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La "Nakba" des juifs ?

Et si, lorsque des milliers de Palestiniens ont célébré, mardi 15 mai, la Nakba, cet anniversaire qui commémore leur exil et correspond à la naissance de l'Etat d'Israël, un nombre équivalent de juifs étaient descendus dans la rue pour, eux aussi, se souvenir de leur "catastrophe", leur départ forcé des pays arabes ?

Par  et Laurent Zecchini

Publié le 19 mai 2012 à 11h37, modifié le 21 mai 2012 à 11h55

Temps de Lecture 3 min.

Et si, lorsque des milliers de Palestiniens ont célébré, mardi 15 mai, la Nakba, cet anniversaire qui commémore leur exil et correspond à la naissance de l'Etat d'Israël, un nombre équivalent de juifs étaient descendus dans la rue pour, eux aussi, se souvenir de leur "catastrophe", leur départ forcé des pays arabes ? L'auraient-ils fait que les apôtres du politiquement correct se seraient récriés : il n'y a qu'une Nakba, celle des Palestiniens, fait historique incontestable bien que toujours nié, soixante-quatre ans après, par les partis sionistes israéliens !

Une seule Nakba, une seule souffrance ? Voire... De même que quelque 750 000 Arabes ont dû abandonner la Palestine en 1948, à la fois parce qu'ils ont été expulsés par les troupes de la Haganah, l'armée juive, et qu'ils ont fui la guerre, un nombre étrangement comparable de juifs ont été obligés de quitter les pays arabes, perdant souvent tous leurs biens. Mais, au fond, cette page controversée de l'Histoire a-t-elle de l'importance en 2012 ? Oui, doublement.

D'abord parce que cet anniversaire est célébré chaque année par les Palestiniens. Ensuite, et surtout, parce que la Nakba renvoie au "droit au retour" des réfugiés palestiniens. C'est un "droit" politique et psychologique, puisque chacun sait qu'il est inenvisageable que des millions de réfugiés puissent revenir en Israël. Il n'empêche : officiellement, il reste l'un des grands dossiers des négociations entre Israéliens et Palestiniens.

La nouveauté est que le ministère israélien des affaires étrangères a décidé de ressortir le carton poussiéreux de l'indemnisation des juifs, bref de brandir la "Nakba des juifs" pour, si l'on comprend bien, tenter d'équilibrer celle des Palestiniens. C'est le très radical Danny Ayalon, vice-ministre des affaires étrangères et membre du parti ultranationaliste Israel Beitenou, qui a pris la tête de ce combat.

Des instructions ont été données aux ambassades d'Israël pour tenter de faire reconnaître le sort funeste des réfugiés juifs. A Jérusalem, une commission parlementaire a fait chorus : la question de la compensation des "856 000 juifs" expulsés des pays arabes devra faire partie du règlement final israélo-palestinien. Mais quelle est la vérité de la "Nakba des juifs" ? Le plus simple est d'interroger les deux chefs de file des nouveaux historiens israéliens, Benny Morris et Tom Segev.

Le premier estime que le nombre de réfugiés juifs ne dépasse pas "700 000 personnes" et le second qualifie l'estimation de la Knesset de "très idéologique". Tous deux confirment que les juifs d'Irak, du Yémen, d'Egypte, du Maroc, de Tunisie, d'Algérie, de Libye, de Syrie et du Liban ont dû quitter contre leur gré une terre parfois ancestrale, que des pogroms ont eu lieu, et que le montant de la spoliation des juifs d'Orient représente "des milliards de dollars". Benny Morris explique que si la communauté internationale pourrait peut-être se mettre d'accord sur l'indemnisation des réfugiés palestiniens, il y a peu de chances qu'elle en fasse autant pour les juifs.

Celle-ci serait théoriquement "juste", mais les juifs "sont réputés riches" et surtout, insiste-t-il, "ils ne sont pas réfugiés", contrairement aux 4,8 millions de Palestiniens enregistrés comme tels par les Nations unies. Les deux historiens critiquent l'approche idéologique visant à établir un lien entre les deux Nakbas. Les juifs d'Orient ont été "absorbés" en Israël (environ 600 000), ils n'ont aucune envie de revenir dans les pays arabes, et donc "le problème des réfugiés juifs est inexistant", tranche Benny Morris.

Tom Segev pousse le raisonnement : "Si Israël est la patrie de tous les juifs, et que tous les juifs qui s'y installent reviennent chez eux, parce que c'est ce qu'ils ont espéré pendant 2 000 ans - c'est la base de l'idéologie sioniste -, comment pourraient-ils être "réfugiés" ?" L'un et l'autre soulignent que, si les Arabes de Palestine sont à l'origine du conflit, les réfugiés juifs ont été autant les victimes des pays arabes que... du sionisme. En tout état de cause, les Palestiniens ne peuvent être rendus responsables du sort des juifs expulsés des pays arabes.

Alors pourquoi ressusciter la question de la "Nakba des juifs" ? "C'est un exercice de propagande politique, explique Benny Morris. Vous voulez parler du problème des réfugiés palestiniens ? Nous répliquons par les réfugiés juifs !" Curieusement, les jusqu'au-boutistes d'Israel Beitenou ne voient pas que de telles initiatives, qui donnent un regain d'actualité à la question du "droit au retour", sont contre-productives.

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C'est pour cela que, pendant des décennies, les gouvernements israéliens successifs ont laissé dormir la "Nakba des juifs". Celle-ci conserve sa légitimité historique, mais, politiquement, elle n'a plus beaucoup de sens en 2012.

lzecchini@lemonde.fr

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