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Doudou Diène: «Le racisme est sorti du bois, c’est un immense progrès»

Le juriste sénégalais Doudou Diène, ancien rapporteur spécial des Nations unies, se réjouit de la mobilisation planétaire entraînée par la mort de George Floyd. Car la meilleure manière de lutter contre le racisme est de l’exposer à la lumière

Manifestation devant l’ambassade américaine de Nairobi, au Kenya, le 9 juin 2020. — © Daniel Irungu/EPA

Sa visite en Suisse il y a treize ans n’était pas passée inaperçue. Alors rapporteur spécial des Nations unies sur le racisme, le Sénégalais Doudou Diène n’avait pas été tendre avec la Suisse, notant une résistance helvétique au multiculturalisme et des campagnes électorales xénophobes et racistes. Alors que les Suisses se mobilisent après la mort de George Floyd, comme ce mardi à Genève, nous avons joint le juriste, aujourd’hui président d’une commission d’enquête de l’ONU sur le Burundi.

«Le Temps»: Avez-vous été surpris par la propagation des manifestations après la mort de George Floyd?

Doudou Diène: Ce qui est nouveau dans cet assassinat, c’est qu’il a été filmé. Avec les réseaux sociaux, les images ont fait le tour du monde. Elles ont été reprises par les médias. Le racisme prospère quand il est nié. Cette idéologie veut que ses victimes reconnaissent leur infériorité et s’y résignent en silence. Cette fois, le policier qui a mis son genou sur le cou de George Floyd pendant huit minutes est apparu en pleine lumière. Les masques sont tombés: le racisme est enraciné dans la police américaine, comme au sein de très nombreuses forces de sécurité. Il n’est plus possible de le nier. Le racisme est sorti du bois, c’est un immense progrès.

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La violence policière contre les minorités n’est-elle pas particulièrement préoccupante aux Etats-Unis?

Le contexte américain est particulier, c’est vrai. Les Etats-Unis ont connu une guerre civile sur l’abolition de l’esclavage. Mais n’oublions pas que le racisme a été pensé en Europe, quand elle est partie à la conquête du monde, d’abord pour justifier l’asservissement des indigènes d’Amérique, puis pour légitimer l’entreprise coloniale en Afrique. L’Europe est imprégnée par le racisme, qui, comme un iceberg, a une grande partie immergée. Cette construction de hiérarchie des races a imprégné l’appareil sécuritaire, qui classe les individus les plus dangereux en fonction de la couleur de leur peau, surtout depuis la montée du terrorisme islamiste. Le combat antiraciste n’a pas gagné ces structures, car les Etats nient qu’il y a un problème systémique.

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La Suisse en a-t-elle fait assez, depuis votre visite en 2006?

La Suisse est un phare des droits humains, le berceau de la Croix-Rouge. Mais elle aurait tort de se croire immunisée. Lors de mon enquête, j’ai découvert que la société suisse était tout aussi imprégnée par le racisme que ses voisins européens. En me documentant, j’avais été choqué de la manière dont les ouvriers italiens avaient été présentés. Les mêmes préjugés ont ensuite été plaqués sur les autres immigrants. Si cela a été possible, c’est que le racisme était bien enraciné en Suisse et certains partis, en particulier l’UDC, ont instrumentalisé politiquement ce refoulé. La Suisse a un arsenal législatif très affûté, mais ce n’est pas suffisant pour combattre le racisme. Je me souviens que, lors de ma visite, un responsable de l’UDC s’était offusqué qu’un Sénégalais puisse venir donner des leçons en Suisse. J’étais content, car le débat était posé.

La Suisse se targue pourtant de ne pas avoir de colonies. Est-ce que ce n’est pas une différence fondamentale par rapport à d’autres pays européens?

La Suisse a aussi participé à l’entreprise coloniale. Elle a aussi été profondément influencée par les philosophes des Lumières, comme Voltaire, qui résidait à côté de Genève. Or Voltaire écrivait que chaque nègre, si on le disséquait, avait une «membrane noire», ce qui accrédite l’idée de races différentes, sous-entendu que certaines étaient inférieures. Les savants européens se sont évertués à ramener des crânes d’Afrique pour prouver qu’ils étaient soi-disant plus petits. Toutes ces constructions culturelles et intellectuelles laissent des traces.

Faudrait-il déboulonner les statues de Voltaire?

Non, je ne crois pas, mais il faut enseigner la part obscure des grands hommes et de l’histoire européenne. Il faut déboulonner les constructions mentales.

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Comment expliquez-vous la discrétion de l’Afrique face à cette mobilisation planétaire?

Chaque Africain, comme chaque être humain, ne peut être que secoué par la mort de George Floyd. Mais il manque en Afrique la mobilisation de la société civile et des médias, qui ont été essentiels. Cela tient au fait que le combat pour la démocratie, qui se recoupe avec la lutte le racisme, est encore loin d’être gagné sur le continent.

A quoi sert la commission d’enquête sur le Burundi, qui n’a jamais pu se rendre sur place?

Le Burundi est de plus en plus isolé, les dernières élections se sont tenues dans un climat de violence. Les disparitions et les tortures continuent. La société civile burundaise s’est en grande partie exilée. Le pays a expulsé les observateurs extérieurs, y compris dernièrement le personnel de l’OMS, malgré la pandémie de Covid-19. Nous parvenons à enquêter sur les violations des droits de l’homme en interrogeant les réfugiés. Les Burundais doivent sentir qu’ils ne sont pas seuls.