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L’hommage d’Edgar Morin à Alain Touraine : un « grand esprit », passionné par « tout ce qui est mouvant »

« Alors qu’une majorité de sociologues travaille sur ce qui ne change pas et se reproduit à l’identique, il fut de ces rares qui, au contraire, se passionnèrent pour tout ce qui est mobile, initiateur, créateur », écrit le philosophe, dans une tribune au « Monde », en hommage à Alain Touraine.

Publié le 12 juin 2023 à 12h00, modifié le 12 juin 2023 à 16h58 Temps de Lecture 2 min. Read in English

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Alain Touraine était de quatre ans mon cadet, il n’a pas pu appartenir à la génération de la Résistance. Etudiant normalien, il fut marqué par l’œuvre de Georges Friedmann sur le travail ouvrier dans les entreprises industrielles. Il quitta ses études de normalien pour s’engager en usine afin de connaître, depuis l’intérieur, la condition ouvrière. Georges Friedmann lui conseilla de terminer ses études pour le faire entrer au CNRS où il pourrait se consacrer à l’étude du monde ouvrier et de ses conditions de travail.

C’est ainsi qu’Alain Touraine entra au CNRS la même année que moi, en 1951, et put se consacrer à sa préoccupation essentielle. Très rapidement, il fut adopté par les mandarins de la sociologie, mais il en demeura totalement indépendant, ce qu’il fit notamment en Mai 68, dans sa pleine compréhension des révoltes étudiantes et populaires et de leurs suites.

Auparavant, au début des années 1960, lorsque fut créée par l’Unesco une école des sciences sociales destinée à tous les étudiants latino-américains, sise à Santiago du Chili, il y fut invité sur l’instigation de Friedmann, comme je le fus moi-même. Nous nous retrouvâmes à Santiago, moi principalement enseignant, lui principalement chercheur des conditions de travail des mineurs chiliens. Nous eûmes l’un et l’autre le coup de foudre pour le Chili et plus amplement pour l’Amérique latine dont il devint l’un des meilleurs connaisseurs du point de vue sociologique et humain. Nous avons éprouvé toute notre vie cette passion commune. A Santiago, il épousa la délicieuse Adriana qui fut la mère de ses enfants et qui mourut tragiquement de maladie. Je vécus un deuil équivalent avec la perte d’Edwige, une souffrance commune nous rapprocha davantage. Et nous trouvâmes un salut consolateur. Lui avec Simonetta, moi avec Sabah.

Une œuvre abondante

Après les événements de 1968, il s’intéressa aux mouvements sociaux − c’est-à-dire tout ce qui tend à transformer notre société −, mouvements syndicaux, mouvements populaires, mouvements féministes dont il comprit l’importance historique, et aux mouvements écologiques. Alors qu’une majorité de sociologues travaille sur ce qui ne change pas et se reproduit à l’identique, il fut de ces rares qui, au contraire, se passionnèrent pour tout ce qui est mobile, mouvant, initiateur, créateur. Il laisse une œuvre abondante qui témoigne de cette perspective et de cette passion. Son livre Sociologie de l’action, paru en 1965 [Seuil], l’indique clairement.

Nous étions liés pas seulement par des idées communes mais par une fraternité qui, pour moi, comportait une énorme estime pour sa loyauté, sa fidélité, sa rigueur. Dans un milieu où il y a beaucoup de mesquineries, d’ambitions, de petitesses, il s’est toujours montré d’une stature noble et rigoureuse. Bien que de plus en plus fatigué à partir de ses 90 ans, il ne cessa d’écrire et de travailler sur ce thème ignoré des sociologues qu’est la subjectivité humaine. Il avait très justement découvert que tous ces mouvements objectifs de la société comportaient chez leurs acteurs une forte et intense subjectivité, et que cette dimension du sujet humain − qu’ignore toute science prétendument objectivante − était absolument capitale.

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