Victor ou les enfants au pouvoir de Roger Vitrac, au théâtre de la ville jusqu'au 29 mars.

L'Express

Il est plusieurs manières d'aborder Victor ou les enfants au pouvoir, bâton de dynamite jeté dans le salon de la bourgeoisie de la IIIe République par Roger Vitrac, en 1928, et rallumé par Jean Anouilh en 1962. On peut demeurer fidèle à l'incongruité surréaliste et jeter les répliques comme des osselets, juste pour écouter le bruit qu'elles font en tombant sur la scène. On peut en flatter la veine comique et cultiver le Grand guignol qui se cache sous la prose de Roger Vitrac: comme avec l'Ubu Roi de Jarry, ce baroque-là offre un bric-à-brac coloré, bonne boite à outils pour démonter et remonter la mécanique du spectacle.

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On peut enfin, ainsi qu'a choisi de le faire Emmanuel Demarcy-Mota au Théâtre de la Ville, considérer cette pièce comme une tragédie grecque, marche inéluctable vers la destruction d'une famille, chemin fatal pavé de vérités, lesquelles sortent - comme il se doit - de la bouche d'un enfant. Cette option gomme et estompe quelques reliefs drôlatiques, tel le rôle du général, soudain fâlot. Mais la noirceur qui envahit chaque scène - et tout le plateau - sert, comme un tableau d'ardoise, à mieux faire ressortir les mots, un à un.

La poésie du surréalisme, mais aussi la force destructrice du propos, gagnent en évidence et en puissance. Les feuilles mortes, les ombres géantes et les racines vivantes qui tombent des cintres ajoutent à l'angoisse.Les acteurs, dans une remarquable homogénéité, se durcissent à ce feu de ténèbres. La sécheresse brune d'Elodie Bouchez, épouse trompée et mère vorace, et la folie tonitruante de Hugues Quester, dément qui jamais ne ment, dominent cet orchestre funèbre. L'hypocrisie, le mensonge, le faux sous toutes ses formes explosent comme le vase cassé par Victor au début de la pièce, et comme son corps détruit à la fin. La violence parentale et la pourriture des consciences apparaissent soudain en pleine lumière, quand le choix de la farce, souvent, permet de les escamoter - ou de faire semblant de ne pas les voir. C'est là une version de Victor viscères à l'air. Elle aide aussi à comprendre pourquoi, dans un théâtre d'inspiration surréaliste qui a presque entièrement sombré, cette pièce demeure une île bien émergée, dans le maigre archipel que composent, aussi, les oeuvres de Jarry et quelques-unes d'Apollinaire.

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