Enterrement définitif de l'héritage gaulliste ? En un an de présidence, Nicolas Sarkozy a modifié de façon saisissante l'affichage de la relation de la France avec les Etats-Unis. Ceux-ci ne sont plus perçus à l'Elysée comme une superpuissance aventurière et sensiblement menaçante, qu'il serait bienvenu de contrer. Ils sont un allié et un protecteur historique, dont l'influence s'est érodée dans le monde, et auquel la France se doit d'être loyale. En ce XXIe siècle, le péril vient du fanatisme islamique, et les démocraties des deux côtes de l'Atlantique ont avant tout pour obligation de se serrer les coudes au sein de la "famille occidentale". Ainsi peut se résumer la vision de M. Sarkozy et de son ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner.
Le chef de l'Etat a mis en chantier un retour de la France dans les structures intégrées de l'OTAN. Il s'est proclamé, de façon répétée, "ami d'Israël". Il a déployé une politique plus ferme face aux ambitions nucléaires de l'Iran. Il a décidé que des centaines de soldats français combattraient des djihadistes, au sol en Afghanistan, aux côtés des Américains.
OPÉRATIONS "COUP DE POING"
La perception de la menace terroriste pèse dans cet aggiornamento. Elle tient pour partie au parcours personnel de M. Sarkozy. Avant d'arriver à l'Elysée, son expérience des questions internationales se limitait pour l'essentiel à la lutte contre Al-Qaida : il a occupé à deux reprises le poste de ministre de l'intérieur, dans la période post-11-Septembre. La préoccupation sécuritaire face aux groupes extrémistes a figuré en bonne place dans ses discours et ses visites à l'étranger, que ce soit dans le monde arabe ou en Asie. La coopération des services de sécurité a été mise en exergue. Mais M. Sarkozy a aussi été soucieux de ne pas lier excessivement ses choix à ceux de George W. Bush. Son discours devant le Congrès américain en novembre 2007 était une ode à l'Amérique et à ses valeurs, bien plus qu'un hommage au legs de l'administration Bush. Face aux réticences de l'opinion française, le message a été dosé. La politique de rapprochement avec l'OTAN s'est doublé d'un plaidoyer intense pour l'Europe de la défense.
L'autre marque de M. Sarkozy, en politique étrangère, aura été sa propension à mener des opérations "coup de poing" à fortes retombées médiatiques, sur des dossiers éminemment compliqués. Les résultats ont été mitigés. Cela a été le cas dans le traitement de l'affaire Ingrid Betancourt, et sur la crise syro-libanaise. Mise sur pied dans la difficulté, l'opération militaire européenne Eufor au Tchad a relevé d'un même souci d'agir vite, pour le Darfour. Dans l'affaire des infirmières bulgares détenues en Libye, l'Elysée a remporté un succès à l'arraché, mais la médiation du Qatar y était pour beaucoup.
Ce détail - la relation intense avec le Qatar - n'est d'ailleurs pas anodin. Il participe d'une réorientation de la politique arabe de la France. Celle-ci est désormais beaucoup plus attentive à la région du Golfe, où se concentrent de gigantesques ressources financières (perspectives de contrats) ainsi que d'importants enjeux stratégiques. Face à l'Iran, M. Sarkozy a décidé du déploiement d'une base militaire à Abu Dhabi -, la première en dehors des anciennes zones coloniales de la France.
Le nouveau chapitre ouvert dans la relation avec les Etats-Unis est censé procéder d'une vision plus réaliste des capacités de la France. L'image du pays a pu se brouiller, notamment en Afrique et dans le monde arabe, mais l'Elysée estime y avoir gagné une marge de manoeuvre. Discrètement, Washington a encouragé des pays d'Europe centrale à soutenir l'idée d'une Europe de la défense, ainsi que le projet français de l'Eufor.
La bienveillance américaine à l'égard du projet de l'Union pour la Méditerranée n'a en revanche pas permis de lever le veto allemand à cette initiative, comme l'envisageait à l'origine M. Sarkozy. Enfin, sur la question des droits de l'homme, l'année écoulée a démontré que l'Elysée entendait agir dans des limites bien posées : la relation avec Moscou, Pékin, et bien des dirigeants arabes et africains, n'y sera pas sacrifiée. Face aux pays émergents, la France entend cultiver une spécificité. Les résidus du gaullisme se glissent peut-être là.
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