CINÉMA ET DOCUMENT

Conférence donnée à l'I.D.H.E.C. (1947)

I

On a déjà dit sans doute très souvent que la place privilégiée qu'il faut bien accorder au cinéma dans l'histoire des arts venait de la force de conviction particulière dont il dispose.

Pour chacun de ses spectateurs, il est comme une nouvelle expression sensible. Chacun se trouve devant lui comme devant la vie elle-même, et prend les images qui lui sont proposées pour objet de connaissance. Pourtant, ces images, dans leur disposition, dans leur enchaînement, sont le résultat d'une série d'opérations intel¬ lectuelles fort compliquées. Chacun des instants qui compose le film est, dans ses moindres détails, pesé et calculé en vue d'un effet pré¬ cis. Il n'est pas un moment de la suite des images qui ne soit le résul¬ tat d'un choix préalable du réalisateur. Tout concourt exactement à recréer selon une logique parfaitement autonome un monde qui se présente comme la réalité objective.

Paradoxalement, le cinéma est ainsi tourné dans le monde entier vers la démonstration, la preuve ou l'effet.

Mais, tout rhétorique et démonstratif qu'il soit, plus et mieux qu'un manuel, au point que la pédagogie commence à s'apercevoir de son existence, le cinéma s'adresse avec une force incomparable à la totalité des sens. Il est visiblement dans sa nature d'être le plus phy¬ siquement touchant de tous les arts, et, en somme, le plus affectif.

Les prestiges et les ressources de sa forme sont sans limites. La souplesse et la diversité de son langage encore presque ignorées. Il peut marier les combinaisons les plus riches et les plus complexes du monde des images avec les plus complexes et les plus riches du monde des sons. Encore tout prisonnier des contraintes et des règles du récit dramatique, il commence, comme l'emploi du montage pour la poursuite d'actions simultanées en donne l'exemple, à découvrir son propre registre.

Cette puissance particulière s'exerce dans le cadre le plus vaste : le cinéma dispose encore de l'audience la plus large, la plus diverse et la plus constante de tous les arts et de toutes les civilisations. Il

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