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Quand le documentaire s’anime

Faute d’archives suffisantes, les réalisateurs optent de plus en plus pour ce mode de narration.

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Publié le 11 décembre 2015 à 16h07, modifié le 12 décembre 2015 à 07h58

Temps de Lecture 7 min.

Alésia. Eté 52 avant J.-C. La grande bataille est imminente. Apator, chef du peuple éduen et bras droit de Vercingétorix, escorté de 300 000 compagnons, s’apprête à affronter les légions de Jules César.

Le Dernier Gaulois n’est pas un énième péplum hollywoodien, mais une « superproduction » française de 2,7 millions d’euros qui relate le siège d’Alésia sous la forme d’un étonnant documentaire mariant animation et images réelles. Mardi 29 décembre, France 2 prend le pari de diffuser, à 20  h  55, ce docu-fiction sur la guerre des Gaules dans lequel les acteurs et le décor ont été imaginés et dessinés par des graphistes, puis tourné en motion capture avant d’être validé dans les moindres détails par l’archéologue Jean-Louis Brunaux, spécialiste de la civilisation gauloise. « Ça reste avant tout un vrai documentaire, souligne Fabrice Coat, le producteur. Sur les quatre-vingt-dixminutes que compte le film, il y en a cinquante-deux en animation. »

Après quatre années de travail, ce film a pour ambition – comme l’a exigé Barbara Hurel, directrice adjointe de l’unité documentaire de France 2 – de raconter l’histoire des Gaulois au-delà du mythe et des clichés. Une reconstitution en animation  ? « C’est un nouveau support de narration qui permet de donner au public une représentation de nos ancêtres les Gaulois », explique-t-elle.

Donner chair

Le Dernier Gaulois illustre l’engouement récent des chaînes et des auteurs pour « cette écriture », explique Barbara Hurel. Depuis le succès mondial, en 2008, de Valse avec Bachir, d’Ari Folman, ces films hybrides se sont multipliés à la télévision : Juifs et musulmans, si loin, si proches, de Karim Miské (Arte), L’Embuscade, de Jérôme Fritel (France 2), Endoc(t)rinement, de Stéphane Horel (France 5), ou encore Les Aventuriers de l’art moderne, diffusé sur Arte dès le 16 décembre. Et la liste est loin d’être exhaustive…

« L’animation, c’est la caméra idéale qu’on n’a jamais eue et qu’on n’aura jamais. C’est un procédé magique, explique Jérôme Fritel. Elle offre une grande liberté, même s’il est compliqué de l’utiliser. » Dans L’Embuscade, l’animation lui a permis de « matérialiser » le souvenir de soldats français et de reconstituer une attaque meurtrière en Afghanistan. Ainsi, l’animation s’impose naturellement dans les documentaires où il n’y a pas ou peu d’archives (photos ou films). « La nécessité du récit nous oblige à être créatifs. S’il n’y a pas d’images, on peut les fabriquer mais pas les inventer », note Clémence Coppey, directrice de l’unité documentaire de France 3.

L’animation doit être au service d’un récit relatant un passé lointain (ou pas), d’une parole extrêmement forte qu’on ne peut pas restituer ; elle permet de faire partager une émotion et de donner chair à des personnages historiques, en l’absence d’archives. Cela a été le cas pour le film Illustre et Inconnu. Comment Jacques Jaujard a sauvé le Louvre (France 3), de Jean-Pierre Devillers et Pierre Pochart, qui retraçait l’invraisemblable parcours de cet homme très discret, sauveur des œuvres du musée pendant la seconde guerre mondiale. Pour ce film, les auteurs ont reçu le 12  décembre une récompense aux prestigieux International Emmy Awards dans la catégorie des programmes sur l’art. « Le docu-fiction donne une impression d’interpréter la réalité alors que l’animation est ancrée dans la réalité », tient à nuancer Jean-Pierre Devillers.

« On peut avoir recours au docu-fiction avec des acteurs mais c’est généralement raté et la fiction coûte cher », reconnaît Karim Miské. « Et l’animation suggère des espaces, évoque des lieux, donne une image du réel, elle tient le récit », ajoute Alex Szalat, directeur adjoint de l’unité société et culture d’Arte.

Un effort de vulgarisation et beaucoup de travail

L’animation permet aussi de « vulgariser des sujets complexes », assure la réalisatrice Stéphane Horel. Ainsi, sur France 5, la science est traitée pour une bonne part à travers ce processus narratif qui permet d’être « ludique », comme le souligne Caroline Behar, directrice de l’unité documentaires. « Notre ambition est de rendre accessible la science au plus grand nombre. Avoir une démarche davantage visuelle permet d’attirer un public assez familial. » Mais pas forcément plus jeune.

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Pour autant, même une animation à petite dose nécessite « énormément de travail. On ne s’en rend pas compte », ajoute Stéphane Horel. Car le développement est long, très long, entre la recherche graphique, la conception des story-boards et leur validation par la chaîne, le son, les couleurs, les voix. « Nous avons passé un an et demi à chercher le style graphique, souligne Fabrice Coat, producteur du Dernier Gaulois. J’avais dit à France 2 de ne pas s’inquiéter, que le film ne serait pas une animation naïve, genre Kirikou.» Pas question de faire du Pixar (studio à qui l’on doit Toy Story ou Ratatouille) et encore moins 300, un péplum ultra-­stylisé de Zack Snyder. « De toute façon, c’est impossible, nos budgets sont ridicules », sourit Fabrice Coat.

Un coût très élevé

Les budgets des documentaires animés ne sont pas extensibles : le coût moyen pour un 52 minutes à destination d’une grande chaîne oscille entre 90 000 et 150 000 euros. La part de l’animation peut atteindre jusqu’à 50 % du budget pour seulement une dizaine de minutes de dessins. « L’animation coûte encore très cher, assure Karim Miské, même si elle l’est moins qu’il y a vingt ans. Aux producteurs d’être malins pour trouver d’autres sources de financement. » Comme le Centre national du cinéma et de l’image animée, les régions, les coproductions internationales ou encore les bourses privées pour les nouvelles écritures… Surtout, il faut trouver le studio qui accepte de travailler à moindres frais, sinon « on doit tous se serrer la ceinture », reconnaît Jérôme Fritel. Sans oublier qu’il faut apprendre à travailler avec des graphistes.

Pour certains documentaristes, l’animation est considérée comme une « belle arme » mais encore « faut-il savoir l’utiliser avec parcimonie, précise Jérôme Fritel. C’est devenu un effet de mode, or l’animation n’est pas une baguette magique qui permet de tout raconter. Avec elle, on utilise les codes de la fiction, il faut donc faire attention à ne pas aller trop loin. » Toute la difficulté est de trouver le juste équilibre entre le récit, les témoignages, les archives et les animations. Et la tentation d’en user systématiquement peut remettre en cause cette fragile alchimie. Comme le dit Jean-Pierre Devillers : « L’animation peut prendre les allures d’une solution de facilité et devenir un danger, surtout si l’artistique prend le pas sur l’histoire. »

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