« J’avais 21 ans lorsque je suis parti en voyage au Chili avec Guillaume Allary. Nous allions rejoindre mon ami Charles Guérin-Surville, qui avait fui au Paraguay à la suite d’un drame familial et sillonnait l’Amérique du Sud. Nous étions là pour prendre soin de lui. Sur cette photo, nous venions tout juste de le retrouver.
Cet été 1994, il s’est passé tellement de choses pour nous trois… Nous sommes depuis restés amis. C’est à ce moment précis que j’ai décidé de changer de voie et de devenir écrivain. Je venais de finir Sciences Po et de réussir le concours d’HEC, mais je voulais faire de la philosophie et écrire des romans. Je suis à gauche sur la photo, à droite c’est Charles et au milieu Guillaume, alors en fac de gestion à Dauphine et qui, comme moi, avait envie de bifurquer pour s’inscrire en philosophie et préparer l’agrégation.
Ce fut un été essentiel pour ma vocation, celui où je décidai de ne plus obéir à ce que m’imposait mon milieu social, d’écouter mon vrai désir. Ce jour-là, Guillaume m’a fait un retour de lecture sur ce qui allait devenir mon premier roman publié. J’ai été très ému : je lui avais donné mes 300 pages imprimées avant de partir et n’aurais jamais imaginé qu’il emporterait ce pavé avec lui. Le matin, dans la chambre de notre guest house, j’ai donc eu la surprise de le voir sortir de son sac à dos mon texte, entièrement annoté.
Regard complice
Quelques heures plus tard, alors que nous barbotions dans des sources d’eau chaude qui sentaient très fort le soufre, au sommet d’un volcan, Guillaume a fait sur mon travail un retour sévère qui m’a beaucoup blessé. Il m’a dit que je devais creuser plus loin une vérité à aller chercher au fond de mon intimité et que je devais davantage penser au lecteur lorsque j’écrivais. Ce sont toujours les deux remarques qu’il me fait lorsque je lui rends un texte. Ses critiques de cet été-là annonçaient celles que je recevrais tout au long de ma vie.
« Depuis, nous avons sorti dix livres ensemble et Guillaume n’a pas changé, il ne prend pas mille pincettes lorsqu’il donne son avis. » Charles Pépin
Ce n’était pas non plus une première : adolescent, c’est à lui que je fis lire mes poèmes et mon premier roman. Il a toujours posé un regard très fin sur les travaux de ses proches. Il possédait déjà une âme d’éditeur, mélange de bienveillance et de sévérité critique. Au cours de cet été fondateur, Guillaume faisait donc lui aussi ses premiers pas dans le métier, sans savoir qu’il deviendrait éditeur [Guillaume Allary est le fondateur et PDG des éditions Allary, qui éditent aussi L’Arabe du futur, de Riad Sattouf]. Quant à moi, vivre de mon écriture me semblait encore un rêve inaccessible…
Finalement, ce livre, que j’avais titré “L’heure du départ”, sera publié en 1999 chez Flammarion sous le nom Descente. A cette occasion, j’ai demandé que Guillaume soit l’éditeur de mon ouvrage. Depuis, nous avons sorti dix livres ensemble et il n’a pas changé, il ne prend pas mille pincettes lorsqu’il donne son avis. Il est toujours mon éditeur et nous gardons ce même rapport. Replonger dans cette image, c’est voir le regard d’éditeur de Guillaume, calme mais qui juge, et le mien, sûr de lui mais qui se prend des claques. Elle me rappelle aussi une amitié de quarante ans qui nous a permis de nous aider mutuellement à changer de voie. »
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