Consécration pour Xavier et Gaspard de Justice, qui ont remporté la nuit dernière le Grammy du meilleur album électronique. Nous les avions rencontrés l’année dernière à l’occasion des quinze ans de l’écurie Ed Banger. Une interview fleuve dans laquelle les Français revenaient sur l’histoire du groupe.
Une grosse dizaine d’années après avoir vu des kids surexcités brandir des croix en hurlant “We Are Your Friends” dans tous leurs concerts, on retrouve Justice, au calme, tout au nord d’un arrondissement parisien qu’ils ne quittent que lorsqu’il s’agit d’aller jouer dans le monde entier. Xavier reçoit chez lui, dans le XVIIIe. Gaspard arrive un peu à la bourre pour retracer quinze ans d’histoire, trois albums et un sens commun du drame et du vertige qui poursuit chacune des apparitions du groupe sur scène.
Avec une modestie intacte et cet air de ne pas y toucher qui caractérise leurs morceaux comme leurs réponses, les Justice expliquent faire de la musique électronique sans en écouter. Si certains considèrent leur parcours comme une épopée, eux l’ont toujours vécu comme une histoire assez simple, presque banale. Celle de deux amis passionnés de musique et de graphisme qui ont, un jour, croisé la route d’un certain Pedro Winter pour augmenter les pixels d’une carrière fulgurante. C’était au début des années 2000, un peu avant MySpace, un peu après la dématérialisation de la musique. Posés, lucides, mais toujours animés par la même énergie créatrice, Gaspard et Xavier racontent le son de Justice au milieu des piles de vinyles. Sur le mur trône une tapisserie kitsch à l’image d’un autre duo, encore plus emo : les frères Kennedy. “Un cadeau de Gaspard”, annonce Xavier dans un sourire.
D’où vient le côté opéra qui marque la musique de Justice depuis le début ?
Gaspard — On a toujours été attirés par la musique “plus grande que la vie”, tous les emprunts à la musique classique dans la pop, les trucs genre Electric Light Orchestra. ça nous procure des émotions plus fortes que d’écouter de la folk.
Xavier — Moi, j’écoute de la folk !
Gaspard — Bien sûr, mais on aime bien l’emphase et les émotions exagérées. Dans la mélancolie ou l’euphorie, on essaie de ne jamais être tièdes.
https://youtu.be/WiNvw0He0OE?t=8s
Beaucoup de gens viennent voir Justice pour cet aspect très emphatique, presque drama. Ca ne vous a jamais paru trop étroit avec le temps ?
Xavier — Un morceau n’a pas besoin d’être agressif pour être puissant. Certains reçoivent peut-être notre musique de manière unidimensionnelle. Mais entre ceux qui viennent pour n’écouter que des trucs saturés et ceux qui préfèrent les trucs disco comme D.A.N.C.E., on s’y retrouve. On n’a pas l’impression d’être à l’image d’AC/DC, qui n’a jamais cessé de faire le même morceau. Le morceau est bien, donc c’est cool ! Dans Justice, il n’y a peut-être pas beaucoup plus de dimensions que cela… mais au moins deux ou trois. (Rires) Normalement, sur l’étendue d’un concert, il y a de quoi faire en termes de diversité.
Quand vous êtes sur scène, on a l’impression que vous effectuez un travail de remixes sur vos propres morceaux.
Xavier — Complètement. Quelqu’un qui achète un disque aura toujours du temps pour l’écouter, même s’il n’accroche pas la première fois. Mais quand une personne paie une place pour venir te voir jouer en concert, il n’y a pas de deuxième chance. On essaie de répondre à un devoir d’efficacité. C’est un exercice qui nous plaît vraiment car ça nous permet de redécouvrir les morceaux avec une autre intention. On propose des versions plus dansantes, avec des montées qu’on n’imaginerait pas sur un disque. On bosse huit mois pour préparer un concert. La façon d’imaginer un live de musique électronique évolue en permanence. On est tributaires de la partie technique. Avant de commencer, on regarde tout ce qui a été fait et inventé depuis la dernière fois qu’on est montés sur scène. C’est un gros boulot.
Comment construisez-vous votre dernier show ?
Gaspard – Notre set up sur cette tournée est tellement compliqué qu’on ne se lance même pas dans des explications. On a bossé avec des mecs super nerd qui ont créé des logiciels pour nous permettre de jouer des synthés. On bosse avec Ableton live mais dans une version pimpée par des logiciels qu’ils ont créés pour nous. Les lumières ne sont pas time-codées et on peut rallonger, raccourcir comme on veut, c’est flexible. C’est assez rare qu’on improvise pendant un show malgré tout.
Xavier – Après avoir fait beaucoup de concerts, on sait quelle formule fonctionne. Les time-codes c’est trop contraignant. Quand un truc merde ça merde jusqu’au bout, c’est décalé. En plus, on joue beaucoup en festival et on est sans cesse obligés de s’adapter. Le temps qu’on a change toujours d’un jour à l’autre et tu ne commences jamais à l’heure ! Si on a un show time codé on n’est plus flexibles du tout.
Quand Pedro est passé aux Inrocks pour préparer le numéro, il nous a balancé que vous n’alliez que très rarement dans les concerts.
Gaspard — Je pense que c’est peut-être lié à l’âge. En tout cas, c’est très compliqué pour nous d’être concentrés pendant une heure et demie. Et il y a toujours un moment où on se fait chier, quelle que soit la qualité de la prestation.
Xavier — Moi, j’ai toujours été comme ça, ceci dit.
Gaspard — J’ai vu des trucs récemment que j’ai quand même bien aimés, comme Mac DeMarco. Vulfpeck, aussi : ce sont vraiment des brutes, ils jouent super bien et sont assez drôles à regarder. Tame Impala, aussi, a réussi à capter mon attention jusqu’à la fin. Mais on pourrait aller en voir plus.
Xavier — Même quand j’allais écouter des groupes dont j’étais un fan absolu, je n’en pouvais plus au bout de vingt minutes. Je ne sais toujours pas si c’est un problème de concentration ou de fatigue physique. J’ai vu James Brown… et c’était insupportable. Bon, c’était à la fin, donc j’imagine que dans les années 1970 c’était différent.
Gaspard — Je pense que c’est quelque chose qui dirige la façon dont on pense nos live car on essaie de garder l’excitation d’un bout à l’autre. Le show commence de manière minimale sans que l’on puisse vraiment voir ce qu’il se passe sur scène. Et tous les éléments de lumière se dévoilent au fur et à mesure du show. Ce n’est pas un spectacle de magie, mais il y a un truc à la David Copperfield qu’on aime bien.
Si on replonge 15 années en arrière, quel est le déclic qui vous fait basculer du graphisme vers la musique ?
Xavier – Tout s’est fait assez naturellement. On ne s’en est pas rendu compte. Moi j’étais encore à l’école quand on a commencé à faire de la musique et à sortir des disques. Dans la musique électronique, quand tu sors un disque, les promoteurs supputent que tu es bon DJ. Ce qui n’était évidemment pas le cas… Mais on nous a assez vite demandé de jouer dans des soirées. C’était l’enchaînement classique alors qu’on ne vient pas du tout de là avec Gaspard. On n’avait jamais eu de platines chez nous donc on a vraiment appris à le faire en le faisant. C’était l’époque de l’émergence de 2 Many Djs et d’Erol Alkan avec qui on jouait beaucoup. En France on était vraiment famille Ed Banger et Outre-Manche on était plus associés à Soulwax ou à Erol Alkan. On se reconnaissait assea là-dedans. Le DJing techno qui raconte des histoires ne nous parle pas du tout même si on respecte complètement cette démarche. Les seules références qu’on aimait bien en termes de DJ c’était Funkmaster Flex ou Grandmaster Flash qui est la version antérieure : un morceau toutes les minute 30 et c’est pas grave si tu les entends arriver. Un truc pas très bien calé mais intéressant. A force de faire le DJ et de jouer dans les soirées, on n’avait plus du tout le temps de se consacrer au graphisme. Et puis on gagnait ben mieux nos vies en faisait ça. On ne s’est même pas posé la question.
Gaspard – On trouvait qu’il y avait quelque chose de trop carré dans la scène électronique à l’époque. Il fallait avoir un set bien calé, bien carré. Une autoroute. Comme nous on écoutait très eu de musique électronique, l’école 2 Many nous plaisait bien car il n’y avait aucun impératif de style. Tu pouvais jouer ce que tu voulais. Leur disque de mash-ups a décomplexé tout le monde. On est arrivé quand ils étaient déjà installés et c’est vrai qu’ils ont un peu agi comme dans grands frères. On s’est rendu compte que les gens pouvaient s’amuser autant, voire plus, si tu jouais des choses très éloignées.
Comment avez-vous vécu l’hystérie autour du premier album ?
Xavier — On ne nous a jamais reconnus quand on marche dans la rue ! Quand on est tous les deux, à la limite les gens nous remettent parce qu’on fait Laurel et Hardy. Maintenant, quand on voit des mecs avec des tatouages Justice, ça nous fait un peu bizarre parce qu’on a une espèce de responsabilité. Mais on n’a jamais été exposés en tant que Xavier et Gaspard. Une fois que les concerts sont finis, c’est terminé, ça ne déteint pas sur la vraie vie. La musique qu’on fait a toujours touché plus de gens qu’on ne l’imaginait. On a trouvé invraisemblable de jouer à Bercy.
Vous faites partie des groupes français qui ont été découverts quand MySpace a explosé. Finalement, il y a très peu de survivants aujourd’hui.
Gaspard – C’est sûr que ça nous a bien servi…
Xavier – Je ne sais pas parce que j’ai un peu de mal à me souvenir de ce qu’était MySpace. On en parlait la dernière fois avec Pedro, et je n’arrivais pas à savoir si on pouvait poster des statuts sur ce réseau. En fait non ? Tu pouvais écrire sur le mur des autres mais pas sur le tien c’est ça ?
Gaspard – Et tu pouvais établir ton « Top amis » aussi.
Xavier – Okay, c’était ça le statut en fait. Tu pouvais changer ton image à travers celles des autres. Quand on a arrêté de se servir de MySpace je crois qu’on avait quelque chose comme 20 000 copains. On s’occupait des réseaux sociaux d’assez loin car c’était bien avant la 4G et on tournait tout le temps. Si tu voulais te connecter, il fallait aller dans le business center d’un hôtel ou dans un cybercafé. Quelqu’un a eu la bonne idée de nous ouvrir une page Facebook et quand on s’est intéressé au truc on avait déjà 200 000 fans alors qu’on sortait d’un réseau où on avait mis trois ans à avoir 20 000 potes.
Ça vous a gênés à un moment d’être estampillés duo electro alors que vous n’étiez pas spécialement branchés musiques électroniques ?
Xavier — Techniquement, on était un duo électronique puisqu’on est deux et qu’on faisait de la musique avec des machines. On sait que l’exposition va de pair avec les étiquettes. C’est normal. Même nous, quand on découvre un nouveau groupe et qu’on veut le présenter à quelqu’un, on essaie de le définir de la manière la plus restreinte qui soit. Et si possible de le comparer à des choses qui existent. Donc, ça ne nous a jamais dérangés d’être tout de suite estampillés de la sorte. Ce qui nous a particulièrement attirés dans les machines, c’est le fait d’être autonomes. On adorait, et on adore toujours, les Buggles. D’ailleurs, quand on s’est rencontrés avec Gaspard, on s’est tapé dans les mains genre : “Ah ouais, toi aussi t’aimes ça !” Ils avaient compris qu’on pouvait utiliser le studio comme un instrument, et je trouve que c’est aussi cela la beauté de la musique dans les années 2000.
Elle vient d’où votre fameuse croix ?
Xavier – On l’a trouvée dans une poubelle près de Barbès (rires). Non en vrai ça vient de Waters of Nazareth, notre premier morceau chez Pedro qu’on avait pensé comme un morceau d’église un peu terrifiant. Bertrand [So Me] qui signait la pochette avait fait un logo Justice dont le « t » était une croix. C’était l’époque où tu faisais une fête à chaque sortie de maxi, donc on avait fait une fête à la Boule noire avec Erol Alkan, Surkin, Oizo, Feadz, Uffie, DJ Funk, Sebastian, Kavinski. Notre seule déco c’était une croix qu’on avait fabriquée avec du verre dépoli sur le modèle des croix de pharmacie. Après on l’emmenait avec nous quand on jouait. Au moment du premier album on s’était dit qu’on n’avait plus besoin de la croix, qu’on allait chercher autre chose. On était quelque part en Amérique du nord, Toronto je crois, chez des potes et on pensait sans cesse à la pochette d’album. Notre pote avait Dark Side Of The Moon sur son manteau de cheminée. On regardait la pochette et on se disait qu’elle était cool car comme ils ont un symbole fort ils n’ont pas eu besoin de mettre de nom dessus. On se dit que c’est ça qu’il nous faut. Se passe un mois et on se dit qu’on l’a le symbole fort, c’est la croix ! On a demandé à Brekbot qui à l’époque faisait de la 3D de modéliser la croix qu’on avait sur scène. Bertrand a fini la pochette en y ajoutant l’aura lumineuse qu’il y a sur Electric Warrior de Marc Bolan.
Gaspard – On a repris le principe du vinyle qui se déplie en croix au Black Moses de Isaac Hayes.
https://www.youtube.com/watch?v=hF0q0aKI0kg
On peut voir pas mal de guitares et d’autres instruments chez toi, Xavier…
Xavier — On a toujours joué sur nos disques. Depuis We Are Your Friends, on écrit la musique en jouant. Même pour le premier album qui est fait de milliards de samples mis bout à bout, on écrivait les morceaux de manière traditionnelle. Une fois qu’ils étaient écrits, on remplaçait chaque note par un sample que l’on tunait pour aboutir à la bonne note. Le processus a toujours été le même, en fait. On a beaucoup joué sur Audio, Video, Disco et sur Woman, comme sur Cross… Enfin, le premier album ! Je finis par l’appeler Cross parce que j’ai vu ça sur Wikipédia ! Mais nous on l’a toujours appelé “le premier album”. En tout cas, on n’a pas du tout un délire d’instrumentistes. C’est surtout un moyen de faire des choses. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on ne joue pas sur scène avec des guitares.
La dernière fois que vous vous êtes pris la tête ?
Xavier – Il ne s’agit pas vraiment de prises de tête. On a la même vision globale donc c’est plus dans les détails. Ensuite on tranche en regardant ce qui marche le mieux. On est toujours partisan de tout essayer même quand ce sont des gens extérieurs au projet qui nous disent quelque chose. Il n’y a pas besoin d’être cuisinier pour savoir si ce qu’on te sert est bon ou mauvais, de la même façon il n’y a pas besoin d’être DA pour savoir si un truc fonctionne ou pas. C’est pour ça qu’on prend les suggestions et qu’on essaye pour de vrai, juste pour être sûr qu’on a fait du mieux qu’on pouvait. C’est pour ça que ça prend du temps…
Ed Banger fête ses 15 ans. Comment étiez-vous à cet âge-là ?
Gaspard — Des puceaux !
Xavier — Assez normaux, en fait, ni les cool ni les souffre-douleur. Je me disais qu’il fallait juste naviguer à travers le collège et le lycée le plus doucement possible. C’est un moment à passer qui n’est ni désagréable ni exaltant.
Gaspard — On n’était pas parmi les gens populaires, ce qui nous permettait de développer nos propres univers intimes.
Xavier — Une manière d’exister qui va au-delà du fait de posséder un scooter. La popularité passait par la possession de biens matériels qui te permettaient d’avoir accès à ces créatures qu’on appelait les filles. En sachant cela, je ferai tout pour que mes enfants ne soient pas les cool du lycée. Ça n’est jamais bon signe. Etre populaire trop vite crée une paresse.
Qu’écoutiez-vous ?
Xavier — 15 ans, 1997… J’écoutais Parliament-Funkadelic, parce qu’en 93 j’avais acheté Doggystyle (de Snoop Dogg) qui m’a fait m’intéresser au rap. On nous disait : “Ecoute ce chanteur, il sort de prison pour homicide.” Toi, t’as 12 ans, t’es blanc, tu vis dans une famille où tout va bien et tu te dis : “Fantastique, je vais l’acheter de ce pas!”
Qu’est-ce qui vous a empêché de faire du rap ?
Xavier — Pour moi, c’était un truc de gangsters. Tu faisais du rap si tu avais un pistolet dans ton caleçon, mais sinon, c’était hors de question d’y penser… Le rap bourgeois est une invention des années 2000.
Gaspard — Dans le rap, tu racontes un quotidien, alors que la musique électronique est plus universelle.
Xavier — Et surtout plus facile à singer. Si tu habites à Versailles et que tu entends un DJ funk, c’est plus facile de le faire chez toi que d’écrire un morceau de rap où tu dois raconter quelque chose… Il te faut le discours, la façon de le dire.
Votre première rencontre a eu lieu à une soirée…
Xavier — Oui, chez la copine d’Antoine, de Jamaica.
Gaspard — Avec qui j’étais allé à un concert de Beck en classe de première !
Xavier — On se rencontre à cette soirée et on s’entend bien. J’allais à l’école avec une fille que Gaspard connaissait. Un jour, Gaspard doit venir la chercher, mais je sors de l’école en premier. On discute, on part ensemble, et on l’oublie ! Elle ne lui en a pas voulu. C’était l’époque des Cash Converters, où on achetait des disques à un euro et des machines pour faire de la musique qui ne coûtaient pas cher. On y passait nos journées.
Et avec Pedro ?
Xavier — La première fois, c’était à un dîner chez toi, non ?
Gaspard — Oui, c’est ça, cette fameuse histoire de raclette. Bertrand (So-Me), qui était mon meilleur pote, commençait alors à travailler avec Pedro. Il avait envie de manger du fromage fondu, donc il lui a dit de passer à la maison. Avec Xavier, on avait fait deux morceaux qu’on a écoutés sur nos lits superposés. ça lui a plu, et tout s’est enchaîné.
Vous pensiez quoi de la French Touch à cette époque ?
Xavier – On avait écouté mais surtout parce que c’étaient des groupes pop et pas électro. Pour moi, la French Touch c’était surtout des groupes qui n’avaient rien à voir avec le club. Je pense à Phoenix ou à Air. On écoutait aussi Cassius et les Daft Punk mais on n’interprétait pas ça comme de la musique de club. Leurs chansons passaient à la radio, on regardait leurs clips comme ceux de The Prodigy à la même époque.
Quelle est l’histoire derrière la pochette de Woman, votre dernier album ?
Xavier – On avait le titre de l’album depuis hyper longtemps et on ne voulait évidemment pas mettre une grosse croix avec des saints sur la pochette… On voulait quelque chose d’abstrait car toutes les précédentes étaient figuratives. On a fait plein de recherches iconographies. Un jour, je dînais avec ma copine dans un restaurant. Et il y avait un mec qui nous observait. A la fin il vient nous parler pour me dire qu’il aime bien Justice et dans la discussion j’apprends que ce mec qui s’appelle David Zilber, est responsable du département fermentation du Noma à Copenhague. En rentrant, je regarde son Instagram et je vois une photo d’une bassine d’huile. Hyper belle, avec des couleurs dingues ! Je l’ai directement montrée à Gaspard et on avait trouvé l’idée de notre pochette. Je suis allé à Copenhague, je lui ai expliqué l’idée qu’on avait. A Paris, on a usé pas mal de graphistes pour essayer de reproduire l’effet de cette matière.
Gaspard – Finalement, on s’est tournés vers Charlotte Delarue et un retoucheur photo qui s’appelle Adrien Blanchat. Une sorte de Vermeer de la retouche. Elle l’a fait peindre son photo-montage puis un mec a pris l’image imprimée en photo. Ca a pris un temps fou.
https://www.instagram.com/p/BUzX4gFjk_7/?hl=fr&taken-by=etjusticepourtous
Aujourd’hui, beaucoup de gens écoutent de la musique en zappant d’une track à une autre sans aller forcément jusqu’au bout des disques. On a l’impression qu’écouter un album en entier devient presque quelque chose d’excentrique.
Gaspard – Je commence à racheter beaucoup de vinyles alors que j’avais arrêté pendant longtemps. Il y a un rapport différent avec l’objet car tu laisses tourner le disque et tu ne te lèves que pour changer la face. L’écoute est moins frénétique que quand tu es sur ton téléphone. Le format dicte un peu la façon dont tu écoutes de la musique.
Xavier – C’est hyper important parce que ça te donne l’opportunité de laisser sa chance au « produit » comme on dit. Les seuls albums que j’écoute en entier sont ceux que je possède en vinyle.
Gaspard – Le vinyle permet aussi de garder une trace définitive de ce que tu écoutes. Aujourd’hui on a assez de recul pour se rendre compte qu’on ne peut plus écouter les MP3 qu’on avait il y a dix ans, car les lecteurs ou les ordis de l’époque de marchent plus. Tes CD gravés, tu ne sais même plus où ils sont. D’un autre côté, ce n’est pas forcément un mal car ça permet d’écouter des nouvelles choses…
Xavier – Ces deux façons d’aborder la musique sont complémentaires. Et puis on est bien conscient de venir de là, de la dématérialisation. A l’époque du tout physique, on n’aurait pas pu faire ce que l’on a fait. Comme, par exemple, pouvoir jouer dans le monde entier sans avoir sorti le moindre album ! On avait sorti deux morceaux qui circulaient sur Internet et ça suffisait. On profite encore beaucoup de cette époque aujourd’hui.
Au début de l’aventure Justice, vous avez très vite accepté le jeu des remixes. C’était un enjeu important ?
Xavier – On recevait beaucoup de demandes pour faire des remixes. Pedro est très connecté avec les artistes et les maisons de disques donc il recevait beaucoup de demandes. Trois mois après la sortie de notre premier morceau, on se retrouvait à faire plein de remixes. Ca nous a aidé à essayer des choses et à faire de la musique, à pratiquer. On a un peu embrassé ce truc de remixes car on partait du principe qui si ce n’était pas bien, personne n’y ferait attention. Et si c’était bien, tu pouvais voler la vedette au morceau. Bon, ça n’arrive qu’une fois sur dix en réalité !
Dès le début, on vous a décrit comme les « nouveaux Daft », ça vous a soûlé ?
Xavier – L’association avec Pedro rend le truc inévitable. C’était offert ! Mais le gloubi-boulga global de la french touch repose sur ce truc circonstanciel. Qu’il y ait à un moment un courant musical qui réunit Daft, Air, Phoenix, Laurent Garnier, est-ce que ça a un sens ? ça a surtout permis à plein de gens de s’intéresser à ce qu’on faisait. Il faut parfois des raccourcis pour parler des choses !
Gaspard – Tous les deux mois t’avais un nouveau Daft Punk …
Xavier – Ils ont été une pierre angulaire de la musique française.
Qu’en est-il des “nouveaux Justice” ?
Xavier — On est parfois surpris avec certains “nouveaux Justice”. On se dit : “Putain, tous ces efforts…”
Gaspard — ça arrive que de nouveaux groupes se revendiquent de nous, et c’est flatteur. Mais à l’écoute, on ne comprend pas comment ils peuvent aimer ce qu’on fait et faire ce qu’ils font !
Vous êtes très peu présents sur instagram, pourquoi ?
Gaspard – On a du mal à adhérer. On le fait parce qu’il faut le faire. C’est un média à mon avis très destructeur.
Xavier- On ne nous voit pas en robe de chambre en selfie ! Parce qu’on n’a pas l’ambition de devenir des starlettes de la musique électronique ! On ne vit ni caché ni surexposé. On se représente quand on a besoin de le faire et on est à l’aise avec. On est heureux que nos vies en tant que musiciens et nos vies en tant qu’êtres humains soient séparées. Et puis la vraie vie aussi palpitante qu’elle soit n’est pas intéressante au point d’être partagée sur Instagram.
Gaspard – Ce principe de likes… Tu te livres en pâture à des gens que tu ne connais pas avec cette espèce de déprime du post qui na pas eu assez de likes. C’est taré. Moi je suis heureux d’avoir grandi sans téléphone et réseaux sociaux. Les gens ne se rendent pas compte à quel point ils ne prennent plus le temps de réfléchir, ils sont constamment sollicités.
Propos recueillis par Azzedine Fall et Carole Boinet