Sur cette photo pool distribuée par l'agence publique russe Sputnik, le président russe Vladimir Poutine rencontre le président de transition du Tchad, Brice Mahamat Idriss Deby, au Kremlin, à Moscou, le 24 janvier 2024. (Photo Mikhail METZEL / POOL / AFP)

Le président de transition du Tchad, Brice Mahamat Idriss Déby, et le président russe, Vladimir Poutine, lors d'une rencontre à Moscou, le 24 janvier 2024.

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La photo souvenir figure en bonne place au chapitre II de l’autobiographie de Mahamat Déby, glissée avant l’impression de ce livre-programme publié pour la présidentielle du 6 mai. Tout de blanc vêtu, le chef de l’Etat tchadien serre la main de Vladimir Poutine, aux anges. La rencontre, immortalisée en janvier 2024 à Moscou lors d’une visite destinée à "renforcer ses relations avec un pays ami" - dixit "Déby junior" - est une petite victoire pour le Kremlin, prêt à tout pour étendre son emprise au Tchad, dernier allié de la France dans la région.

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Ce 6 mai, Mahamat Déby espère légitimer dans les urnes sa présidence, prise de force par un coup d’Etat constitutionnel après la mort de son père en 2021. Le scrutin ne fait guère de doute, tant l’opposition est réduite au silence. Mais une inconnue de taille demeure quant à l’avenir des relations avec l’Elysée.

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Chassée de République centrafricaine, du Mali, du Burkina Faso et du Niger, l’armée française s’est réfugiée chez son "ami" de toujours. Paris y cultive depuis des décennies une relation privilégiée avec le très autoritaire clan Déby. En février 2019, l’état-major tricolore n’a d’ailleurs pas hésité à utiliser ses Mirage pour bombarder les colonnes de rebelles menaçant le régime. Un millier de soldats sont encore positionnés dans le pays. Mais pour combien de temps ?

"La Russie a une présence militaire dans quatre des six pays frontaliers du Tchad et a tout intérêt à faire basculer cet Etat pour bâtir une alliance antioccidentale, note Cameron Hudson, chercheur au Center for Strategic and International Studies, à Washington. Au cœur de cette guerre d’influence, Déby veut jouer sur les deux tableaux pour assurer au mieux son avenir. Il s’est d’abord appuyé sur la bénédiction de la France pour accéder au pouvoir, mais veut diversifier ses soutiens et voit bien que la rupture avec les Occidentaux est un argument populaire chez les jeunes citadins."

"Les Russes utiliseront toutes les opportunités de contact"

L’histoire était pourtant mal engagée avec les Russes. Avril 2021 : Idriss Déby Itno, au pouvoir depuis trente ans, meurt "au combat" dans un affrontement avec des rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (Fact), réputés proches de la milice Wagner. Deux ans plus tard, le même groupe envisage, selon les renseignements américains, d’assassiner son héritier, Mahamat Déby.

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Mais Moscou ne met pas tous ses œufs dans le même panier. Pendant des mois, des personnalités de la classe politique tchadienne, pro et antirégime défilent dans les officines russes. Des membres du cabinet de la présidence sont contactés, dont un demi-frère de Déby. "Quand elle veut entrer dans un pays, la Russie est prête à passer par la porte… ou par la fenêtre, reprend l’ancien analyste à la CIA, Cameron Hudson. Par exemple, au Soudan voisin, Moscou a d’abord engagé, avant la guerre, des négociations officielles avec les forces armées pour obtenir un port sur la mer Rouge. Faute de résultat, le groupe Wagner a pris le relais pour faire affaire avec les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), aujourd’hui en guerre avec les forces armées." Une alliance dont les Russes pourraient se servir pour étendre leur influence. A la tête des FSR, le redoutable général Mohamed Hamdan Daglo dit "Hemetti" a ses entrées au sommet de l’Etat tchadien. Le militaire n’est autre que le cousin d’un cacique du clan Déby : Bichara Issa Djadallah, dernier chef d’état-major d’Idriss Déby et désormais conseiller de son fils.

"Les Russes utiliseront toutes les opportunités de contact avec les Tchadiens, estime Abderamane Gossoumian, coordinateur national du CSAPR, un réseau d’organisations de la société civile tchadienne. Leur partenaire en Libye, le chef de guerre Khalifa Haftar, pourrait aussi être un point de contact." Il en va de même pour les Etats sahéliens désormais parrainés par Poutine. Une délégation tchadienne s’est rendue début avril au Burkina Faso, au Mali et au Niger, dirigés par trois juntes prorusses et signataires d’un pacte de défense mutuelle.

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Face à une pression citoyenne de plus en plus forte pour rompre avec la France, Mahamat Déby va-t-il franchir le Rubicon, une fois l’élection passée ? La tentation est grande, d’autant que Moscou peut fournir au président, comme à ses voisins, une garde prétorienne bien utile.

"La vraie question est de savoir si la France choisira de partir selon ses propres termes ou sera boutée hors du pays. Malheureusement, je crains que ce ne soit la seconde option", déplore Cameron Hudson. Aucun plan B ne semble en tout cas au programme pour Paris. En visite à N’Djamena le 7 mars - une semaine après le meurtre d’un leader de l’opposition, Yaya Dillo, par les forces de sécurité - l’envoyé personnel d’Emmanuel Macron en Afrique, Jean-Marie Bockel l’a assuré : "Bien sûr, il faut rester et nous resterons." Tant pis s’il faut, pour cela, dire toute l'"admiration" de la France au président Déby.