La meilleure fin de série au monde, c’est… “The Shield”

Chacun leur tour, nos journalistes défendent en toute subjectivité leur fin de série préférée. Aujourd’hui : “The Shield”. Et le vertige existentiel que provoque un lent travelling avant sur le visage de Vic, l’antihéros ripou.

« The Shield », série créée par Shawn Ryan en 2002.

« The Shield », série créée par Shawn Ryan en 2002. 20th Century Fox TV

Par Michel Bezbakh

Publié le 16 novembre 2023 à 14h55

Quatre-vingt-huit épisodes chargés à bloc, dopés aux mouvements permanents d’une caméra 16 mm portée à l’épaule, où les zooms remplacent les raccords, où l’on tangue autant que les personnages, quatre-vingt-huit épisodes où les tournages au sprint tentent de suivre un scénario en ébullition permanente, où les histoires et les combines s’empilent, où les coups de billard à six bandes ne rentrent pas toujours.

Et, pour finir, deux plans longs. Plus d’une minute en lent travelling avant sur le visage de Vic. Il aurait pu se prendre une balle, être condamné à mort, croupir dans une cellule ou filer en cavale mais non, sa sentence est la pire : une vie de bureau. Un costume, une cravate, un ordinateur, des trucs à taper, finir à 18 heures (max), ne voir ses enfants que dans les cadres disposés de part et d’autre du clavier. On s’aperçoit qu’il est au bord des larmes, on récapitule avec lui tous les (mé)faits qui l’ont conduit ici, seul, sous ces misérables néons, dans ce misérable open space, on est partagé, comme depuis le tout premier épisode, entre le dégoût et l’admiration, la peine et le plaisir de le voir enfin puni, on s’attend bêtement à ce que les larmes coulent enfin mais non, évidemment, Vic resserre la mâchoire, fronce les sourcils, ouvre le tiroir, reprend son arme et quitte ce satané bureau. Fin.

Avec 2,3 millions de dollars, sept jours de tournage et juste deux caméras par épisode, The Shield a toujours tout fait très vite, tout fait très bien. Contrairement aux apparences, peut-être, cette mise en scène cocaïnée n’a jamais manqué d’idées ; l’ultime épisode en regorge. Il y a cette façon de scruter le visage de Vic, et de montrer le suicide de Shane. Souvent, dans The Shield, les climax narratifs jaillissent sans prévenir. On filmait autre chose et hop, untel est mort, untel est dénoncé, untel s’est enfui. La vie ne nous attend pas. Shane ne nous a pas attendus pour se tirer une balle. On a juste eu le temps de défoncer la porte avec les agents Sofer et Low, d’entrer dans la maison et d’apercevoir sa tête projetée contre le mur, on ne l’a pas vu presser la détente. Immenses leçons de Shawn Ryan, le créateur : inutile de tout montrer pour émouvoir, inutile d’avoir de l’argent pour être intelligent, et puis, surtout, inutile d’avoir un budget musique. Toujours pas la moindre note au quatre-vingt-huitième épisode.

Shane ne part pas seul. Il s’en va avec son fils, sa femme et le bébé qu’elle portait, endormis pour toujours sur le lit d’à côté. Un geste insensé ? Un geste très américain, qui conclut parfaitement le fil rouge de The Shield, où l’obsession (ou le prétexte) de protéger sa petite famille fait faire n’importe quoi à ces ripoux de flics. Au point de faire exploser lesdites familles. Pour Shane, c’est fini. Pour Vic aussi, même si cet imbécile semble croire que son flingue peut encore arranger les choses. Ce dernier plan rappelle celui des Soprano, il conclut sans conclure, tourne nos regards vers un hors-champ comme une fausse ouverture, juste le signe que ce vaste récit ne finira jamais. Cela faisait bien longtemps que Vic avait perdu, depuis le tout début.

Quelle est la meilleure fin de série au monde ?

Chaque semaine, nos journalistes défendent leurs fins de série préférées. En toute subjectivité.

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