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Vu de Tokyo

Japon : Yoshihide Suga, tacticien de l'ombre et probable Premier ministre

A 71 ans, l'ex-porte-parole du gouvernement, terne bras droit du démissionnaire Shinzo Abe, a été élu président du Parti libéral démocrate. Sa désignation mercredi par le Parlement ne devrait être qu'une formalité.
par Karyn Nishimura, correspondante à Tokyo (Japon)
publié le 14 septembre 2020 à 11h04

Depuis sept ans et huit mois, Yoshihide Suga est l’homme-tronc du Japon, porte-parole du gouvernement, tous les jours 30 secondes au JT, debout derrière le pupitre de la salle de conférence de presse du Kantei, le centre névralgique de l’exécutif. Ni affable, ni charismatique, ni populaire, il s’apprête à laisser cette place exposée pour une autre qui l’est bien plus encore : Premier ministre, successeur du démissionnaire Shinzo Abe, 65 ans, détenteur du record de longévité à la tête du Japon mais contraint de renoncer à ses ambitions pour des raisons de santé. L’homme de 71 ans a été élu ce lundi président du Parti libéral démocrate (PLD) par 377 voix sur 534. Sa désignation comme chef du gouvernement, mercredi au Parlement, ne devrait être qu’une formalité.

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Homme de confiance d’Abe, Suga était poussé par les caciques de l’omnipotent PLD, des éléphants encore plus vieux que lui, trop pour se présenter eux-mêmes, mais désireux de garder leur pouvoir.

Ses deux concurrents officiels au PLD, l’ex-ministre de la Défense Shigeru Ishiba (63 ans, critique envers Abe) et l’ex-ministre des Affaires étrangères Fumio Kishida (63 ans, le dauphin jugé décevant) n’avaient à peu près aucune chance de l’emporter. Suga, qui ne récoltait que 3% de soutien dans l’opinion il y a trois mois, frôle aujourd’hui les 40%.

La cheville ouvrière de la politique d’Abe

«C'est le phénomène bien connu qui consiste à monter sur le cheval qui va gagner. Puisque Suga est présenté comme le plus à même de l'emporter, on le soutient, mais cela ne veut pas dire qu'on le juge meilleur», décrypte pour Libération le vétéran du journalisme politique Tetsuo Jimbo. «Au sein du PLD, c'est pareil. Ils ne se préoccupent pas vraiment de savoir qui est l'homme qui convient le mieux, quelle politique il faut pour le pays, les chefs de factions qui tiennent les manettes choisissent celui qui leur permettra de garder leur pouvoir, et les autres suivent de peur de ne pas avoir d'avenir s'ils s'écartent de la ligne. Le problème, c'est que le président du parti devient automatiquement Premier ministre par la volonté de quelques-uns», ajoute-t-il. D'autant que l'élection du président s'est faite cette fois sans les militants, seulement avec les voix des 394 parlementaires du PLD et 140 représentants de régions.

Politicien terne qui ne boit pas une goutte d'alcool mais aime les gâteaux, Yoshihide Suga est surnommé «Reiwa ojisan» (oncle Reiwa), parce que lui est revenu l'honneur d'annoncer le nom de la nouvelle ère impériale avant l'intronisation de Naruhito l'an passé. Tacticien de l'ombre, Suga a été la cheville ouvrière de la politique du Premier ministre sans marcher sur ses plates-bandes. «C'est lui qui, au cœur de l'administration Abe, a fait le tri parmi les bureaucrates, pour ne garder aux postes clés que ceux en accord avec ses idées», précise le politologue Yu Uchiyama de l'université de Tokyo.

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Même s'il ne brille pas en public, Suga est très fier de lui, de son parcours hors du commun. Face à un monde politique nécrosé par le népotisme, face à un Abe héritier d'une dynastie de politiciens, lui «est parti de zéro», aime-t-il à rappeler, quitte à romancer un peu. Né dans le département rural d'Akita, fils aîné d'un salarié de la compagnie de chemin de fer de Mandchourie avant guerre, devenu cultivateur de fraises après le conflit, Yoshihide Suga est le seul des 130 élèves de son école primaire à être entré à l'université. Mais la famille n'était pas pauvre : le père faisait partie de l'élite locale.

Ni un grand voyageur, ni un bon communicant

Après une expérience dans une PME et des études à Tokyo, l'aîné Suga s'est immiscé progressivement en politique, d'abord comme petite main. La légende que ce père de trois enfants entretient le décrit en marathonien du porte-à-porte, visitant 200 maisons d'électeurs par jour, avec des chaussures si «boro-boro» (déglinguées) qu'elles lui attirent sympathie et suffrages.

Il remporte un scrutin local à Yokohama (banlieue de Tokyo) en 1987 puis un siège de député en 1996. Sa complicité avec Abe remonte à moins de 20 ans, via leur intérêt commun pour le dossier des Japonais enlevés par la Corée du Nord dans les années 1970-1980. Suga est au sein du PLD l’homme qui a œuvré pour infliger au régime nord-coréen diverses sanctions économiques. La volonté d’Abe d’en découdre aussi avec Pyongyang les a unis. Si bien que lors du premier mandat raté d’Abe en 2006-2007, Suga a occupé l’hégémonique ministère des Affaires intérieures et des télécommunications.

Contrairement à Abe, Suga n'est pas un grand voyageur ni un bon communicant. Son horizon verbal et géographique se limite souvent au «furusato» (terres natales) qu'il cite sans cesse. Sa manie de répondre sèchement aux journalistes qu'il n'aime pas et de tapoter nerveusement du doigt sur la table quand les autres parlent le rend peu avenant, mais il supporte quand même que d'aucuns l'appellent «Gasu» (Suga à l'envers).

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