« Je ne peux pas compter le nombre de soldats que j’ai tués ! » L’homme qui me reçoit au sein de son camp perdu dans la mangrove est « Black Devil », l’un des principaux pirates du Nigeria. Entouré de ses hommes armés, sa kalachnikov à la main, il accepte de me rencontrer, pour la troisième fois en cinq ans. Sa voix calme tranche avec son physique de boxeur. Sous une chaleur étouffante, dans les vapeurs de marijuana et la fumée du gasoil des speedboats amarrés sur la rive, il boit des verres de gin-cocaïne, le cocktail que ses hommes et lui consomment du matin au soir quand ils ne partent pas en mer pour un « job », une attaque de navire.
Avec cent vingt-six actes de piraterie recensés en 2019, et déjà cinquante-neuf depuis janvier, le golfe de Guinée est la région la plus dangereuse du monde pour les navires marchands comme pour les barges pétrolières. A l’origine de ces opérations de piraterie : une dizaine de groupes nigérians, dont les repaires sont cachés dans le delta du Niger, mais qui peuvent frapper à des centaines de milles de là, des eaux du Ghana à celles de l’Angola. « Black Devil » et ses hommes sont parmi les plus violents d’entre eux.
Méthode basique et meurtrière
A quarante-deux ans, c’est un boss aguerri et craint par les autorités. A son actif, plus de trente attaques, toujours commises selon un mode d’action très risqué, mais efficace. D’ordinaire, les pirates nigérians s’en prennent aux navires peu ou pas protégés, après avoir payé des pêcheurs de la zone ou corrompu des employés des compagnies maritimes pour savoir si des fusiliers marins locaux se trouvent à bord. « Black Devil », lui, ne s’embarrasse pas de ces coûteuses précautions : « Pour savoir s’il y a de la sécurité à bord, c’est simple : on s’approche au plus près. Si on nous tire dessus : c’est qu’il y a des soldats. Et alors, j’ordonne à mes hommes d’ouvrir le feu. » Méthode basique et meurtrière.
Au risque d’être touché par des tirs s’ajoute celui de tomber à l’eau lors de l’abordage, toujours effectué selon une tactique périlleuse. De nuit, après des heures de navigation en haute mer, deux canots légers propulsés par leurs moteurs de 250 CV viennent se coller à pleine vitesse à la coque d’un navire cinquante fois plus gros qu’eux. « Arrivés au bateau, on escalade ! », explique « Black Devil ». Lui-même lance alors un harpon pour accrocher le bastingage. Puis, un par un, les vingt hommes qu’il a sélectionnés se lancent à sa suite, et se hissent à la force de leurs bras le long d’un filin en acier, pieds nus contre une muraille métallique de quinze mètres de haut.
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