« Lorsqu’un Basque, un Breton, un Alsacien, un Corse ou un Occitan s’exprime dans la langue de ses aïeux, cela ne fait pas nécessairement de lui un mauvais chanteur : chacun devrait être jugé sur son seul talent", souligne la chanteuse Anne Etchegoyen, qui réclame des quotas pour les artistes s'exprimant dans des langues de France autres que le français

"Lorsqu’un Basque, un Breton, un Alsacien, un Corse ou un Occitan s’exprime dans la langue de ses aïeux, cela ne fait pas nécessairement de lui un mauvais chanteur : chacun devrait être jugé sur son seul talent", souligne la chanteuse Anne Etchegoyen, qui réclame des quotas pour les œuvres créées dans des langues de France autres que le français.

afp.com/IROZ GAIZKA

Ces artistes français sont invités régulièrement en Allemagne, en Espagne, au Portugal, aux Etats-Unis ou en Argentine. Pourtant, on ne les entend quasiment jamais sur les radios et les télés nationales. Leur "faute" ? Ils ne chantent ni en français ni en anglais, comme tout le monde, mais en basque, en corse, en occitan, en alsacien… Ce sont là des langues du territoire national ? Certes, mais cela ne change rien : ils sont quasiment exclus des "grands" médias.

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C’est pour mettre fin à ce paradoxe typiquement tricolore qu’Anne Etchegoyen – disque d’or en 2013 avec Les Voix basques – organise vendredi 22 septembre un événement inédit : un concert en langues régionales… à Paris*. Sur la scène de l’Alhambra, à son côté, se produiront notamment A Filetta et Francine Massiani (corse), Eric Fraj (occitan), Matskat (alsacien), Gwennyn (breton), Patxi Garat et le chœur d’hommes Aizkoa (basque). Pour une ode exceptionnelle à la diversité linguistique.

Contrairement à ce que l’on croit dans la capitale, le courant régional est porteur. Si méconnus soient-ils à Paris, les artistes cités plus haut multiplient les concerts devant des salles pleines. Et ils ne sont pas les seuls. Patrick Fiori cartonne avec Corsu Mezu Mezu. L’album Bretonne, de Nolwenn Leroy, a dépassé le million d’exemplaires vendus. Des groupes comme I Muvrini (corse) et Nadau (occitan) remplissent les Zénith et même l’Olympia. Quant aux événements dédiés aux cultures minoritaires, ils attirent chaque été des milliers de spectateurs, à l’instar du Festival interceltique de Lorient (Morbihan) ou Hestiv’Oc, à Pau (Pyrénées-Atlantiques). Tout cela est logique, d’ailleurs. Parce que la mondialisation donne aux Français le sentiment que les décisions se prennent loin d’eux, ils ont tendance à s’investir sur leur environnement proche. D’où l’intérêt croissant porté aux langues historiques des territoires où ils vivent, dont témoigne également l’engouement pour les écoles dites "immersives". Les sociologues ont même donné un nom à cette tendance de fond : la "glocalisation".

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Et pourtant, à Paris, les blocages persistent. Par routine, par paresse intellectuelle, par peur du risque, par ignorance, par mépris, aussi, pour tout ce qui concerne ces langues ignorées des "décideurs" (quand le basque, par exemple, fascine les scientifiques du monde entier !). Avec des arguments souvent médiocres. "On nous dit : ‘Vous n’êtes pas assez identifiés.’ Mais comment voulez-vous que nous le soyons si notre musique n’est jamais diffusée ?" interroge avec bon sens Anne Etchegoyen. "Dans les télévisions et les radios nationales, mes interlocuteurs m’expliquent : ‘C’est en breton ? Pas question : les gens ne comprendront pas’, confirme le chanteur Denez. Je leur demande alors pourquoi ils passent des chansons en anglais. Et ils se retrouvent face à leurs contradictions."

Voilà pourquoi Anne Etchegoyen a décidé de se battre. Car le concert du 22 septembre, si innovant soit-il, n’est qu’un moyen d’atteindre son véritable objectif : améliorer de manière structurelle la visibilité des chanteurs s’exprimant dans une langue de France autre que le français. Comment ? Grâce à trois leviers simples. D’abord, la création d’une récompense dédiée lors de la cérémonie des Victoires de la musique. Ensuite, l’instauration d’un grand prix spécifique de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), l’organisme qui gère les droits d’auteur en France – et à laquelle ils cotisent. Enfin, et surtout, une modification des règles fixées par l’Arcom (l’ex-CSA). Aujourd’hui, il est simplement prévu une proportion "d’œuvres musicales d’expression française ou interprétées dans une langue régionale d’au moins 40 %". (1)

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Le problème ? Il n’est nulle part indiqué quel pourcentage précis doit être réservé aux langues régionales. Un flou dont profitent les programmateurs musicaux pour ne pas les diffuser du tout. D’où la revendication d’Anne Etchegoyen : créer un quota spécifique pour les langues de France autres que le français. (Un sujet dont se moque visiblement l’Arcom, qui, en une semaine, n’a pas trouvé le temps de répondre aux questions de L’Express.)

Depuis des mois, la chanteuse a pris son bâton de pèlerin et toqué aux portes des télés, des radios, des parlementaires, du ministère de la Culture… Généralement, on l’écoute de manière polie – quand on la reçoit – avant de passer à autre chose. Mais elle ne se décourage pas et, inlassablement, déroule son argumentaire. Elle explique à ses interlocuteurs que "tous les partis comme tous les médias nationaux devraient se faire le relais de ces musiques puisque les artistes chantant en langues régionales font partie de la richesse de la France." Elle ajoute que "lorsqu’un Basque, un Breton, un Alsacien, un Corse ou un Occitan s’exprime dans la langue de ses aïeux, cela ne fait pas nécessairement de lui un mauvais chanteur et que chacun devrait être jugé sur son seul talent".

Elle termine par cette confession : "Même si, dans ma tête, dans mon cœur et dans mon âme, je me sens basque avant tout, cela ne fait pas non plus de moi une mauvaise Française." La preuve ? En 2003, lors de la cérémonie d’ouverture des championnats du monde d’athlétisme, au Stade de France, l’artiste choisie pour lancer La Marseillaise s’appelait… Anne Etchegoyen.

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* Canta Kanan. Anne Etchegoyen et ses invités. Vendredi 22 septembre, 20 heures, à l’Alhambra, Paris (Xᵉ).

(1) Un sujet dont se désintéresse visiblement l’Arcom qui, en une semaine, n’a pas trouvé le temps de répondre aux questions de L’Express.

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