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Quand l'entreprise se met à faire de la politique

Dans un ouvrage passionnant, la journaliste Anne de Guigné montre que les entreprises s'aventurent de plus en plus sur le terrain politique, en disant « le bien et le mal ». Mais vouloir ainsi coller aux évolutions de la société n'est pas sans risque. Une profonde réflexion sur l'entreprise, en tant « qu'acteur politique » dans une société aux repères mouvants.

« Le Capitalisme woke. Quand l'entreprise dit le bien et le mal », d'Anne de Guigné. Les Presses de la Cité, 208 pages, 19 euros.
« Le Capitalisme woke. Quand l'entreprise dit le bien et le mal », d'Anne de Guigné. Les Presses de la Cité, 208 pages, 19 euros. (La Cité)

Par Guillaume de Calignon

Publié le 28 mars 2022 à 12:21

Dans un point de vue publié en 1970 dans le « New York Times », Milton Friedman, l'économiste américain, a écrit que le but d'une entreprise était « de gagner autant d'argent que possible tout en se conformant aux règles de base de la société ». Voilà pour la théorie, si l'on en croit ce libéral qui inspira les politiques de Ronald Reagan. Dans la pratique, les choses sont désormais très différentes. Les entreprises sont de plus en plus souvent amenées à « dire le bien et le mal », comme le dit le sous-titre de l'ouvrage d'Anne de Guigné qui vient d'être publié.

C'est ce que cette journaliste du « Figaro » nous explique dans un livre très étayé, qui constitue une profonde réflexion sur le rôle joué par l'entreprise, cet agent économique par nature devenu acteur de la vie politique. Pas à travers le processus électoral évidemment. Les chemins qu'elle emprunte sont moins classiques, mais il s'agit de politique quand même.

Les groupes américains se mêlent des réformes sociétales

Quand le patron de Ryanair explique dans une publicité aux Britanniques qu'ils feront une erreur en votant pour le Brexit, quand des sociétés de livraison de repas indiquent sur leur application la couleur de peau des propriétaires des restaurants au moment de Black Lives Matter, ce mouvement né aux Etats-Unis de lutte contre les violences policières envers les Afro-Américains, ou encore quand Disney qui, en interne, explique à ses salariés qu'ils doivent rejeter « les notions d'égalité ou d'égal traitement car elles ne refléteraient pas la réalité de l'infrastructure raciste américaine », que font ces entreprises ?

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On peut tout à fait être d'accord avec ces valeurs, là n'est pas la question. Le constat, c'est qu'entre l'Etat, la société civile et les entreprises, « le partage traditionnel des rôles a vécu », selon Anne de Guigné.

Bêtement, certains croient encore que l'entreprise doit respecter ses salariés, bien les payer et investir pour assurer des profits et grandir. Edicter les règles morales paraît toutefois plus important. Désormais, les groupes américains n'hésitent plus à prendre position publiquement sur toutes les grandes réformes sociétales. Elles y sont même poussées par les groupes de pression.

Henry Ford voulait déjà dépasser le profit

Le mouvement a été lent. Il a mis des années à maturer. Sa naissance remonte aux patrons paternalistes puis évolue. Henry Ford disait déjà il y a un siècle que « si l'on tente de faire fonctionner une entreprise uniquement sur le profit, elle mourra car elle n'aura plus de raison d'être ». L'envol a finalement eu lieu dans les années 2000 avec la responsabilité sociale et environnementale, puis vint des Etats-Unis la « raison d'être », désormais inscrite dans la loi française. Pourquoi ? Parce que « la place est vide ».

« Les autres grandes institutions - Eglises, partis politiques, syndicats, grandes idéologies… - qui structuraient la civilisation et organisaient le débat autour des valeurs communes se sont peu à peu affaissées », explique la journaliste. Un peu comme si c'étaient d'abord les marques que nous achetons qui disent qui nous sommes. Et les entreprises doivent maintenant prouver coûte que coûte qu'elles oeuvrent pour le bien.

D'où les discours lénifiants sur la croissance inclusive et la diversité, toujours comprise comme raciale mais jamais sociale. Tant qu'il y a consensus, aucun danger. Mais c'est une situation bien rare en politique, un équilibre pour le moins précaire. A terme, avec la polarisation politique actuelle, pourquoi les entreprises ne confronteraient pas des visions du monde différentes, accentuant les fractures dans la société ? C'est un risque quand on met le doigt dans l'engrenage politique.

Louboutin invite la soeur d'Adama Traoré

Reste à répondre à une dernière question. Et si, en arborant haut et fort leurs « valeurs », les entreprises ne cherchaient pas seulement à faire plus de profit ? Que ce soit en séduisant la catégorie de consommateurs qu'elles ciblent ou en convainquant une certaine main-d'oeuvre, souvent diplômée, de venir travailler pour elles. Il est aujourd'hui socialement plus gratifiant de travailler pour une start-up du secteur de la culture que chez un groupe pétrolier. Les valeurs changent et les entreprises ne feraient que s'adapter à l'esprit du temps.

Du marketing donc, plus que de la politique à proprement parler. Dans un monde postmatérialiste, où les besoins matériels élémentaires sont satisfaits, les individus ont tendance à s'intéresser au bien-être, ils ressentent le besoin de construire un monde meilleur. Ils veulent « un supplément d'âme », comme l'explique le sociologue américain Ronald Inglehart, cité par l'auteur.

Ainsi, Louboutin a invité Assa Traoré, dont le frère Adama est mort en 2016 lors d'une interpellation par des gendarmes, à participer à la promotion d'escarpins autour d'une phrase de Martin Luther King. Le produit de la vente des chaussures est reversé à « des organisations oeuvrant pour la justice sociale ». Il n'empêche, la paire vaut 995 euros. Seuls les plus aisés pourront s'offrir ce luxe. Avec la bonne conscience en prime. Anne de Guigné n'est pas dupe : « La grande majorité des dirigeants adopte cette nouvelle orientation morale par intérêt. »

Apple et Nike défendent quand même leurs intérêts…

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D'ailleurs, il ne faut tout de même pas aller trop loin dans la morale. Apple et Nike n'ont pas hésité à payer des lobbyistes pour vider de sa substance un texte du Congrès américain sur le boycott des entreprises travaillant avec des fournisseurs qui utilisent des travailleurs forcés ouïgours, une minorité musulmane de Chine harcelée par Pékin. Les deux groupes avaient beaucoup à perdre si la législation arrivait à son terme. Finalement, tout le monde est d'accord avec Milton Friedman.

Le Capitalisme woke. Quand l'entreprise dit le bien et le mal

d'Anne de Guigné. Les Presses de la Cité, 208 pages, 19 euros.

Guillaume de Calignon

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