Tous les spécialistes du renseignement français le redoutaient : le passage à l'action d'un "loup solitaire djihadiste" français, radicalisé en dehors des réseaux et groupuscules connus placés sous surveillance, en France comme à l'étranger. La décrépitude d'Al-Qaida, avant même l'élimination d'Oussama Ben Laden par les forces spéciales américaines, le 1er mai 2011, est sans effet sur un système déterritorialisé échappant à toute forme d'organisation et de structures, alimenté par un mécanisme de "franchise" où la simple invocation d'Al-Qaida vaut appartenance.
Mohammed Merah, 24 ans, le suspect présumé des attaques de Montauban et de Toulouse, présente ce profil. Selon nos informations, il s'est rendu, à deux reprises, en 2010 et 2011, au Pakistan pour intégrer des groupes de combattants basés dans les zones tribales pakistanaises, une région montagneuse semi-autonome qui longe l'Afghanistan sur 1 360 km et héberge le Tehrik-e-taliban Pakistan (Mouvement des talibans du Pakistan, TTP).
Après avoir été entraîné dans des camps qui accueillent des talibans pakistanais, des djihadistes étrangers et des membres du puissant réseau Haqqani, il aurait franchi la frontière au sein de groupes envoyés se battre contre les soldats de l'OTAN en Afghanistan.
REPÉRÉ PAR LES SERVICES DE RENSEIGNEMENTS
Il aurait ainsi d'abord séjourné dans les agences du Waziristan, dans les FATA, avant de se rendre dans le sud de l'Afghanistan, notamment dans les provinces de Kandahar et de Zaboul. Lors d'un séjour dans la région, il a été contrôlé par une patrouille de police à l'entrée de la ville de Kandahar. Sa nationalité étrangère a attiré l'attention mais n'a pas constitué un motif d'arrestation. Néanmoins, sa présence a été signalée aux services de renseignements afghans qui ont transmis l'information aux Occidentaux.
Il appartenait donc à un groupe de talibans pakistanais auxquels s'adjoignent des étrangers venus prêter main-forte aux talibans afghans. Ces insurgés migrent de province en province dans toute la partie est de l'Afghanistan, en particulier lors de la saison des combats qui atteint son pic au cours de l'été. Les retours au Pakistan et en France du suspect s'expliquent notamment par l'arrêt, l'hiver, de ces déplacements d'insurgés venant du Pakistan.
Si les talibans afghans sont avant tout des religieux nationalistes, ils acceptent le soutien de ces étrangers qui conservent le plus souvent le visage masqué et ne parlent pas la langue locale.
Interrogé le 16 mars, à Ghazni, une ville afghane proche de la frontière pakistanaise par laquelle transitent de nombreux groupes insurgés, le général Sayed Amir Shah, chef des services de renseignements afghans de la province, évoquait pour Le Monde l'existence de ces combattants venus des zones tribales.
"Il existe près de deux cents madrasas [écoles religieuses] dans les FATA qui enseignent le djihad aux futurs insurgés qui reçoivent ensuite, voire en même temps, un entraînement militaire." Le TTP a lié son destin à Al-Qaida et disposerait, selon les services de renseignements militaires américains basés à Khost, dans le sud-est de l'Afghanistan, d'une centaine de camps d'entraînement tout du long de la frontière. De la petite cour intérieure d'une maison au camp retranché, ces centres fournissent les troupes qui alimentent à la fois l'insurrection contre les forces occidentales en Afghanistan et contre l'armée d'Islamabad au Pakistan.
DES CELLULES COMBATTANTES ÉPARPILLÉES
Les frappes de drones américains qui se sont multipliées depuis 2009 contre ces centres d'entraînement et leurs responsables (423 en 2010 contre une en 2007) ont éparpillé ces cellules combattantes et ces lieux d'endoctrinement. Le parcours du tueur djihadiste de Toulouse montre la mobilité de ces individus qui peuvent se rendre du Pakistan aux zones tribales puis en Afghanistan avant de rentrer en France. De source britannique à Kaboul, on assurait, en février 2012, que les filières djihadistes se dirigeaient désormais vers l'Afrique.
A la différence des talibans afghans, le TTP a adhéré aux projets djihadistes d'Al-Qaida. Il a fourni son aide et même revendiqué, en mai 2010, la tentative d'attentat à la voiture piégée de Times Square, à New York. Le TTP a aussi prêté main-forte à l'opération d'infiltration menée par Al-Qaida contre la CIA par un médecin jordanien. Cet agent double avait fait sauter, le 30 décembre 2009, sa ceinture d'explosifs sur la base de Chapman, en Afghanistan.
Fidèle au chef des talibans, le mollah Omar, la puissante famille Haqqani a aussi ouvert ses camps et ses finances à Al-Qaida tout en maintenant des liens étroits avec les services secrets militaires pakistanais (ISI). Selon les services français, Haqqani a ainsi collaboré avec Abdul Hadi Al-Iraqi, chef militaire d'Al-Qaida pour l'Afghanistan arrêté en 2006, puis avec Abou Laith Al-Libi, responsable d'Al-Qaida pour l'Est afghan tué en 2008. Un parent du djihadiste jordano-palestinien Abdallah Azzam, connu sous le nom d'Abou Harès Al-Filastini, aurait également longtemps fait fonction d'agent entre le réseau Haqqani et Al-Qaida.
Selon les services de renseignement occidentaux, à Kaboul, "une centaine d'Européens seraient actuellement dans les zones tribales après avoir été pris en charge par des filières djihadistes". De source diplomatique, on indiquait, fin 2011, que la moitié de ces volontaires possédaient un passeport allemand et une dizaine de Français étaient recensés parmi eux par les services spécialisés. Des réseaux belge et algérien ont été identifiés et les individus ont souvent la double nationalité, germano-marocaine ou italo-algérienne.
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