à l’homme sincère » ; en note, Geldner identifie cette vache à la Terre. D’où aussi la désignation du soleil comme « fils d’Aditi » : « fils du Ciel », le soleil a chance d’avoir pour mère son épouse la Terre. De fait, ce « huitième Āditya » se nomme aussi Mārtāṇḍa « celui de l’œuf mort », étant issu d’une fausse couche d’Aditi. Comme l’identification d’une abstraction divinisée, dont la dénomination est transparente, à la Terre, qui n’a pas de rapport avec le déliement, est incompréhensible, il vaut la peine de tenter la filière inverse, proposée jadis par plusieurs auteurs, celle d’une Terre Mère (mère du dieu Soleil) qui serait devenue une déesse Déliement. Aditi « Terre noire » De fait, la forme áditi- peut se rattacher initialement non pas à la racine DĀ-/DI« lier », mais à la racine DĪ- « briller », conformément à la loi phonétique ancienne rappelée ci-dessus. L’accentuation sur le premier terme est régulière pour les composés possessifs dont le second terme est en –ti-, Ai. Gr. II 1 p. 293. Il est naturel que la Terre ait été désignée comme « sans éclat » : simple variante de sa qualification traditionnelle de « noire », indirectement attestée tant dans la cosmogonie de Snorri, qui fait naître la Terre de la Nuit, Gylfaginning 10, que dans celle d’Hésiode, où, à l’inverse, la Terre enfante le Ciel nocturne, Ouranos étoilé, Théogonie 126-128. En Grèce, la Terre est souvent liée au monde nocturne dans ses aspects maléfiques comme dans ce passage des Choéphores d’Eschyle, 722 et suv. (trad. Mazon, CUF) : « Ô Sol (χθών « Terre ») auguste, auguste tertre, l’heure est venue : prête nous l’oreille, prête nous ton secours. Oui, l’heure est venue pour la Persuasion traîtresse de descendre avec eux dans la lice, et pour Hermès Infernal, pour Hermès ténébreux aussi, de diriger la joute des épées meurtrières. » Hermès ténébreux reparaît aux vers 812 et suiv. : « Et puisse Hermès, fils de Maïa, nous prêter l’aide qui lui revient ! (…) Avec un mot obscur, il répand sur les yeux les ombres de la nuit, et le jour même ne les dissipe pas. » Dans le rituel romain de la dēvōtiō, la Terre est associée aux dieux Manes auxquels celui qui se sacrifie voue les ennemis en même temps que lui-même. La désignation formulaire de la « terre noire » est attestée directement dans les poèmes homériques, notamment par les clausules γαɩα̃ µέ́λαɩνα (Iliade 2,699 ; 15,715 ; 17,416 ; 20,494 ; Odyssée 19,111) et γαɩα̃ ν ἐρεµνήν (Hymne homérique à Hermès 1,427). Cette « terre noire » peut être le monde souterrain (Odyssée 24,106), comme son correspondant hittite, mais le plus souvent c’est le sol, ainsi désigné à partir de celui des riches terres agricoles (Odyssée 19,111) : l’humus, dit en russe černozëm « terre noire ». Originellement laudatif de ce point de vue, ce qualificatif a pu être perçu comme dépréciatif dans une culture pastorale où, par ailleurs, l’éclat lumineux est la forme visible du bien et des états supérieurs de la conscience (sattva), tandis que le mal et les états inférieurs sont ténébreux (tamas). Hopkins (1915 : 79) met en évidence l’ambiguïté de la déesse Aditi, parfois différenciée de la Terre, Pr̥ thivī, parfois identifiée à elle. Et il cite le lexicographe Hemacandra, 3281, qui identifie Aditi à Durgā, et ajoute : « la même déesse est Aditi pour les dieux, Sītā pour les laboureurs et Terre, Dharaṇī, pour les âmes des morts. » La « terre noire », que ce soit la terre végétale des laboureurs ou le monde souterrain des morts, la « mère de la Terre », Zemes māte, des chansons mythologiques lettonnes, peut être dite « sans éclat ». C’est probablement à Aditi Terre qu’est identifié Agni dans quatre passages du R̥ gveda, 2,1,11 a ; 4,1,20 a ; 7,9,3 a ; 8,19,14 b : cette identification est parallèle à celle de Vesta, que Dumézil (1954) a inférée de la forme ronde de son aedes. Mais cette identité initiale n’a pas empêché de jouer sur le double sens, et, dans deux passages, sur la proximité phonique avec le qualificatif habituel d’Agni, átithi« hôte ». Aditi « Terre lumineuse » Mais la Terre des dieux ne peut être que lumineuse. D’où l’identification à Durgā, la « Grande déesse », épouse de Śiva, qui est dite à la fois « la Noire » (Kālī, Śyāmā) et « la Blanchâtre » (Gaurī). C’est pourquoi dans l’hymne qui lui est adressé (AV 12,1), la Terre, en dépit de sa couleur est à plusieurs reprises qualifiée de « brillante », et priée de nous « inonder de son éclat ». Un paradoxe semblable se trouve dans l’hymne à la Nuit RV 10,127, priée de « refouler les ténèbres ». Le seul moyen d’éviter cette interprétation dépréciative de son nom tout en conservant la forme était de la réinterpréter à partir de la racine « lier ». C’est à partir de là que le dérivé d’appartenance (matronymique en l’occurrence) āditya- s’est appliqué aux entités de la religion de la vérité. Mais l’application au Soleil, qui est sûrement la première, même si ce n’est pas la plus anciennement attestée, s’est maintenue et s’est finalement imposée. Aditi hydronyme ? En deux passages, áditi- semble être le nom d’un cours d’eau « sombre », « noir », analogue aux hydronymes français reposant sur le gaulois dubus comme Doubs (Delamarre 2003 : 152). Ainsi RV 4,55,3 a où áditim figure entre pastíyām (« fleuve » ?) et síndhum « océan », et 7,18,8 a où elle est mise sur le même plan que l’hydronyme páruṣṇīm b. Mais comme le verbe dont elle dépend, sreváya- « faire avorter » évoque le mythe de Mārtāṇḍa, le soleil « avorton de la Terre », l’exemple précédent reste isolé. Aditi « Ciel féminin » Dans l’hymne RV10,63, Aditi, mère des Ādityas, est identifiée au Ciel féminin de façon explicite 3 b dyaúr áditiḥ, et implicite 2 ab où trois origines possibles sont attribuées aux dieux : « Vous qui êtes nés d’Aditi, des Eaux, de la Terre. » Elle est distinguée à la fois de la Terre et du Ciel masculin 10 ab. L’emploi en liaison avec les deux entités cosmiques rend improbable une abstraction (« Déliement », ci-dessus § 5.4.1.1). Il s’agit de la Vache laitière Aditi (3 ab), identifiée non pas à la Terre, comme ci-dessus § 5.4.1.2, mais au Ciel féminin, pour mettre en évidence l’origine céleste des Ādityas, et les opposer aux divinités inférieures d’origine terrestre ou aquatique. Parallèles Initialement limitée aux activités agricoles et pastorales, la Terre est par la suite entrée dans un certain nombre d’équivalences que nous constatons, mais dont la signification nous échappe en partie. Ainsi les Grecs identifient Gê « Terre » à Thémis « Justice », abstraction divinisée dont le nom est tiré de la racine *dhē- « mettre en place », comme le nom du dieu, θeός : le rapport est difficile à préciser, mais il apparaît parallèle à celui d’Aditi aux Ādityas. Et l’Avesta désigne parfois la terre par l’abstraction divinisée Spəntā Ārmaitiš « Sainte Déférence ». Cette hypothèse trouve un appui dans le rituel indien de consécration royale, rājasūya. Ce rituel commence par des offrandes (iṣṭi-) à Anumati et Nirr̥ ti. Or, observe Heesterman (1957 : 17) « Anumati (« caractère auspicieux, bonne volonté » ) et Nirr̥ ti. (« dissolution, dépérissement ») se présentent dans cette iṣṭi comme deux aspects opposés d’un seul et même phénomène (…) De plus, à la fois Anumati et Nirr̥ ti sont identifiées à la Terre, Nirr̥ ti représentant le mauvais aspect de la terre. » On peut en conclure qu’Anumati correspond à la Spəntā Ārmaitiš avestique, et Nirr̥ ti à la « terre noire » Aditi, celle dans laquelle le corps se décompose et l’âme survit dans les ténèbres. De même, selon le Śatapatha brāhmaṇa, 14,1,1,30, au cours du Pravargya, il ne faut pas utiliser de la vaisselle en terre « car tout mensonge qui est dit sur cette terre se mêle à elle pour ainsi dire. » Le double aspect de la Terre apparaît également dans la mythologie grecque avec le personnage de Pandora « celle qui donne tout ». Comme le rappelle Vernant (1988 : 39, note 90) « Pandora est le nom d’une divinité de la terre et de la fécondité. Comme son doublet Anesidora, elle est représentée, dans les figurations, émergeant du sol, suivant le thème de l’anodos d’une puissance chthonienne et agraire. » Or c’est cette Pandora qui fait le malheur de l’humanité en soulevant le couvercle de la jarre dans laquelle étaient enfermés les maux. La terre et la femme qui en est l’homologue, dans la conception traditionnelle de la semence et du champ, ont l’une et l’autre deux faces opposées, selon les termes de Vernant (1988 : 39) : « Pour la race de fer, la terre et la femme sont en même temps principes de fécondité et puissances de destruction ; elles épuisent l’énergie du mâle, dilapident ses efforts, le « desséchant sans torche, si vigoureux qu’il soit » (Travaux, 705), le livrant à la vieillesse et à la mort, en « engrangeant dans leur ventre » le fruit de ses peines (Théogonie, 599). » C’est ainsi qu’en mettant les ressources de la phonétique et de la morphologie au service de la signification on peut reprendre, préciser et justifier l’intuition d’Eliade (1976 : 217) : « très probablement, Aditi était une Grande Déesse Mère. » Ce bref aperçu montre comment l’appel à une loi phonétique ancienne, dont les effets ont le plus souvent été annulés par le jeu de l’analogie, peut jeter une lumière nouvelle sur des formes sans étymologie comme Atri ou des formes dont l’interprétation repose sur une fausse évidence comme Aditi. Mais la phonétique offre bien d’autres ressources, et l’on peut aussi faire appel aux données résiduelles de la morphologie, voire de la syntaxe pour renouveler l’étude des noms mythologiques. Jean HAUDRY BIBLIOGRAPHIE ABREVIATIONS Ai. Gr. = Jacob WACKERNAGEL, Albert DEBRUNNER, Altindische Grammatik; EWAia = Manfred MAYRHOFER, Etymologisches Wörterbuch des Altindoarischen. BLAIR Chauncey J., 1961 : Heat in the Rig Veda and Atharva Veda, New Haven : American Oriental Society (AOS, vol.45). DELAMARRE Xavier, 2003 : Dictionnaire de la langue gauloise 2, Paris : Errance. DUMÉZIL Georges, 1954 : Rituels indo-européens à Rome, Paris : Klincksieck. DUMÉZIL Georges, 1995 : Mythe et épopée, Paris : Gallimard. ELIADE Mircea, 1976 : Histoire des croyances et des idées religieuses, I De l’âge de la pierre aux mystères d’Eleusis, Paris : Payot (Bibliothèque historique). GELDNER Karl Friedrich (trad.), 1951-1957 : Der Rig-Veda, Cambridge (Mass.) : Harvard University Press. 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