La Franc-maçonnerie Clermontoise

A quand remonte la présence des francs-maçons à Clermont-Ferrand ?

C’est le 1er Mars 1750 que naît la Loge de Saint-Louis, inaugurant ainsi leur activité dans la ville. Un document datant de 1774 atteste de la vivacité de la franc-maçonnerie de l’époque à Clermont-Ferrand. Son auteur relate que l’intérêt des citoyens fut tel qu’il fallut rapidement créer d’autres loges. A la veille de la Révolution, on en compte cinq.

Qui sont ces premiers francs-maçons ?

La franc-maçonnerie de l’époque est un genre de Rotary, un cercle de bienfaisance huppé aux fins essentiellement philanthropiques. On y trouve des bourgeois – la grande préoccupation de la famille Blatin, à la veille de la Révolution, consiste à vendre son carrosse – dont beaucoup exercent la profession d’avocat.

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De fait, la cotisation très élevée ne permettait pas à n’importe quel profane de devenir initié.

En plus de cette charge, les maçons devaient payer un festin, les « agapes », à leurs frères pour excuser chacune de leur absence aux tenues.

On ne compte que très peu de nobles parmi les frères Clermontois, la plupart des aristocrates vivant alors à la cour. Les membres influents du clergé y sont aussi nombreux, la totalité de cet aréopage étant croyant.

[Sur le rituel de Blatin, au GODF : cliquez ici]

Quel rôle joueront les frères durant la révolution de 1789 ?

Les loges n’ont pas, en tant que telles, organisé lesGeorges Couthon événements de l’époque. En revanche, de nombreux francs-maçons y ont joué un rôle décisif. Comme l’avocat Georges Couthon, membre de la municipalité révolutionnaire en mars 1789. C’est lui qui annonce la prise de la Bastille aux Clermontois. Le malheureux sera d’ailleurs arrêté avec Robespierre et Saint-Just le 9 thermidor 1794 puis guillotiné.

 Jean-François GAULTIER DE BIAUZAT (1739 - 1815)

Également membre du barreau, Gaultier de Biauzat est élu Maire de la ville en janvier 1790. Un mois plus tard, c’est lui qui choisit la dénomination du département de Basse-Auvergne – qui deviendra le Puy-de-Dôme – et qui réussit à imposer Clermont-Ferrand comme chef-lieu.

Durant la période révolutionnaire, deux autres maçons – Bonarme, qui votera la mort du roi, et Sablon – occuperont le poste de premier magistrat. L’influence des frères dans la vie publique locale est alors considérable.

Parmi les grands noms de la franc-maçonnerie de l’époque, on trouve trace des Blatin, notables qui accueillent dans leur maison la loge Saint-Maurice, l’une des plus importantes de la ville. Plusieurs membres de cette famille vont jouer par la suite des rôles importants dans la franc-maçonnerie clermontoise.

Lors des événements de 1830, la franc-maçonnerie prend encore les choses en main. Charras C’est un maçon, le général d’Empire à la retraite Jean-Baptiste Charras, qui déclenche un soulèvement le 1er août. Apprenant le retour de la monarchie, il arme une garde nationale qui occupe les lieux névralgiques de la ville: la préfecture, la mairie et la halle aux toiles.

Tentant de s’opposer à l’insurrection, le général de Sainte-Suzanne est confronté au refus de son régiment d’ouvrir le feu, et se suicide de dépit. Le 5 août, les insurgés et les militaires descendent ensemble la rue Ballainvilliers. C’est la présence de frères parmi les officiers de l’armée qui expliquerait la mutinerie.

Les frères sous l’empire de Napoléon III.

Ils sont totalement inféodés au pouvoir impérial. Alors que la franc-maçonnerie clermontoise a été officiellement dissoute en 1844, une unique loge « dévouée à l’Empire » naît en 1868. Avec un nom évocateur : Les Enfants de Gergovie. Chaque tenue commence alors aux cris de «l’Empereur vivra!».

(Voir notre page « Qui sommes-nous ? », pour connaître l’histoire de la Loge Les enfants de Gergovie).

La franc-maçonnerie clermontoise et la IIIe République.

La IIIe République est l’époque de l’apogée de la franc-maçonnerie à Clermont-Ferrand, dont le combat est lié à celui pour la République.

Très symbolique de cette génération de maçons est le parcours de Jean-Baptiste-Antoine Blatin, parent du docteur du même nom qui fut maire de Clermont-Ferrand entre 1822 et 1830. Vénérable de la Loge Les Enfants de Gergovie, il est élu maire en 1884, puis député l’année suivante. A l’époque du début du radicalisme, il s’illustre en lançant un journal pour populariser les idées de ce courant: c’est le Petit Clermontois.

Il sera impliqué dans le principal scandale de l’époque touchant la franc-maçonnerie : l’affaire des fiches. En effet, en 1904, le ministre de la Guerre entend favoriser les carrières des militaires républicains dans une armée réputée très cléricale. Il fait appel au Grand Orient afin que ses membres réalisent des fiches sur le cléricalisme et l’engagement républicain des officiers. En tant que secrétaire général du Grand Orient de France, il apparaît que c’est Blatin qui a coordonné l’ensemble du dispositif.

Les frères sont très liés au monde politique. Dans la région, on ne compte plus les maires maçons, qui recrutent à tour de bras les employés municipaux dans les loges. Idem dans le corps préfectoral: en 1898, nommé dans le chef-lieu, le préfet Dupuy doit régulièrement rendre compte de son activité devant les frères de sa loge.

Le 31 mai 1895, le programme de la visite officielle du Président de la République, le « Frère Félix Faure », comprend une rencontre avec les 65 vénérables de la région ! De fait, au début du XXe siècle, les loges clermontoises s’impliquent avec enthousiasme dans la réorganisation du Parti Républicain et avec les socialistes de la SFIO. Les candidats investis par ces formations sont souvent désignés dans les loges.

 

Les grands combats menés par les francs-maçons à Clermont-Ferrand.

Comme ailleurs en France, les maçons luttent sur le front de la laïcité. Ce combat s’incarne dans la forte présence des instituteurs, les « hussards noirs de la République », au sein des loges. Aussi actifs que nombreux, ils sont à l’origine de la création des cours complémentaires, qui permettent aux enfants les moins aisés de poursuivre leurs études en étant logés.

A Clermont, on les retrouve au sein du Syndicat national des instituteurs. Les maçons clermontois sont également très patriotes. Le 11 octobre 1903 est inauguré place de Jaude la statue de Vercingétorix, en présence de deux illustres frères : le Président du Conseil, Émile Combes, et son ministre de la Guerre, le Général André. La réalisation de ce monument est due à un autre maçon, le sculpteur Bartholdi.

Les francs-maçons clermontois s’impliquent enfin pour obtenir les droits à la crémation, longtemps interdite, et à l’enterrement civil (sans cérémonie religieuse). C’est d’ailleurs le député Blatin qui parviendra à faire voter la loi reconnaissant la liberté de funérailles.

 

Ces grands combats se déroulent-ils sans heurts ?

Ces actions serviront de prétexte à plusieurs grandes polémiques clermontoises. En 1887, les francs-maçons réservent ainsi un accueil chaleureux au Général Boulanger, nommé dans la ville pour l’éloigner de Paris. Après avoir fait leur unanimité, la présence de ce populiste revanchard divise les frères.

Plus tard, l’année 1933 est marquée par une controverse sur la tenue de la procession de Notre-Dame-du-Port, dont le rétablissement est autorisé par le maire de l’époque, le frère Gondard. Une concession au camp clérical vivement contestée par les francs-maçons, qui l’excluront de leurs rangs.

Les francs-maçons sous l’Occupation.

Durant la 2e Guerre Mondiale, traqués par la Gestapo, les francs-maçons clermontois se réunissent clandestinement. Ils se retrouvent notamment au café Le National, place Gaillard. Les frères s’investissent dans la Résistance, comme Jean-Auguste Seneze, socialiste membre de la Ligue des droits de l’homme. Sous le pseudonyme de «François», c’est lui qui dirige un temps les réseaux clandestins des instituteurs résistants.

Les maçons clermontois se retrouvent nombreux dans les Mouvements unis résistants. Des réunions maçonniques et même quelques initiations se sont déroulées dans le maquis. Les plus jeunes d’entre eux ont d’ailleurs participé à l’offensive du mont Mouchet visant à ralentir la retraite des Allemands.

 

La franc-maçonnerie clermontoise de l’après-guerre à aujourd’hui.

Sociologiquement, le recrutement des loges après 1945 se cantonne toujours à des milieux relativement aisés, le prix de la cotisation demeurant élevé. Globalement, elle perd de son influence. Ainsi, le journal La Montagne, créé par les francs-maçons et autrefois « tenu » par eux, ne compte plus autant de frères qu’avant-guerre, époque où la plupart des rédacteurs en chef sont des initiés.

Malgré tout, ils restent très présents dans la sphère publique. Dans l’histoire récente de Clermont-Ferrand, de nombreux élus – maires, adjoints, députés ou sénateurs – appartiennent à la franc-maçonnerie.

Aujourd’hui, les initiés viennent de milieux un peu plus variés, attirés tant par le besoin d’affirmer leur engagement dans la société que pour partager une conception humaniste et laïque de celle-ci. La couverture médiatique qui vise la franc-maçonnerie y joue un certain rôle. Qu’elle soit le fait des « marronniers » réguliers de la presse, qui voit dans la maçonnerie moderne un réseau d’influence plus ou moins, opaque, ou d’ouvrages plus sérieux qui expliquent ce qu’elle est réellement, elle attire des candidats qui souhaitent se faire une idée par eux-mêmes, et qui poursuivront leur chemin personnel sur la voie de l’Art royal.