Le 1er octobre, la Cour constitutionnelle a rendu son verdict. Conformément à ce qu’avaient pronostiqué plusieurs experts, la cour a voté en faveur du rétablissement de la version précédente de la loi fondamentale, les changements constitutionnels introduits en 2004 comportant des anomalies de procédure. A partir de maintenant, le pays devra de nouveau vivre selon les règles en vigueur à l’époque de Léonide Koutchma. La décision des juges signifie pour l’Ukraine un retour à une république présidentielle (alors qu’à l’issue de la Révolution orange, le pays était devenu une république parlementaire). D’un coup de baguette magique, Viktor Ianoukovitch devient effectivement la personnalité la plus puissante du pays. L’arsenal des pouvoirs du président se voit considérablement renforcé. Il peut limoger son Premier ministre comme il l’entend, ainsi que n’importe quel autre membre du gouvernement, et nommer ou limoger les dirigeants des chaînes de télévision. Il peut également passer outre les décisions du gouvernement, sans avoir à s’embarrasser d’explications en faisant appel à la Cour constitutionnelle. Le législatif est désormais confronté la verticale du pouvoir.

Le Parlement, quant à lui, se voit dépouillé d’une grande partie de ses capacités. Le mandat des députés est réduit de cinq à quatre ans. Ils ne peuvent plus qu’observer le travail des membres du gouvernement, et sont incapables de les sanctionner en exigeant leur renvoi. Ils ne disposent plus que de la motion de défiance pour chasser le gouvernement dans son ensemble, Premier ministre compris. Le statut du cabinet des ministres a changé lui aussi. Il n’est plus qu’un organe exécutif. Dès cette semaine, le ministre de la Justice Oleksandr Lavrinovitch prévoit la suppression de nombreux postes, dont plusieurs vice-Premiers ministres. Il n’est pas exclu que l’une des victimes de ce nettoyage soit Serhiy Tihipko, aujourd’hui vice-Premier ministre chargé des questions économiques [candidat à la présidentielle de 2010, il aurait fortement contribué à la victoire de Ianoukovitch, et beaucoup voyaient en lui le nouvel homme fort de la politique ukrainienne], qui avait tant insisté pour passer pour un grand réformateur. Et le président n’a même plus à s’expliquer.

La plupart des experts estiment que l’annulation de cette réforme politique va provoquer des désordres sur le plan juridique, puisque beaucoup de lois votées depuis 2004 vont se trouver en conflit avec cette “nouvelle-vieille” Constitution. Mais ce sont là sans doute des craintes un peu exagérées. Les lois concernées portent en effet sur la répartition des pouvoirs entre président, Parlement et gouvernement. Or, le chef de l’Etat actuel contrôle complètement aussi bien le cabinet des ministres que la Rada (l’Assemblée). L’hypothèse que les décisions de Ianoukovitch soient sabotées par le gouvernement, dont le destin dépend d’un seul geste de lui, n’est même pas envisageable. Quant à l’opposition parlementaire, elle n’est plus à même de se mobiliser pour dresser des obstacles sérieux.L’administration présidentielle veut impliquer le Parlement au minimum dans le processus de décision. Toutes les nouvelles lois sont sans doute déjà prêtes, elles n’attendent plus que d’être proposées. Le pouvoir n’aura plus qu’à informer la Rada, qui sera là simplement pour constater.

Il y a déjà quelques mois que Viktor Ianoukovitch jouit de pouvoirs étendus, et cette décision n’est en fait qu’une confirmation sur le papier de cette réalité. Il ne devrait pourtant peut-être pas se réjouir. Car il hérite ainsi de la responsabilité totale de ce qu’il adviendra du pays. Le lancement de réformes annoncées depuis longtemps, presque toutes impopulaires, risque de compromettre son capital de sympathie. Il lui sera dorénavant beaucoup plus difficile de désigner des “coupables”. Même si, suivant l’exemple de Koutchma, il change de Premier ministre comme de chemise. Dans les faits, le président s’est de lui-même privé de son moyen de protection le plus efficace contre le mécontentement populaire. En détenant dans la pratique le contrôle sur tous les membres du gouvernement, il est contraint de compter avec les appétits des cadres et des divers groupes d’influence de son entourage et des parlementaires qui lui sont fidèles. Sinon, il perdra les commandes. Il risque même de ne pas être réélu, car le poste de président va susciter de bien plus grandes convoitises. Et les candidats ambitieux ne manquent pas.

Dans les pays à présidence forte, les organes législatifs deviennent les piliers de l’opposition organisée, avec lesquels il faut composer, et contre lesquels il faut parfois se battre. Koutchma pourra toujours partager son expérience à ce sujet avec Ianoukovitch.