Ah, les sirènes de la géo-ingénierie… Elles reviennent régulièrement chanter à l’oreille des scientifiques et des politiques. La perspective de contrôler le climat à l’envi, en utilisant la physique et la chimie, est si séduisante. Et, sauf quand la CIA s’en mêle (voir encadré ci-dessous), les buts affichés sont toujours nobles : reverdir le Sahara, assurer les récoltes mondiales… Le dernier en date : contrer le changement climatique.

C’était l’un des thèmes abordés la semaine dernière au Congrès annuel de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS), l’une des plus importantes fédérations de scientifiques du monde.

“Irrationnel et irresponsable”

On y a beaucoup commenté le dernier rapport du conseil national de la recherche des Etats-Unis, consacré aux moyens à mettre en œuvre pour lutter contre le changement climatique. Un rapport dont les conclusions sont sans appel : “Nous ne disposons pas d’informations suffisantes sur les conséquences probables des interventions sur le climat pour justifier leur utilisation […]. Il serait irrationnel et irresponsable de mettre en œuvre des modifications de l’albédo [la capacité de la planète à refléter la lumière et renvoyer de l’énergie] sans poursuivre [la baisse] des émissions.”

“La géo-ingénierie est souvent vue comme un plan B, qui pourrait être mis en œuvre si le plan A – réduire les émissions de gaz à effet de serre – échoue”, rappelle la BBC. “Une sorte de réparation, de dernier recours technique”.
Comment cela pourrait-il marcher ? En reproduisant des phénomènes observés dans la nature, explique le site du réseau britannique. Ainsi, l’éruption du volcan Pinatubo, dans les Philippines, en 1991, a provoqué une baisse globale des températures pendant plusieurs jours. Tout simplement à cause des quantités énormes d’acide sulfurique relarguées dans l’atmosphère lors de l’éruption : 20 millions de tonnes d’acide soufré, qui, combinées aux gouttelettes formant les nuages, réfléchissent les rayonnements solaires, les empêchant d’atteindre la surface de la Terre.

Megasécheresses annoncées

Le phénomène est bien connu et peut paraître séduisant. Surtout à l’heure où la Californie et le Brésil sont assoiffés et où les modèles de la Nasa et de la Columbia University annoncent que les Etats-Unis seront sans doute frappés dans le siècle à venir par des mégasécheresses,rapporte Popular Science.

C’est pourtant davantage un plan Z, avançait lors du congrès de l’AAASStephen Gardiner, professeur de philosophie, spécialisé dans l’éthique de l’environnement à l’université de Washington.

Il faut plus de recherches et de données, réclament les chercheurs. Mais poursuivre les expérimentations “n’est pas forcément une idée si géniale”,répond le chroniqueur David Roberts, sur le site Grist. Il rappelle que sous le terme géo-ingénierie, on trouve plusieurs formes d’interventions pour réguler le climat. Depuis la reforestation et l’amélioration des pratiques agricoles jusqu’à l‘ “ensemencement” des mers avec du fer, pour favoriser la croissance du plancton… Et bien sûr, la modification de l’albédo, la part de rayonnement solaire réfléchie par les nuages et autres surfaces brillantes.

Un non-sens

Il cite le géophysicien français Raymond T. Pierrehumbert, de l’université de Chicago, qui a récemment déclaré dans Slate : “L’idée de réparer le climat en ‘piratant’ l’albédo est radicalement, foncièrement, franchement dépourvue de sens.” Notamment parce qu’il faudrait maintenir les modifications de l’albédo pendant des millénaires pour renverser le mécanisme du réchauffement.

Les éditorialistes de USA Today le résument parfaitement : “La géo-ingénierie ne résoudra pas le problème du changement climatique. Ce n’est pas une alternative aux réductions d’émissions de gaz à effet de serre”.

Le grand complot climatique
“Des agences d’espionnage pourraient financer les recherches en géo-ingénierie afin de faire du climat une arme.” Ce titre, c’est celui d’un article de The Independent. Le quotidien britannique, jamais à la traîne pour relater les informations les plus accrocheuses, reprend les propos du professeur Alan Robock, qui affirmait il y a trois ans que la CIA finançait les recherches sur la modification du climat. Cette théorie revient régulièrement dans les médias, à chaque fois qu’une inondation survient. Elle est alimentée par les expériences menées sur une base militaire de l’Alaska (la Haarp), qui travaillait sur le contrôle des hautes fréquences atmosphériques, et sur les élucubrations de l’ex-gouverneur Jesse Ventura.

Et si ce ne sont pas les ondes qui provoquent les tempêtes, ce sont peut-être les chemtrails, ces trainées blanches laissées par les avions, que d’aucun supposent être des produits chimiques destinés à ensemencer les nuages et qui seraient répandus, bien sûr, dans le plus grand secret.

Dans ces deux cas, les perturbations climatiques n’auraient donc plus rien à voir avec notre consommation effrenée de combustibles fossiles, mais seraient le fruit de complots machiavéliques. Rassurant, d’une certaine façon.