« Ce n’est pas possible de faire une procuration, vous devez vous déplacer à Karamay », avait répondu celui qui se présentait comme un employé du service comptabilité de la compagnie pétrolière pour laquelle la Ouïgoure Gulbahar Haitiwaji a longtemps travaillé, dans le nord du Xinjiang, avant de quitter la région peu après son époux, lassé des discriminations et des avantages donnés à la majorité chinoise, les Han.
Quelques jours plus tôt, le même homme l’avait déjà appelée pour lui demander de se rendre en Chine afin de signer des documents administratifs concernant sa retraite anticipée. Cela faisait dix ans que Mme Haitiwaji vivait en France. Mais, si son mari et ses filles avaient le statut de réfugiés politiques, elle avait préféré conserver son passeport chinois, pour se garder la possibilité d’aller voir sa famille, sa mère vieillissante.
En ce mois de novembre 2016, Mme Haitiwaji, après avoir hésité, prit un billet d’avion pour la Chine. Après tout, elle ne s’était jamais intéressée à la politique, qu’irait-on lui reprocher. Surtout, les Ouïgours subissaient déjà la répression, mais il n’était pas encore question de ces camps d’endoctrinement par lesquels sont depuis passés au moins un million de membres de cette minorité musulmane et turcophone, selon les travaux de chercheurs et d’ONG. Et pour cause, la politique d’internement de masse des Ouïgours et autres minorités musulmanes du Xinjiang ne faisait que commencer.
En deux ans de détention, de lavage de cerveau, dans le froid et la faim, elle allait voir se déployer le système concentrationnaire ciblant sa communauté, pour éradiquer sa religion, l’islam, sa pensée, sa culture et sa langue, avant d’être libérée grâce aux pressions de sa famille et aux efforts du Quai d’Orsay. Elle en fait un récit détaillé avec la journaliste Rozenn Morgat, du Figaro, dans Rescapée du goulag chinois (Editions des Equateurs, 200 pages, 18 euros).
« Votre fille est une terroriste ! »
Son témoignage confirme l’effort de Pékin pour contraindre les Ouïgours vivant à l’étranger à rentrer pour les interner. « Gulbahar est entrée dans ces camps sans savoir ce que c’était, et elle a vu ce système se construire autour d’elle », relève la coautrice, Rozenn Morgat.
Le 30 novembre 2016, Mme Haitiwaji est donc dans les locaux du groupe pétrolier au Xinjiang pour signer la paperasse, lorsque les policiers l’arrêtent et l’emmènent au poste, où commencent les interrogatoires. L’un d’eux brandit bientôt une photo de sa fille aînée, Gulhumar, à une manifestation organisée par l’Association des Ouïgours de France, place du Trocadéro. « Votre fille est une terroriste ! », lance-t-il.
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