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La Nakba palestinienne, un enjeu politique et une bataille mémorielle

Les Palestiniens commémorent le 70e anniversaire de l’exode de 1948 sur fond de violences.

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Publié le 15 mai 2015 à 11h50, modifié le 15 mai 2018 à 09h51

Temps de Lecture 6 min.

Le 14 mai 2015 à Bethléem.

A l’occasion des manifestations de Palestiniens réclamant les terres perdues au moment de la création d’Israël, qui fête cette année son 70e anniversaire, nous republions cet article initialement publié en mai 2015.

En Israël, le mot est tabou. Tandis que le pays fêtait, lundi 15 mai, son 70e anniversaire et le déménagement de l’ambassade américaine, 58 Palestiniens qui manifestaient près des barrières de séparation entre le territoire palestinien et l’Etat hébreu ont été tués lors de la marche pour réclamer les terres perdues au moment de la création d’Israël.

Comme chaque année depuis 1998 et une décision de l’Autorité palestinienne de marquer l’exode des populations palestiniennes en 1948, Palestiniens et Arabes israéliens commémorent la « Nakba », la « catastrophe ».

Après que le gouvernement a banni l’usage du mot « Nakba » des manuels scolaires et tenté de criminaliser sa commémoration, le Parlement israélien a voté en 2011 une loi autorisant le ministère des finances à priver de subventions toute ONG qui organiserait un événement autour de cette journée.

De quoi parle-t-on ?

Quand, en 1947, l’Empire britannique décide de se débarrasser de la Palestine mandataire (qu’il administre depuis 1920) et de confier le dossier aux Nations unies, 650 000 juifs sont établis en Palestine ; les Palestiniens arabes représentent autour de 1,2 million à 1,4 million de personnes.

En novembre, l’Assemblée générale de l’ONU vote la partition du territoire en deux Etats indépendants : l’un, juif, s’étendant sur près de 55 % du territoire ; l’autre arabe, sur près de 40 % des terres – Jérusalem bénéficiant d’un statut de « ville internationale ».

Si les dirigeants sionistes accueillent favorablement la partition, les élites palestiniennes et les gouvernements arabes la rejettent. Après plusieurs mois de combats dont les deux camps se rejettent la responsabilité et de déplacements de populations, la déclaration d’indépendance israélienne, le 14 mai 1948, provoque l’intervention directe des armées des pays arabes voisins pour tuer dans l’œuf le nouvel Etat. Elles sont repoussées puis vaincus.

De novembre 1947 à l’issue la guerre, en juin 1949, jusqu’à 750 000 Palestiniens quittent, fuyant ou expulsés, les territoires sous contrôle israélien, leurs biens sont saisis. Seuls 150 000 restent établis dans le nouvel Etat.

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Aujourd’hui, plus de 43 % des Palestiniens vivant dans la bande de Gaza et en Cisjordanie sont considérés comme « réfugiés ». Le nombre de réfugiés (issus des guerres de 1948, 1967 et leurs descendants) enregistrés auprès de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) était de plus de 5 millions en 2014, répartis entre la Syrie, la Jordanie, le Liban et les territoires palestiniens.

Nettoyage ethnique contre départ voulu 

Les Palestiniens ont toujours estimé avoir été victimes d’un nettoyage ethnique en règle : « Israël a pris le contrôle de 774 villes et villages, en a détruit 561 et commis 70 tueries et massacres », selon le bureau central des statistiques palestinien à Ramallah. L’application iNakba, développée par l’ONG israélienne Zochrot, permet de localiser 400 à 500 villages palestiniens détruits en 1948.

Longtemps, la position israélienne n’a pas varié : les Arabes auraient quitté leurs terres et leurs maisons à l’appel de leurs élites et des pays arabes voisins qui s’apprêtaient, en 1948, à envahir le jeune Etat d’Israël. « Israël n’est pas responsable de la tragédie des Palestiniens ; leurs leaders, si », déclarait encore en 1998 le premier ministre de l’Etat hébreu, Benyamin Nétanyahou.

« La diplomatie israélienne a, par le passé, présenté cette histoire comme un échange de population. Similaire au transfert de populations entre la Turquie et la Grèce au début du XXsiècle », rappelle l’historien et journaliste Tom Segev.

« Le plus inextricable des problèmes laissés par 1948 »

Comme lui, d’autres chercheurs (Simha Flapan, Benny Morris, Ilan Pappé, Avi Shlaïm) – surnommés les « nouveaux historiens israéliens » – ont, à partir de la fin des années 1980, réexaminé l’histoire de la naissance de l’Etat d’Israël et montré, en se basant sur les archives militaires, que l’exode des Palestiniens a été le plus souvent le résultat de violences et d’une savante guerre psychologique les poussant sur les routes par crainte d’exactions. Mais aussi de transferts forcés : 50 000 à 70 000 habitants des villes de Lydda et Ramleh sont ainsi expulsés de force vers Ramallah alors que les villes se sont rendues entre juillet et novembre 1948, écrit Benny Morris dans Victimes : histoire revisitée du conflit arabo-sioniste (Editions Complexe, 2003).

L’historien, l’un des premiers à avoir battu en brèche l’historiographie officielle, même s’il estime aujourd’hui que les Juifs n’avaient pas d’alternative, pense d’ailleurs que la Nakba reste actuellement au cœur de l’affrontement israélo-palestinien : « Les réfugiés palestiniens constituent le plus inextricable des problèmes laissés par 1948. »

La question du droit au retour

Car outre ses célébrations annuelles et sous tension, la Nakba renvoie surtout au « droit au retour » des réfugiés palestiniens. Un droit « politique », voire symbolique, tant il paraît peu vraisemblable que des millions de personnes puissent revenir s’établir en Israël. Mais, officiellement, il reste l’un des grands dossiers et un point d’achoppement de toute négociation entre Israéliens et Palestiniens. Et toute nouvelle construction de colonie ou grignotage du territoire palestinien évoque immanquablement la Nakba pour les Palestiniens. En réponse, la droite israélienne a notamment ressorti des cartons le dossier de l’indemnisation des Juifs des pays arabes et d’Iran.

Une « Nakba juive » ?

Depuis 2014 en Israël, la date du 30 novembre – commémore officiellement « la déportation des Juifs des terres arabes et d’Iran ». Selon les attendus de la loi votée le 24 juin 2014 par la Knesset, le Parlement israélien, 856 000 Juifs ont été expulsés ou ont dû quitter des pays arabes entre 1957 et 1972, laissant la plupart du temps tout derrière eux : « Le ministère des affaires étrangères organisera des événements dans les ambassades pour accroître la prise de conscience internationale sur le problème des réfugiés juifs des pays arabes et d’Iran et leur droit à une indemnisation. »

C’est en 2012 que le vice-ministre des affaires étrangères Danny Ayalon, membre du parti ultranationaliste Israel Beitenou, a pris la tête de ce combat. Avec l’idée qu’un « droit à une indemnisation » pour les juifs expulsés des pays arabes devrait faire partie de tout règlement israélo-palestinien. Et de contrebalancer la Nakba palestinienne, selon ces détracteurs.

Un demi-millon de Juifs ont quitté les pays arabes

Pour Tom Segev, il ne fait aucun doute qu’avec « la guerre de 1948, la survie des Juifs dans les pays arabes est devenue extrêmement difficile. En particulier avec l’arrivée des réfugiés palestiniens là-bas ». Même si le nombre d’arrivées en provenance de ces régions se situe plus, selon lui, autour des 400 000 personnes entre 1948 et 1958, puis une seconde vague de 120 000 personnes en provenance d’Afrique du Nord dans les années 1960, notamment après la guerre des six jours de 1967.

« Beaucoup ont quitté ces pays parce qu’ils s’estimaient en danger, d’autres souhaitaient de toute façon rejoindre Israël pour des raisons religieuses ou politiques, car attachés au projet sioniste, mais ne pouvaient jusque-là pas venir. Il n’est pas toujours facile de faire la distinction entre les deux. »

Outre le paradoxe, pour la droite nationaliste, de réclamer une indemnisation – et légitimer en retour les demandes d’indemnisation palestiniennes –, caractériser les juifs originaires du monde arabe de « réfugiés » laisse toutefois Tom Segev dubitatif : « D’un point de vue sioniste, c’est problématique. Tous les Juifs sont censés être heureux de vivre en Israël et ils ne peuvent, par définition, être des réfugiés dans leur propre patrie. »

Tom Segev avance une autre dimension, identitaire, celle-là : « Les deuxième et troisième générations d’Israéliens originaires de pays arabes ont souvent tendance à revenir à leur passé car elles se sentent en marge de la mémoire de l’Holocauste, qui est un élément majeur de l’identité israélienne. La tension entre les Orientaux et les autres Israéliens joue d’ailleurs encore un rôle important dans la politique en Israël. »

 

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