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La théorie des valeurs universelles de Schwartz (3)

 

Les fondements de la structure dynamique des relations entre valeurs

Nous avons identifié un premier principe dynamique qui organise la structure des valeurs : il s’agit des relations de compatibilité et d’antagonisme entre valeurs qui interviennent simultanément dans les décisions. Un examen attentif de la structure suggère l’existence d’autres principes dynamiques (voir Figure III).

Valeurs de Schwartz

Un second principe réside dans le type d’intérêt qui motive les différentes valeurs. Les valeurs qui figurent en haut de la Figure III (pouvoir, réussite, hédonisme, stimulation, autonomie) traitent principalement de la façon dont on exprime les intérêts individuels. Les valeurs qui figurent en bas (bienveillance, universalisme, tradition, conformité, sécurité) traitent principalement du type de relations sociales que l’on entretient avec les autres et de la façon dont on influe sur leur réussite dans la poursuite de leurs intérêts. La Figure I montre que l’universalisme et la sécurité se situent au contact de ces deux groupes de valeurs. Elles traitent en premier des intérêts des autres, mais les objectifs qu’elles permettent d’atteindre concernent également les intérêts personnels.

Les rapports entre les valeurs et l’anxiété sont un troisième principe organisateur de la structure des valeurs. Les valeurs qui figurent sur la gauche de la Figure III permettent de gérer l’anxiété générée par l’incertitude qui existe dans le monde de la nature et dans la société. On cherche à éviter le conflit (conformité), à maintenir l’ordre existant (tradition, sécurité) ou à juguler les menaces (pouvoir). Les valeurs qui figurent sur la droite (hédonisme, stimulation, autonomie, universalisme, bienveillance) expriment des motivations d’où l’anxiété est absente. La réussite peut figurer dans ces deux catégories : on peut contrôler son anxiété en réussissant socialement, on peut aussi confirmer par cette réussite son sentiment de compétence.

Cette lecture de la structure des valeurs en termes d’anxiété fait écho aux deux formes fondamentales d’autorégulation que Higgins (1997) a proposées. La première gouverne le fait d’éviter les sanctions et de faire en sorte, de façon plus générale, d’éviter les pertes. Les besoins de sécurité, les obligations, ainsi que la menace de possibles pertes activent ce système. Les valeurs qui figurent sur la gauche de la Figure III, et plus spécifiquement la sécurité et la conformité, mettent en oeuvre cette forme de régulation. Elles concentrent l’attention et l’action sur le fait d’éviter ou de surmonter les dangers, réels ou potentiels. La seconde gouverne la recherche de récompenses et, de façon plus générale, incite les individus à rechercher des gains. Les besoins de s’occuper des autres, les idéaux, les aspirations intellectuelles et les possibilités de gain activent ce système. Les valeurs qui figurent sur la droite de la Figure III, et plus particulièrement l’autonomie, mettent en oeuvre cette forme d’autorégulation. Elles concentrent l’attention et l’action sur les possibilités

Le référentiel pan-culturel de la hiérarchie des valeurs

Il y a beaucoup de variations interindividuelles dans l’importance attribuée aux dix valeurs de base. En revanche, lorsque l’on se place au niveau de la société, on observe des similitudes étonnantes dans les hiérarchies des valeurs. Même quand on utilise des instruments différents, on constate que l’ordre d’importance des dix valeurs de base est très similaire d’un échantillon représentatif à un autre.  On observe généralement la hiérarchie suivante :

  1. bienveillance
  2. universalisme
  3. autonomie
  4. sécurité
  5. conformité
  6. hédonisme
  7. réussite
  8. tradition
  9. stimulation
  10. pouvoir

Il est probable que ce consensus pan-culturel dans la hiérarchie des valeurs découle de ce qui est commun à la nature humaine, ainsi que du fait que les valeurs ont des capacités adaptatives pour assurer le maintien des sociétés. Ceux qui participent à des activités de groupe et ceux qui jouent un rôle dans le contrôle social déprécient les valeurs qui entrent en conflit avec le fonctionnement harmonieux de groupes sociaux importants ou de la société dans son ensemble. Il y a peu de chances pour que des valeurs contraires à la nature humaine aient un rôle important.

La fonction sociale de base des valeurs est d’inspirer et de maintenir sous contrôle les comportements des membres du groupe. Deux mécanismes sont cruciaux. Tout d’abord, les valeurs constituent des modèles que les individus ont intériorisés ; ils évitent ainsi au groupe de devoir exercer sur eux un contrôle social en permanence. Ensuite, les individus invoquent telle ou telle valeur pour prouver que tel ou tel comportement est approprié, pour justifier leurs exigences vis-à-vis des autres, et pour susciter les comportements désirables. Consciemment ou non, les agents de socialisation cherchent à inculquer des valeurs qui permettent la survie du groupe et la prospérité. Pour expliquer le fait que la hiérarchie des valeurs soit similaire dans de nombreuses cultures, on doit expliquer pourquoi, quelle que soit la société, certaines valeurs particulières sont perçues comme plus ou moins désirables.

Trois exigences de la nature humaine indispensables au fonctionnement social permettent d’expliquer cette régularité dans la hiérarchie des valeurs que l’on peut observer empiriquement.

  1. La plus importante est la nécessité de mettre en oeuvre et de préserver la coopération et le soutien entre les membres des groupes de base. Le point le plus crucial dans la transmission des valeurs est de faire en sorte de développer l’engagement dans des relations positives, l’identification au groupe et la loyauté envers ses membres.
  2. Ensuite, on doit donner aux individus la motivation pour consacrer du temps et fournir les efforts physiques et intellectuels nécessaires à la réussite d’une tâche productive ; il faut qu’ils aient envie de résoudre les problèmes rencontrés à cette occasion, de concevoir de nouvelles idées et de trouver des solutions techniques.
  3. Enfin, il est utile socialement de donner une légitimité à la satisfaction des besoins et des désirs personnels dans la mesure où cela ne s’oppose pas aux objectifs du groupe. Si l’on rejetait toutes ces gratifications individuelles, les individus seraient frustrés, ce qui les amènerait à arrêter de mettre leur énergie au service du groupe et de ses actions.

La grande importance de la bienveillance (1re position) découle du caractère central des relations sociales positives et coopératives au sein de la famille, qui est le lieu principal d’acquisition et d’apprentissage des valeurs. La bienveillance constitue la base intériorisée de ce qui motive de telles relations. Cette valeur de base est façonnée dès le plus jeune âge et renforcée ensuite à de nombreuses reprises.

L’universalisme (2e) contribue également à l’établissement de relations sociales positives. Il est très utile principalement quand les membres du groupe doivent entrer en relation avec d’autres auxquels ils ne s’identifient pas facilement, à l’école, au travail, etc. L’universalisme peut aller jusqu’à mettre en péril la solidarité interne au groupe en cas de conflit avec un autre groupe. C’est la raison pour laquelle l’universalisme arrive derrière la bienveillance.

La sécurité (4e) et la conformité (5e) débouchent toutes deux sur l’harmonie des relations sociales. En effet, elles contribuent à ce que les conflits soient évités, et à ce que les normes du groupe ne soient pas transgressées. Mais ces valeurs sont généralement acquises en réponse à des exigences et à des sanctions destinées à éviter les risques, à contrôler certaines pulsions et à imposer des limites aux individus. Ceci réduit leur importance, parce que cela entre en conflit avec la satisfaction des besoins et des désirs individuels. De plus, le fait que ces valeurs soient destinées à maintenir le statu quo entre en conflit avec l’innovation nécessaire à la recherche de solutions nouvelles pour mener à bien les tâches du groupe.

Promouvoir la tradition (généralement en 8e position) peut aussi améliorer la solidarité au sein du groupe et de ce fait faciliter le fonctionnement et la survie du groupe. Mais la tradition s’exprime rarement dans des comportements d’importance cruciale pour les différents acteurs en présence. Elle concerne bien plus souvent l’engagement vis-à-vis de croyances abstraites ou de symboles.

Rechercher le pouvoir (10e) peut faire du tort aux autres, les exploiter et détériorer les relations sociales. Le pouvoir a tout de même de l’importance en tant que valeur parce qu’il peut donner aux individus la motivation d’oeuvrer pour les intérêts du groupe. Il justifie aussi la hiérarchie sociale dans toutes les sociétés.

L’autonomie (3e) participe aux deuxième et troisième fonctions des valeurs sans nuire à la première. Elle développe la créativité, l’innovation et incite à se confronter aux défis que le groupe peut rencontrer en temps de crise. Le comportement fondé sur ces valeurs trouve sa motivation en lui-même. Il satisfait les besoins individuels sans faire de mal aux autres. De ce fait, il est rare qu’il menace l’harmonie des relations sociales.

Le rang modeste des valeurs de réussite (7e) pourrait exprimer un compromis entre les bases de la hiérarchisation des valeurs. En positif, cette valeur de base amène les individus à s’investir dans certaines tâches du groupe. Elle rend également légitime l’affirmation de soi, tant qu’elle contribue au bien-être du groupe. En négatif, cette valeur de base encourage certains efforts pour obtenir l’approbation sociale qui peuvent désorganiser les rapports sociaux harmonieux et perturber la réalisation des objectifs du groupe.

L’importance de l’hédonisme (6e) et celle de la stimulation (9e) proviennent de la nécessité de rendre légitimes les besoins innés d’atteindre l’excitation et le plaisir. Ces deux valeurs de base sont probablement plus importantes que le pouvoir puisque, contrairement à lui, le fait de les rechercher ne menace pas nécessairement l’harmonie des relations sociales positives.

La structure des relations entre les dix valeurs peut également avoir des fondements biologiques et génétiques. Les dix valeurs concordent avec les quatre pulsions innées proposées par Lawrence et Nohria dans Driven : how human nature shapes our choices (2002). Vraisemblablement, ces pulsions, au cours de l’évolution, se sont dégagées comme un ensemble de règles pour la décision, et elles sont au coeur de la nature humaine. Ces quatre pulsions sont :
1) Acquérir : rechercher, prendre, contrôler et conserver les ressources matérielles, les signes de statut social, et les expériences gratifiantes ;
2) Relier : nouer des relations sociales et développer l’engagement mutuel dans des relations d’entraide ;
3) Apprendre : savoir, comprendre, croire, apprécier et appréhender son environnement et soi-même, en exerçant sa curiosité ;
4) Défendre : se défendre soi-même et défendre les réalisations que l’on valorise chaque fois que l’on a l’impression qu’elles sont menacées.

Les pulsions « acquérir » et « relier » entrent souvent en conflit lorsque l’on doit prendre une décision au sujet d’une action, de la même façon que les pulsions « apprendre » et « défendre ». On constate que chaque valeur de base exprime une pulsion ou une combinaison de deux pulsions. Les valeurs transforment les pulsions en objectifs désirables dont on peut être conscient, et qui peuvent de ce fait être invoqués lorsque l’on prend une décision ou lorsque l’on planifie une action. Voici les correspondances que l’on peut établir entre valeurs et pulsions :

Quand on établit ces correspondances entre valeurs et pulsions, on le fait en suivant le cercle des valeurs. Les oppositions entre valeurs correspondent aux oppositions entre pulsions identifiées par Lawrence et Nohria. Cette correspondance entre valeurs et pulsions laisse penser qu’un fondement inné peut aider à expliquer la quasi-universalité de la structure des valeurs.

Source : d'après Shalom Schwartz, Les valeurs de base de la personne : théorie, mesures et applications, traduction Béatrice Hammer et Monique Wach, Revue française de sociologie, Ed Ophrys, 2006/4 - Volume 47, pages 929 à 968. Article complet sur Cairn.info.

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