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Election présidentielle au Tchad : pour Succès Masra, des lendemains qui déchantent

L’opposant devenu premier ministre a déposé, sans grand espoir, un recours auprès du Conseil constitutionnel afin de demander l’annulation du scrutin.

Par  (N’Djamena, correspondance)

Publié le 15 mai 2024 à 18h00

Temps de Lecture 4 min.

Le premier ministre tchadien, Succès Masra, à sa sortie du bureau de vote, à N’Djamena, le 6 mai 2024.

Les cartons d’invitation pour la cérémonie de proclamation des résultats définitifs sont déjà postés. A N’Djamena, personne ne doute que le Conseil constitutionnel validera, jeudi 16 mai, la victoire de Mahamat Idriss Déby au premier tour de l’élection présidentielle, trois ans après que celui-ci a été hissé par un groupe de généraux sur le fauteuil de son défunt père, en dehors de toute cadre légal.

Cette légitimation d’un pouvoir héréditaire par la voie des urnes sera particulièrement difficile à avaler pour son principal rival, Succès Masra. L’opposant, devenu premier ministre en janvier, conteste les résultats et revendique 73 % des suffrages lors du scrutin du 6 mai, selon son propre décompte. « Ne vous laissez pas voler votre destin ! », lançait-il le 9 mai, appelant ses partisans à la « mobilisation pacifique » dans une vidéo diffusée en direct sur les réseaux sociaux quelques instants seulement avant l’annonce des résultats provisoires, qui ont donné Mahamat Idriss Déby vainqueur avec un peu plus de 61 % des voix.

Mais le grand soir n’a pas eu lieu, car un impressionnant dispositif militaire se déployait au même moment dans les principales villes du pays. « Les chars et pick-up équipés de mitrailleuses 12.7mm ont envahi les rues, on aurait dit une ambiance de coup d’Etat », s’étonne un observateur étranger pourtant habitué du Tchad. Le ministre de la sécurité a expliqué qu’il s’agissait d’un dispositif « préventif ».

Aussitôt les résultats proclamés, le vacarme des armes de guerre a déchiré la nuit et s’est poursuivi jusqu’au petit matin, en dépit de l’interdiction édictée par le chef d’état-major général des armées. Des « tirs de joie » certes « excessifs », concède le ministre de la communication, Abderaman Koulamallah, « mais qu’il faut comprendre car les militaires sont très attachés à leur président, qui est aussi un général ». L’ONG Human Rights Watch et l’Union européenne (UE), elles, n’ont pas hésité à les qualifier de violences post-électorales.

Porte de sortie

Tirs de joie ou d’intimidation, Hassan Baba Abazen s’en fiche. Car pour lui, le résultat est le même. Le 9 mai aux alentours de 21 h 40, un projectile explosif a traversé le toit de sa maison, tuant sa femme et blessant gravement ses trois enfants. « J’étais sorti en leur disant de rester à l’abri à l’intérieur. Lorsque je suis revenu, leurs corps étaient troués de partout », relate-t-il, le regard vide, seul au milieu de son salon dévasté aux murs criblés d’impacts, tenant un éclat de métal entre ses mains.

De multiples sources ont confirmé au Monde une dizaine de morts au moins et plusieurs dizaines de blessés rien que dans la capitale. On dénombre également des victimes dans la ville camerounaise de Kousseri, de l’autre côté de la frontière, face à N’Djamena. Par une circulaire, le ministère tchadien de la santé a d’abord interdit aux hôpitaux de fournir des informations aux journalistes sur le bilan de cette nuit électorale au nom de la protection du « secret médical », avant de faire machine arrière en promettant des bilans journaliers… qui se font toujours attendre.

Dans les quartiers sud de la capitale, réputés favorables à l’opposition et qui abritent le domicile de Succès Masra, ces tirs ont été perçus comme une forme d’intimidation. « Le message était clair : au moindre mouvement, ils étaient prêts à provoquer un nouveau “jeudi noir” », relate un membre des Transformateurs, le parti du premier ministre, en référence à la répression du 20 octobre 2022 ; entre 73 et 300 manifestants sortis réclamer le départ des militaires au pouvoir avaient été tués. « Nous n’avons pas appelé à manifester pour éviter un nouveau bain de sang », affirme Sitack Yombatina Béni, vice-président du parti.

Mais faute de pouvoir abattre sa dernière carte, celle de la mobilisation dans la rue, Succès Masra se retrouve hors jeu et acculé. Il ne reste donc aux Transformateurs que les voies légales de contestation, sans grand espoir, certes, mais qui lui donnent au moins le temps de réfléchir à une porte de sortie honorable. Dimanche, Succès Masra est venu lui-même déposer son dossier de recours au Conseil constitutionnel, présidé par Jean-Bernard Padaré, ancien porte-parole du parti de Déby père.

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Dans la requête, ses avocats documentent, pêle-mêle, des refus d’accès aux bureaux de vote ou aux opérations de dépouillement, l’absence de listes électorales dans certains bureaux, des urnes emportées par des militaires ou encore l’arrestation de 79 militants des Transformateurs en marge du vote. « Au regard de toutes ces irrégularités, nous demandons l’annulation pure et simple du scrutin », lance Sitack Yombatina Béni. En vain semble-t-il, car ce jeudi les journalistes sont invités par le Conseil constitutionnel à la « proclamation des résultats définitifs de l’élection présidentielle ». La seule surprise ne pourrait donc venir que des scores finaux de chaque candidat.

« Coup de massue »

Arrivé troisième avec près de 17 %, Albert Pahimi Padacké talonne Succès Masra d’une centaine de milliers de voix seulement. L’ancien premier ministre a lui aussi déposé un recours devant le Conseil constitutionnel pour demander l’annulation partielle du vote, notamment dans les trois provinces où l’actuel chef du gouvernement a engrangé le plus de voix, au motif que celui-ci aurait utilisé dans sa campagne les couleurs du drapeau national, ce qui est interdit par le code électoral. Si le Conseil accède à sa demande, il pourrait passer en seconde position.

« Une telle situation serait un véritable coup de massue politique pour Masra, observe Remadji Hoinathy, chercheur principal à l’Institut d’études de sécurité (ISS). Il a certainement été impressionné par sa propre campagne, mais une fois passée la déception, il va lui falloir trouver un autre moyen d’exister politiquement. D’autant plus qu’en tentant de faire cavalier seul, il s’est forgé de solides ennemis dans les rangs de l’opposition traditionnelle. »

Les cadres de son parti ont eu le temps de réfléchir à l’avenir, retranchés qu’ils étaient dans le QG des Transformateurs, encerclé par les forces de défense et de sécurité trois jours durant. « Nous devons maintenant nous atteler à développer l’assise territoriale du parti en vue des prochaines élections législatives, explique l’un d’eux. C’était notre première participation à des élections et on a commencé très fort, maintenant on doit voir comment transformer l’essai. »

La réflexion s’annonce plus compliquée pour la personne de Succès Masra, qui, en engageant le bras de fer au sommet de l’Etat, a annihilé ses chances de conserver son poste de premier ministre, obtenu à la faveur d’un accord politique qu’il n’est aujourd’hui plus en position de renégocier. « Sa marge de manœuvre est très étroite mais elle existe, relativise Remadji Hoinathy. Car le pouvoir, qui risque de prendre un net virage autoritaire, aura nécessairement besoin d’avoir un opposant, ne serait-ce que pour maintenir l’unité dans ses rangs et un semblant d’apparence démocratique. »

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