Ces derniers temps, lorsque les professeurs de Jérusalem-Est demandent à leurs étudiants d’ouvrir leurs livres d’histoire, les élèves se demandent duquel ils parlent. Deux séries de manuels rivalisent en effet pour la formation des esprits de milliers d’élèves palestiniens dans les écoles arabes de Jérusalem-Est. L’une a été rédigée par l’Autorité palestinienne ; l’autre est une version révisée par les autorités israéliennes.

C’est une guerre des livres qui fait ressortir la vieille bataille des récits dans le conflit au Proche-Orient, où les combats sur l’avenir s’enracinent souvent dans la compréhension du passé. Une comparaison page à page se transforme bien vite en un jeu des 7 erreurs. Parfois, ce sont des chapitres ou des pages entières qui disparaissent ; d’autres fois, c’est juste un mot ou une ligne, laissant des blancs qui rendent ces passages incompréhensibles, et les pages ressemblent à des documents rédigés par la CIA.

Bien que le gouvernement israélien demande aux écoles de n’utiliser que ses manuels, les parents [palestiniens] sont allés de classe en classe pour remplacer les versions israéliennes par les versions non corrigées.

Les autorités israéliennes de Jérusalem financent environ 50 écoles publiques dans les quartiers arabes de Jérusalem-Est et apportent une aide partielle à des dizaines d’institutions privées.

Les parents, les professeurs et les représentants officiels palestiniens affirment que les coupes israéliennes sont motivées par des raisons politiques, parce qu’elles gomment globalement tous les symboles et références liés à l’identité, à l’histoire et au nationalisme palestinien.

Parmi les coupes figurent :
• presque toutes les images de drapeaux palestiniens ou les références au droit des Palestiniens à retourner chez eux ;
• un cours sur les dégâts écologiques engendrés par les colonies israéliennes ;
• un chapitre sur l’histoire palestinienne comprenant une photo de Yasser Arafat ;
• des statistiques démographiques palestiniennes dans un manuel d’éducation civique.

“Ces changements ont fait perdre son âme et son sens au texte”, déclare Dima Samman, responsable du secteur de Jérusalem au ministère de l’Education palestinien. Les fonctionnaires palestiniens racontent que, pendant plusieurs années, les responsables israéliens n’ont apporté que des corrections mineures aux livres utilisés dans les écoles publiques, à l’aide de feutres ou d’autocollants noirs masquant les éléments considérés comme choquants. Puis ils ont commencé à réimprimer l’intégralité des livres, après avoir découvert que les élèves retiraient tout simplement les autocollants.

Cette année, les autorités israéliennes ont annoncé que leurs manuels corrigés seraient introduits dans plusieurs écoles semi-privées de Jérusalem-Est, avec des modifications minimes. Or, lorsque les derniers livres corrigés par les Israéliens ont été distribués, en septembre, les parents et les élèves ont dit qu’ils avaient été choqués. “Ils nous testent”, analyse Abdul Karim Lafi, président d’une association de parents d’élèves à Jérusalem-Est. “Si nous nous taisons maintenant, d’ici quelques années ils finiront par annuler ce qui reste du programme palestinien.”

Les responsables israéliens affirment quant à eux que le conflit ne porte pas sur des visions opposées de l’Histoire, mais que leur action vise à empêcher l’exposition des élèves à des enseignements qui promeuvent la violence, l’intolérance et la haine. Des mots clés et des phrases tels que “martyr”, “nous rentrerons” ou “usurpation” sont simplement supprimés sans être remplacés.

Les formulations ne font qu’attirer l’attention sur le contenu qu’Israël tente de supprimer, explique une enseignante de Jérusalem-Est qui ne veut pas donner son identité de peur de perdre son emploi. Elle raconte que la plupart de ses élèves cherchent les mots et les passages manquants, en général avec l’aide de leurs enseignants.