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Reportage

En mer du Nord, des îles énergétiques pour sauver la planète

LES ENERGIES DU FUTUR (1/4) //La Belgique et le Danemark vont construire des îles énergétiques artificielles pour produire plus d'électricité verte. Copenhague veut les relier à des éoliennes plus grandes que la tour Eiffel.

Pour la filière éolienne offshore, les îles artificielles énergétiques sont une révolution équivalente à une expédition sur Mars. Le coût du projet est évalué à 28 milliards d'euros.
Pour la filière éolienne offshore, les îles artificielles énergétiques sont une révolution équivalente à une expédition sur Mars. Le coût du projet est évalué à 28 milliards d'euros. (https://ens.dk)

Par Emmanuel Grasland

Publié le 5 juin 2023 à 06:59Mis à jour le 18 oct. 2023 à 13:28

Demain, la mer du Nord sera-t-elle parsemée d'îles énergétiques artificielles, alimentant en hydrogène et en électricité les pays riverains ? Le concept n'est pas si délirant. Fin avril, au salon WindEurope de Copenhague, les visiteurs se pressaient autour de la maquette de « Princess Elizabeth », la première île énergétique artificielle au monde.

Sa construction débutera l'an prochain, à 45 kilomètres des côtes belges, entre La Panne et Ostende. Dotée d'un port, d'un héliport et d'équipements haute tension, elle s'étendra sur 6 hectares et sera reliée à des parcs éoliens offshore, d'une capacité totale de 3,5 gigawatts (GW). Elle alimentera en électricité la Belgique, le Danemark et le Royaume-Uni.

Princess Elizabeth sera suivie d'une île encore plus importante, construite au Danemark. D'ici la fin de l'année, Copenhague va lancer un appel d'offres pour mener à bien le plus grand projet d'infrastructure de l'histoire du pays. La construction d'une île énergétique artificielle de 20 à 40 hectares, à environ 100 kilomètres des côtes du Jutland. Elle sera conçue pour fonctionner pendant au moins quatre-vingts ans.

500 éoliennes plus grandes que la tour Eiffel

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Protégée des tempêtes par des murs de 25 à 30 mètres de haut, disposant d'un port, de logements et d'infrastructures électriques haute tension, elle sera reliée dans les dix ans qui viennent à environ 200 éoliennes. Selon l'Agence danoise de l'énergie, ces éoliennes seront plus grandes que la tour Eiffel et l'ensemble aura une capacité totale de 3 à 4 GW.

Au cours de la décennie 2040, le parc d'éoliennes connectées montera en théorie à 500 et la capacité à 10 gigawatts. Soit l'équivalent de 6 réacteurs EPR et de quoi alimenter en électricité 10 millions de foyers européens. Le projet prévoit de transformer une partie de la production en hydrogène pour la vendre aux industriels.

Au Danemark, le projet est présenté comme l'équivalent d'une expédition sur Mars. Son coût est évalué à 28 milliards d'euros. Le concept est si précurseur qu'il a attiré des spécialistes chinois des réseaux électriques, invités à rejoindre la centaine de personnes qui travaillent sur le sujet chez Energinet, le gestionnaire du réseau électrique danois.

« Le pays imaginaire » de Peter Pan

« Les îles énergétiques, c'est le projet de ma vie professionnelle, ce sont mes bébés », explique Hanne Storm Edlefsen, vice-présidente d'Energinet et responsable du projet îles énergétiques. « Quand on a commencé à travailler sur le concept en 2017, les gens souriaient. En danois, le pays imaginaire de Peter Pan se dit 'Wishing Island', et c'est ainsi qu'ils surnommaient le projet d'île artificielle. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. »

En 2030, une troisième île énergétique verra le jour en mer Baltique, mais sur un site existant : l'île danoise de Bornholm, située à 36 km au sud-est des côtes suédoises. Elle récupérera la production électrique de 3 GW de parcs éoliens et alimentera le Danemark et l'Allemagne en électricité. L'idée est aussi de stocker l'énergie produite sous forme d'hydrogène.

200 fermes éoliennes en mer du Nord

Pourquoi cet engouement pour les îles énergétiques ? « Si nous voulons « décarboner l'Europe » et lui donner une source d'énergie qui soit vraiment sous son contrôle, nous avons besoin d'îles énergétiques en mer du Nord et en mer Baltique », explique Jesper Olesen, directeur développement projet chez le géant énergétique danois Orsted.

Selon l'organisation professionnelle WindEurope, la mer du Nord a en théorie le potentiel pour accueillir plus de 200 fermes éoliennes de 1 GW de capacité chacune. La zone est particulièrement adaptée à l'éolien parce que les vents y sont forts et la mer peu profonde. Mais pour cela, il faut construire des parcs à grande distance des côtes.

VIDEO : à quoi ressemblerait une île énergétique artificielle ?

L'inconvénient, c'est que le coût des infrastructures électriques des parcs s'envole à mesure qu'on s'éloigne. Le courant alternatif se transporte mal sur de longues distances. Il faut passer au courant continu, dont les sous-stations et le câblage sont nettement plus onéreux.

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Construire une île énergétique change alors la donne. On peut d'abord mutualiser les infrastructures électriques (transformateurs, câbles), qui relient les éoliennes au continent, ce qui réduit les investissements nécessaires.

Une île énergétique offre ensuite la possibilité de livrer de l'électricité à plusieurs pays, et plus seulement à un réseau national. Il devient plus facile d'écouler la production au meilleur prix quand les éoliennes tournent à plein, sans crainte de déstabiliser un réseau.

Une révolution par rapport à la philosophie actuelle

L'île devient une sorte « d'interconnecteur » entre différents marchés de l'électricité. Une révolution par rapport à une philosophie qui consiste aujourd'hui à construire des parcs éoliens offshore isolés avec une connexion électrique radiale vers un seul pays.

« Ce projet est une des pierres angulaires de la transition énergétique. Il ne s'agit pas simplement de construire une île. Il s'agit d'entrer dans une nouvelle ère de l'éolien offshore », explique Mogens Hagelskaer, directeur général délégué du projet « île énergétique en mer du Nord ».

Enfin, une île permet d'avoir la place pour transformer et stocker l'énergie renouvelable sous la forme d'hydrogène, via des électrolyseurs. « Un pipeline pour hydrogène coûte 20 % du prix des câbles pour transporter du courant continu à terre », souligne Thomas Dalsgaard, en charge du concept d'île artificielle présenté par la société d'investissement Copenhagen Infrastructure Partners (CIP).

Mais le projet est titanesque. Il faut surmonter des défis techniques, commerciaux et régulatoires. « Le chantier de l'île artificielle danoise va prendre trois à quatre ans, et les installations en cours de construction devront résister à des conditions météo très difficiles, aux tempêtes de l'hiver », explique Jesper Olesen. L'île sera bâtie dans une mer de 25 à 30 mètres de profondeur, contre environ 15 mètres pour l'île Princess Elizabeth. Ce qui implique des vagues plus importantes.

Une île artificielle qui s'enfonce

Il faudra aussi anticiper l'évolution du sous-sol sur quatre-vingts ans et s'assurer qu'il n'évolue pas comme celui de l'île artificielle de Kansei, au Japon, qui s'enfonce bien plus vite que prévu, sous le poids de l'aéroport construit dessus. La construction nécessitera également le développement de câbles, de disjoncteurs et d'électrolyseurs d'une taille encore inexistante sur le marché.

Les volumes d'électricité en jeu impliquent aussi un niveau de coopération inédit entre les gouvernements, les autorités de marché et les gestionnaires de réseau de différents pays ainsi qu'une standardisation des équipements.

Des discussions avec l'Otan

« Quand vous réalisez un projet de cette taille, vous ne pouvez pas utiliser un seul grand fournisseur mais plusieurs, ce qui implique d'être sûr que leurs équipements interagissent bien ensemble. Aujourd'hui, beaucoup d'industriels fonctionnent avec leurs propres standards », souligne Hanne Storm Edlefsen.

Le chantier de l'île artificielle danoise va prendre de trois à quatre ans, et les installations en cours de construction devront résister aux tempêtes de l'hiver.

Le chantier de l'île artificielle danoise va prendre de trois à quatre ans, et les installations en cours de construction devront résister aux tempêtes de l'hiver.https://ens.dk

L'Agence danoise de l'énergie se montre néanmoins optimiste sur les composantes techniques du projet. « Nous savons installer des éoliennes, développer des réseaux électriques et construire des îles artificielles. Nous maîtrisons toutes les pièces du puzzle mais le défi, c'est la taille du projet et les délais. Le Danemark a mis trente ans pour se doter d'un parc éolien offshore de 2,3 GW. Là, il s'agit d'installer 3 GW en seulement dix ans », souligne Mogens Hagelskaer.

Un aéroport pour véhicules pilotés à distance

La gestion de l'impact local est aussi une composante clé. Sur Bornholm, le projet rencontre des résistances, car l'île est un endroit touristique.

Des études ont été menées pour estimer les populations de poissons, baleines et phoques autour des îles énergétiques et déterminer la présence d'épaves. « Près de Bornholm, nous avons trouvé un sous-marin britannique quasi intact datant de la Seconde Guerre mondiale », raconte Hanne Storm Edlefsen.

VIDEO : comment la Belgique va construire son île artificielle

Sur le plan commercial, il faudra créer pour chacune des îles un marché de l'électricité spécifique, sur lequel les fermes d'éoliennes reliées aux îles vendront leur production. Les dirigeants politiques devront également déterminer la fiscalité de l'île, ainsi que le niveau de sécurité physique et informatique imposé à une infrastructure aussi stratégique, quelques mois après l'attentat sur le Nord Stream.

« Un projet à haut risque »

Les parties prenantes discutent avec l'Otan du sujet, et beaucoup pensent que le ministère danois de la Défense et l'Otan profiteront du projet pour installer des équipements de surveillance sur la zone.

Mais le plus difficile sera peut-être le défi de la flexibilité. « Comment faire pour s'assurer que l'île artificielle puisse s'adapter à de nouvelles contingences, dans trente, quarante ou cinquante ans ? Dans le futur, en plus de produire de l'électricité, l'île aura peut-être besoin d'un aéroport pour des véhicules volants pilotés à distance, qui fourniront des prestations de service sur l'ensemble de la mer du Nord », avance Jesper Olesen. On peut aussi imaginer des data centers ou des installations industrielles peu souhaitées, à proximité de zones d'habitation.

Il y a enfin le respect du budget (28 milliards d'euros pour l'île artificielle). La construction des parcs éoliens représentera plus de la moitié des coûts, suivie des infrastructures électriques (43%) et de l'île elle-même (5%). « C'est un projet à haut risque et c'est la raison pour laquelle nous avons besoin du marché et de l'industrie pour le mener à bien, résume Mogens Hagelskaer.

Deux consortiums en compétition

Dans cette optique, l'Etat danois a conçu une structure inédite. La construction de l'île énergétique artificielle sera réalisée par un acteur privé, mais l'Etat rachètera 50,1% de l'actif, une fois celle-ci achevée.

L'Etat danois et son partenaire privé loueront ensuite la majorité du site à Energinet pour une durée de trente-sept ans. Mais l'île pourra développer d'autres activités (data centers, hydrogène…) si les investisseurs privés le souhaitent. Ce sera à eux de déterminer la taille du site, en fonction de ce qu'ils se proposent d'en faire.

Interview de l'Agence danoise de l'énergie

D'ici à la fin de l'année, un appel d'offres sera lancé pour mener un dialogue compétitif de deux ans avec les deux consortiums en compétition.

Le premier est mené par Orsted, un « Gaz de France danois », qui a réalisé un virage à 100 vers les énergies renouvelables, et inclut des acteurs comme Bouygues Construction. Le deuxième consortium est dirigé par la société d'investissement Copenhagen Infrastructure Partners (CIP) et réunit des partenaires comme Shell ou le belge DEME.

Combien d'îles énergétiques en mer du Nord

Combien y aura-t-il d'îles artificielles en mer du Nord D'après Energinet, le concept fonctionne lorsque l'île à est à 100 km des côtes et qu'elle est reliée à des fermes éoliennes totalisant de 10 à 16 GW de capacité.

« L'idée est d'exploiter 200 GW de parcs éoliens en mer du Nord. Une île artificielle traitera 10 GW, on peut donc imaginer une dizaine d'îles artificielles en mer du Nord à terme, auxquelles s'ajouteront des îles déjà existantes », explique Thomas Dalsgaard.

Voilà un an, CIP a proposé la construction d'une quatrième île artificielle, majoritairement dédiée à la production d'hydrogène. Baptisée « Brinto », elle pourrait être construite sur le banc de sable de Dogger Bank, à 150 km des côtes danoises.

Pour le Danemark, les îles énergétiques constituent une étape logique dans la transition énergétique du pays. Le pays a installé la première éolienne offshore de la planète en 1991 et a créé le concept des appels d'offres pour l'éolien en mer au milieu des années 2000.

VIDEO une île artificielle pour l'hydrogène

Il possède toute la filière industrielle, notamment le leader mondial Vestas. Orsted est emblématique de l'évolution du pays. En l'espace d'une dizaine d'années, le « Gaz de France danois » est passé d'un business basé à 81% sur l'énergie fossile à une activité dédiée à 90% aux ENR. Un virage qui contraste avec celui d'Engie en France.

Une revanche sur la Norvège

Si les îles artificielles deviennent une réalité en mer du Nord, elles feront figure de label pour le pays et marqueront un changement d'échelle en termes de statut et de puissance. « L'éolien offshore peut devenir une énorme source de richesse pour le Danemark », souligne Thomas Dalsgaard.

Ce serait une revanche historique vis-à-vis de la riche Norvège, qui a bénéficié de gisements de pétrole et de gaz considérables et fait le choix d'une politique très nationale. Après l'ère des rois du pétrole s'annonce celle des nababs de la transition énergétique. Le Danemark pourrait bien en faire partie.

Emmanuel Grasland (Envoyé spécial à Copenhague)

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