"Squeezie - Merci Internet" : retour sur l'ascension du premier youtubeur français

Squeezie c’est l’incarnation de la fracture générationnelle de nos pratiques médiatiques. Je pense qu’il n’y pas un jeune en France qui n’est pas tombé un jour sur l’une de ses milliers de vidéos comme il n’y a pas un individu de plus de 40 ans qui ne connaît pas Michel Drucker. L’inverse n’est pas forcément vrai.

Lucas Hauchard, de son nom civil, n’a pas encore 28 ans, mais il est déjà vieux pour internet et presque en voie de druckerisation. Il faut dire qu’il a tourné ses premières vidéos dès l’âge de 15 ans grâce à un caméscope, cadeau de son paternel informaticien.

Enfant de parents divorcés, élevé en banlieue parisienne, il se passionne pour les jeux vidéos et utilise YouTube pour rencontrer une communauté de gamers. Il met en ligne des parties commentées de jeux vidéos, puis des sketchs, et connaît l’âge d’or de la plateforme. Les jeunes le rejoignent par milliers et toute une génération grandie avec lui, dans la promesse de proximité qu’offre le réseau.

La proximité, c'est aussi le dispositif permis par cette série documentaire conçue par son fidèle ami et réalisateur historique de ses projets, Théodore Bonnet. Squeezie ayant documenté chaque fragment de sa vie, on plonge aisément dans les archives pour assister à l’irrésistible ascension d’un obsessionnel du travail. Un homme inquiet, ambitieux, soucieux de toujours en offrir davantage pour divertir son public et rester au sommet.

Ce documentaire de plateforme, diffusé sur Amazon, est coproduit par Squeezie lui-même. Il s’agit bien d’un récit sous contrôle, par nature, à sa gloire. Et si certains échecs sont retranscrits - comme son incursion dans le domaine musical - c’est pour mieux assister à leur dépassement dans l’épisode suivant.

Squeezie est lui-même filmé en train de regarder son propre documentaire pour le commenter. Une approche méta où rien ne se perd et tout se récupère.

L'occasion de régler quelques comptes

Squeezie revient sur un moment marquant d’incompréhension entre deux mondes… En 2017, il est invité sur le plateau de Thierry Ardisson qui l’interroge avec mépris sur les raisons d’un succès, qu’il condamne sans chercher à le comprendre. C’est sans doute de là que lui vient sa méfiance à l’égard des médias traditionnels où il se fait rare. En 2024, force est de constater qu’Internet a gagné et la télévision en déclin ne sait toujours pas parler à une jeunesse qui lui échappe.

Il raconte aussi sur son départ de Webedia, entreprise française qui, en 2014, a capitalisé sur l’audience de ces créateurs de contenus, en leur donnant certes des moyens, mais en récupérant beaucoup d’argent sur leur dos. On assiste à la naissance de sa propre structure indépendante, où d’autres stars du net vont le rejoindre sur son canapé rouge. Agence de communication, événementiel, productions audiovisuelles, label de musique, marque de vêtements, écurie d’une nouvelle équipe de E-sport… Squeezie a bâti un petit empire.

Malgré la réussite, on sent la fatigue et la peur constante de disparaître pour celui qui a passé sa vie à la médiatiser. Le risque de burn out est récurrent et Squeezie vient d’annoncer, au moment de la sortie du doc, une pause de quelques mois. Une manière maligne d’être présent dans l’absence. Alors si vous êtes de la team Michel Drucker, ce documentaire est intéressant pour mieux comprendre notre monde connecté.