En plein mois d'octobre, ce courriel d'un voyagiste me promet "la magie des marchés de Noël jusqu'à -70 %". Pour m'appâter un peu plus, il clame : "A l'approche du mois de décembre, une euphorie générale envahit les rues et les cœurs !" Euh... désolé. Je suis sur le mauvais fichier de prospects. Je n'aime pas Noël. Je suis "natalophobe" (les cruciverbistes adorent ce genre de mot). Et plus vous m'en parlerez tôt, plus je me sentirai mal. Parfois même, dès la fin de l'été, on entend cette terrible question : "Et pour Noël, tu fais quoi cette année ?" Je ne suis pas le seul à l'avoir noté, c'est l'incipit d'un ouvrage épatant que vous devriez tous lire - et offrir - ô mes compagnons en natalophobie ! Son titre est clair, Au secours, Noël revient ! (Editions Le Publieur). Je connais son auteur. Je réponds de lui. Vincent Bouffard est un grand connaisseur de santons, de sapins et de réveillons interminables, un fin humoriste dans la veine d'Alphonse Allais. "Si, quand apparaissent les premières illuminations municipales, vous commencez à broyer du noir, ce livre est pour vous", écrit-il. Il tient son propos jusqu'au bout, sans fléchir. C'est bon de se sentir compris.
Que l'on m'entende bien : ce n'est pas que je n'aime pas du tout Noël. Il y a les enfants, la messe, le foie gras, l'Alka-Seltzer... Malgré mon cafard annuel abyssal, le soir en question et le lendemain sont finalement assez vivables. C'est ce qu'il y a autour - et avant - qui me met en transe. A commencer par la visite fin octobre à mon hypermarché favori envahi de brillance et de cucul. Les consommateurs ne parlent que de ça. Tufaikoianoël ? Tuprenladinde ? Taétésage ? Tuladéjà ! Retenez votre souffle, vous voilà, poussant un chariot, au centre d'un tunnel rose et blanc. Ces lâches marchands ont installé les jouets filles à l'entrée, à la place du rayon promotion où l'on peut d'habitude acheter les paquets de chips par lot de 72 et les céréales en palette entière. Là, vous nagez en pleine guimauve. Juste à côté, c'est guerre totale et testostérone pour nains, le rayon jouets garçons déploie ses tonnes de plastique kaki.
ON VA JOUER LE JEU
Moi, derrière mon chariot, j'hésite entre l'oniophobie (la peur de faire des achats) et la capitellophobie (celle des cadeaux). Au bout, là-bas, un semi-remorque de guirlandes et de boules s'est échoué devant le rayon du charcutier-traiteur. Le pâté en croûte n'a pas sa chance. Le scintillement recouvre tout (phalérophobie - celle des décorations), s'accroche, dégouline ; Noël impose partout son injonction bébête. Noël, le retour. Noël revient et il en veut à tout le monde. Même les enfants le sentent, qui braillent de terreur sur les genoux d'un gros barbu en rouge (paternatalophobie - celle des Pères Noël).
Dans son livre, Vincent Bouffard raconte tout ça. Noël, écrit-il en substance, vous ensevelit sous les bons sentiments louches, les chansons écœurantes, les cadeaux déplacés et les piles non fournies à remplacer très vite. Le pire, c'est qu'on va jouer le jeu, comme tout le monde. Heureusement, Vincent Bouffard nous prend par la main. Pour chaque étape de ce parcours semé d'embûches - de Noël -, il a prévu des petites histoires revigorantes, des lectures apaisantes, des recettes roboratives. On apprend ainsi que le Parti communiste français est né comme l'enfançon, un 25 décembre. Que Roland Dumas a (presque) écrit "N'oublie pas mes petits Berluti". Que, ce jour-là, Marc Levy a raté de peu le Prix Nobel de littérature (la lauréate Herta Müller avait pris un autre avion). Qu'une bonne recette de bûche nécessite, outre un nain en plastique avec sa petite hache rouge, une excellente maîtrise des mesures en muid, pour la crème. Bref, Noël - et c'est son drame - se prépare. Grâce à Vincent Bouffard, ce sera dans la bonne humeur. Et puis allez, natalophobes mes amis, ce sera vite passé. La galette sera bientôt là. De toute façon, on tire les rois de plus en plus tôt chaque année. On va finir par manger la galette avec du beaujolais nouveau. Sauf à souffrir de favophobie (celle des fèves), ça, au moins, c'est une bonne nouvelle.
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