67 interminables minutes de fusillade, avec des armes de guerre, en plein cœur de Rennes, sans intervention policière réactive, alors que la ville dispose d’une antenne de l’unité d’élite du RAID. Que s’est-il passé ?
C’est la phrase qui tourne en boucle chez les policiers contactés ce lundi. Hormis les attentats de 2015, jamais en France une fusillade aussi longue, et avec des fusils d’assaut, n’avait, semble-t-il, été constatée. Entre le premier appel à police-secours à 1 h 56 et le dernier, à 3 h 03, 67 interminables minutes se sont écoulées. Selon plusieurs sources, « plus d’une centaine de douilles » d’armes automatiques (9 mm et 7,62 mm) ont été découvertes sur place. La munition de 7,62 mm tirée par les Kalachnikov est capable de traverser des murs d’habitation. Des tirs ont d’ailleurs transpercé deux logements du quartier, épargnant par chance leurs résidants.
Depuis les attentats de Paris, en 2015, un plan national d’intervention des forces de sécurité a été mis en place, pour le terrorisme et les tueries de masse. Le délai de départ après alerte des forces spécialisées (GIGN, RAID, BRI-BAC - brigade anti-commando à Paris -, et leurs antennes en province) ne doit pas être supérieur à 30 minutes, de jour, comme de nuit, tous les jours de l’année. Rennes dispose d’une antenne du RAID. « Le temps de se rendre compte qu’il s’agissait de tirs de fusils d’assaut, que ceux-ci se poursuivaient dans le temps, l’alerte RAID a été déclenchée à 2 h 18 », précisent plusieurs sources. « Ils étaient sur place aux alentours de 2 h 45, complète un policier. Ils ont décidé d‘avancer doucement avec le véhicule blindé en tête de cortège. Les tirs ont cessé à 3 h 03. Les policiers ont pris possession du "4 Banat" à 3 h 30. » Sur place, à 4 h, les forces de l’ordre rassemblaient près d’une quarantaine d’effectifs, selon la même source, dont une quinzaine du RAID, huit du PSIG (gendarmerie), ceux de la brigade canine et de deux équipages BAC (brigade anticriminalité).
« La hiérarchie a estimé qu’il n’était pas possible d’exposer les premiers effectifs sur place, rapporte David Leveau, secrétaire régional Unité-SGP Police. S’il avait fallu intervenir sans casque lourd, sans gilet pare-balles adapté, sans fusil d’assaut, cela aurait été un carnage ! » Les équipages BAC sont formés aux primo-interventions sur des tueries de masse et équipés en conséquence (bouclier, casques et gilets pare-balles lourds, fusil d’assaut). « Que pouvaient faire les deux équipages BAC présents ce soir-là, à Rennes, face à une dizaine d’individus encagoulés, armés de Kalachnikov ?, interroge le syndicaliste. Les assaillants disposaient de gilets pare-balles lourds. Ils étaient même siglés pour se reconnaître et éviter tout tir fratricide entre eux ! » D’autres voix, au sein même de la police, sont moins affirmatives et reconnaissent à demi-mot que la situation « aurait pu être gérée différemment ». « Il n’y a pas eu de loupé », tranche-t-on en haut lieu.
Les syndicats policiers dénoncent, « depuis des mois, le manque de moyens à Rennes », qu’Unité Police-SGP et Unsa-Police estiment à « une centaine d’effectifs » (70 à 80 policiers en tenue et de 20 à 30 enquêteurs). « On ne tiendra pas jusqu’aux JO à ce rythme », alerte David Leveau. Les syndicats réclament, par ailleurs, que tous les personnels d’intervention soient formés et équipés pour faire face à ce nouveau type de situation.
Dans l’immédiat, un « important dispositif de sécurisation du quartier, renforcé toute la semaine par une unité de force mobile » est prévu.