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Mayotte : «Une spirale infernale d’assassinats, sans aucune réaction» de l’Etat

Depuis samedi, les assassinats à la machette de deux adolescents et d’un homme de 36 ans, dans le bidonville de la Vigie où vivent des Comoriens, secouent le département français.
par Laurent Decloitre, correspondant à la Réunion
publié le 25 janvier 2021 à 17h21

De pire en pire. La violence a encore frappé ce week-end à Mayotte, provoquant une onde de choc dans le département français de l’océan Indien. Dimanche, un adolescent de 14 ans a été retrouvé assassiné sur Petite-Terre, où se trouvent l’aéroport et la préfecture et qui fait face à Grande-Terre, l’île principale de Mayotte. La victime a reçu des coups de chambo (machette) à la gorge, laissant croire à une décapitation, avant que le procureur de la République, Yann Le Bris, ne démente. «La victime, poursuivie par un groupe d’une dizaine à une quinzaine de jeunes individus armés, s’est réfugiée dans un banga [petite case en tôle, ndlr] mais s’est retrouvée acculée», détaille-t-il pour Libération. Samedi, un autre adolescent de 15 ans a été tué à l’arme blanche également, toujours par une bande de jeunes. La veille, vendredi, c’est un adulte de 36 ans, de nationalité comorienne, qui a perdu la vie, suite à des coups de machettes et de pierres, selon l’autopsie. Par ailleurs, deux cases en tôle ont été incendiées, d’autres saccagées et des véhicules incendiés.

Appels à la vengeance

Une vingtaine de gendarmes sont mobilisés pour tenter de retrouver les auteurs des faits, peut-être liés les uns aux autres. Des appels à la vengeance avaient circulé sur les réseaux sociaux dès samedi, après le premier meurtre, dont le motif n'a pas encore été établi par les enquêteurs. Mais pour le maire de Dzaoudzi, Saïd Omar Oili, il s'agit de règlements de comptes entre personnes originaires d'Anjouan, la plus proche des îles comoriennes, d'où sont originaires les immigrés clandestins vivant à Mayotte. Ces trois assassinats ont eu lieu dans le quartier de la Vigie, un immense bidonville entre la commune de Pamandzi et celle, au nom tristement prémonitoire, de Labattoir.

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En 2019, Christophe Castaner, alors ministre de l'Intérieur, s'était rendu sur place pour réaffirmer la volonté de l'Etat de lutter contre la délinquance et l'immigration clandestine, qui gangrènent le département français. La Vigie fait l'objet depuis 2016 d'une réhabilitation urbaine et a intégré le programme «quartier de reconquête républicaine»… Des mesures pour l'instant sans effet, ce qui nourrit la colère des habitants. Des dizaines d'entre eux se sont rendus dimanche matin devant les grilles de la préfecture, se disant «abandonnés» par la République. Joint par téléphone, Mahamoud Azihary, membre fondateur du Collectif des citoyens de Mayotte, est catégorique : «Une grande puissance comme la France aurait les moyens de nous protéger si elle le souhaitait, mais elle s'intéresse plus aux richesses de l'espace maritime de Mayotte qu'à ses habitants.» Dans un communiqué, les deux députés et deux sénateurs de Mayotte dénoncent, eux, «une spirale infernale d'assassinats et de destruction, sans aucune réaction à hauteur de la situation». Ils demandent la venue au plus vite des ministres de l'Intérieur, de la Justice et des Outre-Mer.

«Actes barbares de délinquance»

Les élus s'indignent notamment que ni le gouvernement ni l'Elysée n'aient encore réagi alors qu'ils l'ont fait après le lynchage d'un autre jeune, Yuriy, à Paris, dont la vidéo a surgi en fin de semaine, quinze jours après les faits. Les membres du collectif Mayotte en Sous-France demandent de leur côté «l'interdiction du territoire des fauteurs de troubles et de leur famille» et la «démolition» de leur habitation. Pour sa part, le conseiller départemental de Pamandzi, Daniel Zaïdani, critique «l'impuissance de l'Etat face à l'immigration clandestine et aux actes barbares de délinquance».

Jean-François Colombet, le préfet de Mayotte, évoquait ce week-end des «délinquants qui sèment le désordre depuis quelque temps à Petite-Terre», donnant le sentiment d'avoir sous-estimé la situation. Le 6 janvier, le représentant de l'Etat avait lancé «une vaste opération» dans ce même quartier de la Vigie, à l'issue de laquelle 27 personnes avaient été interpellées dont 14 étrangers en situation irrégulière et 13 mineurs «en errance nocturne».

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Lundi, la situation restait tendue à Mayotte. Le procureur Yann Le Bris rappelle que «l'attente de la population d'une justice immédiate est difficilement compatible avec cette succession de crimes en si peu de temps et par des auteurs encore à identifier». Les pouvoirs publics appellent au calme, craignant que les Mahorais ne soient tentés de se faire justice eux-mêmes. Début novembre, lors des premières Assises de la sécurité qui s'étaient tenues à Mamoudzou, les organisateurs avaient recensé 200 milices ou patrouilles d'habitants sur l'ensemble de l'île… «Mais, prévient Yann Le Bris, il n'y aura aucune espèce d'indulgence en cas de crime sous le faux prétexte de vengeance.»

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