Le groupe nucléaire Areva aurait été victime d'une "escroquerie" en acquérant la société de gisements d'uranium Uramin, une opération qui s'est avérée un désastre financier, affirme, vendredi 13 janvier dans Le Parisien, l'auteur d'un audit réalisé en 2010 pour le groupe. "Il y a un faisceau d'indices sérieux et concordants qui démontrent qu'Areva a été victime d'une escroquerie sans doute facilitée par des complices au sein du groupe", selon la conclusion du rapport de Marc Eichinger, dirigeant de la société de conseil Apic, interrogé par le quotidien.
Annoncée à la mi-juin 2007, finalisée à la fin juillet de la même année, l'offre publique d'achat (OPA) sur le producteur canadien Uramin par Areva pour un montant de 2,5 milliards de dollars américains (1,82 milliard d'euros), a constitué l'une des plus grosses acquisitions de son histoire.
UN CABINET RÉMUNÉRÉ PAR LE VENDEUR
Pour Marc Eichinger, Uramin "n'avait aucune production ni aucune ressource prouvées". Il indique que l'OPA d'Areva n'a pas été entourée de conditions de confidentialité idéales, permettant au titre Uramin (coté à la Bourse de Toronto et de Londres) de quadrupler "pendant les six mois précédant l'acquisition, le prix passant de 300 millions d'euros en 2006 à 1,8 milliard en 2007". Lors de la préparation de l'OPA, Areva n'aurait examiné que les documents fournis par SRK, un cabinet d'études rémunéré par Uramin, poursuit Marc Eichinger. L'acquisition d'Uramin s'est faite "dans des conditions de gouvernance irréprochables", avait assuré fin décembre Anne Lauvergeon, ex-patronne du groupe, en rappelant au passage que le cours de l'uranium était à l'époque très élevé.
Avant l'OPA, un rapport de Goldman Sachs pour EDF soulignait les risques concernant le rachat de la société d'exploration immatriculée aux îles Vierges britanniques, un paradis fiscal. Uramin possédait des mines d'uranium en Namibie (Trekkopje), en Centrafrique (Bakouma) et en Afrique du Sud (Ryst Kuil), mais Areva a dû déchanter : "Les gisements d'uranium se sont avérés plus petits et de moins bonne qualité que prévu", indique Le Parisien. La crise financière de 2008 et la catastrophe de Fukushima, en mars 2011, ont compliqué encore la donne.
Areva, détenu à 87 % par l'Etat, a passé en décembre une nouvelle très lourde provision de 1,46 milliard d'euros sur la valeur d'Uramin, qui ne vaut plus comptablement que 20 % de sa valeur d'acquisition malgré des investissements. Ce désastre financier plombe a posteriori le bilan de la patronne d'Areva, Anne Lauvergeon. Parmi les éléments troubles du dossier, M. Eichinger avance également que le patron de la division minière d'Areva à l'époque de l'achat d'Uramin, Daniel Wouters, était en parallèle responsable d'une société d'exploration minière en Afrique, Swala Resources, même s'il reconnaît ne pas avoir "pu prouver d'enrichissement personnel indu".
M. Wouters, recruté rapidement en 2006, "connaissait le mari d'un cadre dirigeant, dont je ne peux pas dévoiler le nom", selon M. Eichinger, qui accuse également Areva d'avoir publié "des informations mensongères" après l'acquisition d'Uramin "jusqu'au moment où il n'était plus possible de les cacher". Quant au commanditaire du rapport, réalisé sous l'ère d'Anne Lauvergeon, il s'agit selon l'auditeur de la direction de la protection du patrimoine, "qui a reçu une demande interne". Il affirme n'avoir "à aucun moment été en contact avec Anne Lauvergeon ou un membre de la direction générale". Vendredi, Areva a refusé de commenter ces accusations sur le fond, une porte-parole indiquant simplement que le groupe est "prêt à répondre à la justice si nous sommes interrogés".
LA QUESTION DES INDEMNITÉS
Les déclarations de Marc Eichinger interviennent sur fond de conflit ouvert entre Anne Lauvergeon et son ex-employeur. Jeudi, Areva a fait savoir que le versement d'indemnités de départ de l'ancienne présidente du directoire du groupe était suspendu aux conclusions d'une étude sur l'acquisition d'Uramin.
L'avocat d'Anne Lauvergeon avait de son côté annoncé mercredi avoir assigné le groupe en référé pour qu'il verse à sa cliente 1 million d'euros d'indemnités de départ et 500 000 euros au titre d'une clause de non-concurrence, en fonction d'un accord "irrévocable" négocié lors de son éviction. Le parquet de Paris a par ailleurs ouvert fin 2011 une enquête préliminaire après la plainte contre X déposée lundi par Anne Lauvergeon pour une affaire d'espionnage présumé contre elle et son mari qui serait elle aussi liée à Uramin.
La candidature d'Anne Lauvergeon, qui était à la tête du groupe depuis sa création en 2001, n'avait pas été retenue par Nicolas Sarkozy à la fin de son mandat, en juin dernier. Elle a été remplacée à la présidence du directoire par son numéro deux, Luc Oursel.
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