L'opération de reconnaissance au cours de laquelle dix soldats français sont morts dans une embuscade en Afghanistan, le 18 août, a été mal préparée, selon un rapport d'une cellule de renseignement français déployée auprès de l'OTAN à Kaboul, dont Le Canard enchaîné publie des extraits, mercredi 3 septembre. Ce document très critique a été rédigé dès le lendemain des combats par la Frenic (French National Intelligence Cell), à l'attention de la direction du renseignement militaire et de l'état-major des armées. Ses auteurs dressent un tableau inquiétant de l'état de préparation des troupes françaises, et distillent quelques commentaires acerbes sur la hiérarchie militaire.
Le 18 août, les fantassins français, ralentis par "la lourdeur de leurs gilets pare-balles", montent à pied vers le col où les attendent les insurgés. A 15 h 30, "le piège" se referme et les tirs commencent, selon le récit des officiers de renseignement. D'après leur rapport, les soldats "encerclés" sont très vite à court de munitions, alors que "les insurgés semblent disposer d'énormes réserves de munitions" et les placent sous un tir nourri. Les renforts en munitions ne parviendront qu'après deux heures quarante de combats.
"POTS DE CHAMBRE"
Fait rare, les officiers de renseignement égrènent leur rapport de commentaires plus ou moins grinçants : "Est-il normal que des professionnels s'engageant dans une opération de reconnaissance en profondeur de plusieurs jours (qui plus est en convoi) soient à court de munition dès le premier accrochage ?", s'interrogent-ils. "Est-il pensable qu'une opération de reco (reconnaissance) aussi importante (une centaine d'hommes en 2 sections de l'armée française et 2 sections de l'armée nationale afghane) ne soit pas dotée de moyens d'appui collectifs ?" Ou encore : "Comment peut-on laisser se monter de telles opérations sur ce terrain sans un minimum d'observation et de surveillance en avant des unités en progression ?"
Le Canard enchaîné, qui avait déjà fait état le 27 août d'"impréparations" dans l'opération, déclenchant la colère du ministre de la défense, Hervé Morin, se délecte du commentaire qui clôt le rapport : "La population locale appelle 'les pots de chambre' les autorités (afghanes) mises en place par les Occidentaux (...).Avons-nous vocation à être des cibles au service des pots de chambre ?"
"CORPS RETROUVÉS ALIGNÉS"
L'hebdomadaire affirme de nouveau que quatre soldats français ont bien été "capturés par les insurgés" avant d'être exécutés, comme il l'avait révélé le 27 août, malgré les démentis de l'état-major selon qui tous les militaires français tués "sont tombés en combattants dans une phase de combat". Le Canard s'appuie, pour étayer ses dires, sur des "confidences recueillies auprès des parents des soldats morts ou blessés", ainsi que sur un document de l'état-major des armées rédigé à Paris après l'embuscade. La mention "corps retrouvés alignés" apparaît ainsi à quatre reprises dans la marge d'un tableau énumérant les 31 soldats (10 morts, 21 blessés) mis hors de combat lors de l'embuscade. Le journal y voit la preuve que "les talibans ont disposé, pendant un temps, de plusieurs soldats français, morts ou vivants". "Au-delà des récits d'épouvante qui circulent, les témoignages concordent : tous les Français ne sont pas morts sur le coup. Le patron des armées (...) a servi une version qui ne tient pas la route, même au sein des armées", conclut le Canard.
L'état-major des armées a contesté mercredi l'origine du rapport dont Le Canard attribue la paternité à la Frenic. "Il n'a pas été écrit par la Frenic et n'a été retrouvé ni à l'état-major de Kaboul, ni au Centre de planification et de conduite des opérations" de l'état-major à Paris, a déclaré à l'AFP le capitaine de vaisseau Christophe Prazuck, de l'état-major des armées. L'auteur de l'article et rédacteur en chef de l'hebdomadaire satirique, Claude Angeli, a estimé que l'état-major cherchait à "attaquer la crédibilité du Canard enchaîné", affirmant qu'il "n'aurait pas publié" ce document, partiellement reproduit en fac-similé, s'il avait un doute sur la source.
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