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Éric Lavaine agace. Non pas que, du haut de ses 60 ans, ce réalisateur calme, posé, discret se montre un brin arrogant ou désagréable. Non, s'il provoque quelques grincements de dents, c'est à cause de son succès. Un succès dont chacun pourrait se réjouir s'il n'était accolé à des titres de comédies populaires pas toujours finaudes à première vue. Jugez par vous-même : Barbecue (1 600 584 entrées), Retour chez ma mère (2 198 341 entrées), Chamboultout (715 266 entrées), Plancha (544 396 entrées)… Autour de lui, une bande d'acteurs dont les carrières cochent toutes la case « grand public ». Parmi eux, son actrice fétiche, Alexandra Lamy, avec qui il a tourné quatre fois, mais aussi Jérôme Commandeur, Franck Dubosc, Mathilde Seigner et Josiane Balasko…
Cette fois, c'est aux commandes d'une série que cet ex-directeur artistique de la série H (Canal+) ou encore scénariste des Guignols de l'info fait son retour. Une série humoristique, évidemment, portée par le comédien Artus. L'histoire : celle d'un agent immobilier de Puteaux (92), accro à son compte Instagram, complètement stupide, arrogant, aussi fainéant que barré et souvent très limité, voire limite.
Son nom : Benoît Gênant, qui donne son titre (Benoît Gênant officiel) à cette série de douze épisodes de vingt-six minutes. Autant dire que sa liberté de parole, légitimée (ou pas) par sa bêtise crasse, adresse un pied de nez au wokisme ambiant que déplore Éric Lavaine. Pour autant, il n'hésite pas à qualifier sa série de « féministe », le seul personnage sensé et intelligent restant celui de la jeune collègue de Benoît (Ornella Fleury), qui ne peut que constater, incrédule, la bêtise de son boss. Au final, l'ensemble porté par l'abattage d'Artus ne brille certes pas par sa finesse mais se révèle distrayant, cherchant à attirer un public large et jeune, d'où sa diffusion sur la chaîne TMC du groupe TF1.
Le Point : Comment peut-on construire douze épisodes en choisissant pour personnage principal quelqu'un d'aussi stupide que Benoît Gênant ?
On a quand même peu d'empathie pour lui…
Non, mais vous verrez, l'empathie viendra. Regardez Steve Carrel dans The Office… Ce n'est pas un méchant, il est un peu con, mais bon. Il dit aussi tout haut ces petites conneries que l'on pense parfois sans oser le reconnaître… Et, dans ce monde où maintenant on ne peut quasiment plus rien dire, même pour en rire, la fiction nous le permet. C'est presque un exutoire.
D'où l'envie de faire une série aussi décalée vous est-elle venue ?
Je dois remercier le Covid et Michel Sardou, avec qui je devais faire un film et qui m'a planté au dernier moment. Par conséquent, j'avais du temps libre et je me suis souvenu qu'il y a très longtemps, sur Canal+, avec Maurice Barthélemy (ex-Robin des Bois), on avait écrit une minisérie qui s'appelait Le 17. Faut-il que je vous encourage à regarder sur YouTube ? C'était extrêmement drôle. C'était l'histoire d'un père de famille qui n'en avait rien à faire de rien et qui balançait tout ce qui lui passait par la tête. On s'est dit que ce type de personnage, surtout dans les temps actuels, on va dire politiquement corrects, serait assez amusant à faire vivre. Et c'est comme cela qu'on a créé Benoît Gênant.
Franchement, je n’ai pas vu un phénomène comme Artus depuis Jamel Debbouze.
Pourquoi en avoir fait un agent immobilier ?
Dans une autre vie, j'ai été directeur artistique de la série H, maintenant on dit show runner, c'est plus classe. L'hôpital, c'était un cadre intéressant car on y croise tous les milieux sociaux. C'est la même chose dans l'immobilier, où un type qui cherche une chambre de bonne peut croiser Bernard Arnault qui cherche un château. Cerise sur le gâteau, cela nous permettait d'ajouter des acteurs célèbres pour jouer leur propre rôle, comme Mathilde Seigner ou François-Xavier Demaison. En plus, l'immobilier, ça intéresse tout le monde, non ? Il n'y a pas un dîner entre amis où on ne finit pas par parler du prix des baraques…
Pourquoi Artus ? Il n'est pas tellement identifié par le grand public comme la plupart de vos comédiens habituels…
Le choix d'Artus, c'est moi. Je suis associé dans une boîte de production et on avait produit le film de Philippe Guillard J'adore ce que vous faites, avec Gérard Lanvin. C'est là que je l'ai découvert. Il a tout de suite dit oui quand je lui ai proposé le rôle de Benoît Gênant. C'est un mec très inspirant. J'aime son parcours parce qu'il est passé par Le Bureau des légendes et n'a pas fait que de la comédie. Il peut tout jouer. C'est un interprète dingue. Franchement, je n'ai pas vu un phénomène comme ça depuis Jamel Debbouze. Je vous jure, c'est incroyable !
Est-ce qu'il y a une part d'improvisation dans ce qu'il fait ?
On exagère toujours beaucoup la part d'improvisation des comédiens. Pour Benoît Gênant officiel, tout est très bordé et on est obligé de respecter un petit peu plus les choses. On va dire qu'il y a peut-être 10 % de modifications par rapport au texte initial, ce qui est déjà énorme.
Pourquoi TMC, et pas Canal ?
Je bosse beaucoup avec TF1 Cinéma. Cette année, plus de cinq films ont été diffusés sur TF1 le dimanche soir. L'ancienne directrice de la fiction Anne Viau m'avait proposé de travailler pour eux. Je leur ai parlé de cette série sur laquelle je planchais. Ils ont voulu voir le scénario, ils m'ont rappelé quinze jours plus tard en disant qu'Ara Aprikian [le directeur des programmes de TF1, NDLR] adorait. Je trouve que c'était assez audacieux de leur part car Benoît Gênant est quand même à l'opposé de Joséphine ange gardien.
Pas déçu de ne pas passer plutôt sur TF1 ?
Absolument pas, bien au contraire. Il en a été question, mais regardez Alain Chabat et son Late Show sur TF1 : c'était génial, mais ça n'a pas marché parce qu'il faut s'adapter aussi à la structure de l'audience. Et donc, moi, ce que j'espère, c'est qu'avec TMC la série Benoît Gênant deviendra un peu branchée. En 2000, si on avait passé H sur TF1, ça n'aurait jamais marché… Alors que maintenant cela fait vingt-cinq ans que la série est rediffusée sur toutes les chaînes…
C'est à vous que l'on doit ces dernières années les comédies françaises les plus populaires en France. Souffrez-vous d'un manque de reconnaissance ?
On entend tout le temps les mêmes trucs : le plus dur, c'est la comédie. Pourtant, elle se fait toujours casser. Devant un drame, on ne se demande jamais combien de fois on a pleuré, alors que pour une comédie… C'est le cas de mes films, et ne vous y trompez pas : je sais que tout n'est pas réussi dans ce que je fais. Mais je crois que je paye un peu le fait d'être Éric Lavaine, hétérosexuel, Blanc de 60 ans. Ma seule défense, c'est de dire qu'en dehors du public je ne plais à personne. Mes films sont rediffusés à la télé et, à chaque fois, ils font de bons scores d'audience. Les gens ne sont pas masos : j'imagine que, s'ils reviennent, c'est qu'ils y trouvent quelque chose.