Histoire de Wallis-et-Futuna

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L'histoire de Wallis-et-Futuna fait partie intégrante de celle de l'Océanie. Peuplées aux environs du Ier millénaire av. J.-C. par des austronésiens de la civilisation lapita, les îles Uvea (Wallis) et Futuna font ensuite partie de la Polynésie ancestrale jusqu'aux premiers siècles après J.C. : il s'agit du foyer originel des polynésiens (Hawaiki), qui partagent une langue et une culture commune. Par la suite, une différenciation s'opère entre ces îles : chacune d'entre elles développe une langue, une culture et une organisation sociale spécifique, tout en restant intégrées au sein d'un grand réseau insulaire avec les archipels voisins (Tonga, Samoa, Fidji, Tokelau, Tuvalu…). Wallis est conquise par les Tongiens, qui laissent une influence durable dans la société wallisienne, tandis que Futuna, plus isolée, résiste mieux aux envahisseurs tongiens et préserve ses relations avec Samoa.

Les premiers contacts avec les Européens ont lieu au XVIIe siècle et au XVIIIe siècle, mais les îles sont relativement préservés des intrusions occidentales. Au milieu du XIXe siècle, Wallis et Futuna sont converties au catholicisme par des missionnaires maristes français. C'est seulement à partir de cette époque que les deux îles sont regroupés ensemble, et coupées des archipels voisins. Elles deviennent un protectorat français en 1887 (en grande partie sur demande des missionnaires maristes), mais ne sont pas colonisées à proprement parler. Depuis cette période, l'équilibre du pouvoir entre la chefferie coutumière, l'église catholique et l'État français est toujours fragile. Durant la Seconde Guerre mondiale, Wallis devient une base militaire américaine, ce qui entraîne de nombreux bouleversements. En 1961, Wallis-et-Futuna devient un territoire d'outre-mer français par référendum. Une émigration de masse se développe alors vers la Nouvelle-Calédonie, résultant en une diaspora wallisienne et futunienne trois à quatre fois plus nombreuses que dans les deux îles d'origine. Le territoire se transforme profondément, avec l'arrivée de l'administration, la construction de nombreuses infrastructures, l'introduction de la langue française et du modèle occidental.

Questions méthodologiques et historiographiques[modifier | modifier le code]

Les sources : tradition orale, missionnaires et archéologie[modifier | modifier le code]

L'histoire de Wallis-et-Futuna, territoire français, a surtout été étudiée par des auteurs français. Elle est moins connue des auteurs anglophones, qui ont concentré leurs recherches sur Tonga et Samoa[1], même si certains auteurs de langue anglaise se sont intéressés à Uvea et à Futuna comme Patrick Vinton Kirch dans les années 1970[2]. Le premier scientifique à étudier sur le terrain Wallis-et-Futuna est l'anthropologue Edwin Grant Burrows, qui décrit les sociétés wallisienne[3] et futunienne[4] dans les années 1930 et recueille de nombreux chants et légendes[5]. Les autres publications scientifiques reposaient auparavant sur des récits d'informateurs, la plupart du temps occidentaux[Note 1]. Certains historiens, comme Frédéric Angleviel, se sont spécialisés sur Wallis et Futuna.

Tradition orale[modifier | modifier le code]

Wallis et Futuna sont des sociétés polynésiennes de tradition orale. Les sources écrites sont donc absentes avant l'arrivée des occidentaux dans la région, mais les sources orales abondent. Les récits (fakamatala) de la vie des ancêtres sont racontés lors de soirées ou déclamés durant des cérémonies coutumières[6]. il s'agit d'une tradition orale vivante et évolutive, qui nécessite d'être retracée dans son contexte, car elle tend facilement à constituer des mythes et joue souvent un rôle de légitimation d'un titre coutumier ou d'une position de pouvoir[7].

À Wallis-et-Futuna, les missionnaires ont fixé par écrit une partie de la tradition orale locale. C'est le cas notamment de l'ouvrage du père Henquel, Talanoa ki Uvea nei. Rédigé en wallisien, il recueille les généalogies et l'histoire traditionnelle de Wallis, après quarante ans de recherches (1889-1919)[8] auprès des aristocrates de l'île[9], même si son texte vise avant tout à asseoir la légitimité des missionnaires et est critiqué, notamment par l'anthropologue Sophie Chave-Dartoen (2017)[10]. Les conditions du recueil de la tradition orale auprès d'informateurs, de sa mise à l'écrit, et de la traduction depuis les langues vernaculaires sont donc importantes.

Sources écrites occidentales[modifier | modifier le code]

Les récits de voyageurs et marins constituent les premiers écrits sur les sociétés wallisienne et futunienne. Néanmoins, les premiers contacts avec des occidentaux ayant eu lieu en 1616 pour Futuna et 1767 pour Wallis, les périodes précédentes ne sont connues que par la tradition orale et l'archéologie. Pour Frédéric Angleviel, cette période sans écriture correspond à la protohistoire de l'Océanie[11].

Les premières sources écrites sur l'histoire de Wallis-et-Futuna ont été produites par les missionnaires maristes venus convertir les populations locales au milieu du XIXe siècle : « les missionnaires s'appliquent dès leur arrivée à l'étude des langues [locales]. Parallèlement, les missionnaires explorent systématiquement le pays, inventorient ses ressources physiques, sociales et culturelles. »[AngA 1]. Ils ont souvent eu des analyses ethnocentristes, remplies de préjugés, orientées religieusement et sans réelle méthode historique : ils menaient avant tout un travail de conversion et ils maîtrisaient mal les codes culturels des sociétés polynésiennes[12]. Les sources missionnaires ne sont donc pas exemptes de critiques, mais comme l'indique l'historienne Claire Laux, elles sont indispensables pour connaître l'histoire de Wallis-et-Futuna : « les sources les plus fiables et surtout les plus accessibles [sur l'histoire de la Polynésie] sont (...) souvent d'origine exogène »[7].

Odon Abbal rappelle que l'histoire de l'Océanie a été majoritairement produite par des sources écrites, faites par les occidentaux venus coloniser ces territoires, tandis que la tradition orale a tendance à disparaître plus rapidement. À Wallis-et-Futuna, les missionnaires et les colons portent une vision stéréotypée des populations polynésiennes, les percevant comme non civilisées et païennes, à qui il s'agit d'apporter la religion chrétienne[13].

L'histoire du protectorat (1888-1961) puis du territoire d'outre-mer est en revanche mieux documentée grâce à l'abondance de sources administratives[14] et l'ouvrage de l'évêque Alexandre Poncet, Histoire de l'île Wallis. Tome 2: Le protectorat français, publié par la Société des Océanistes en 1972[15].

Recherches archéologiques (années 1980)[modifier | modifier le code]

Des études archéologiques sont menées à Wallis, Futuna et Alofi par des équipes de l'ORSTOM et du CNRS dirigées par Bernard Vienne et Daniel Frimigacci avec comme collaborateurs Jean-Pierre Siorat et Christophe Sand en 1985 et 1986. Ces travaux ont permis de mieux connaître l'histoire de ces îles[16]. Toutefois, l'anthropologue Sophie Chave-Dartoen estime qu'« un travail de collecte archéologique intensif reste à faire afin de documenter le développement de la société wallisienne, notamment pour la période mal connue s'étendant de la fin de la période céramique (IVe siècle) à celle de la construction des fortifications et des grandes résidences (xv-xviie siècles) »[10].

Approche pluri-disciplinaire : l'ethnohistoire[modifier | modifier le code]

Pour étudier Wallis-et Futuna, les historiens ont recours à l'archéologie, la linguistique, ainsi qu'à la tradition orale, étudiée grâce à l'anthropologie : Bernard Vienne et Daniel Frimigacci se livrent ainsi à une ethnohistoire[VF 1]. Les recherches dans ce domaine sont assez récentes (années 1980 à aujourd'hui).

Perception occidentale et polynésienne de l'histoire[modifier | modifier le code]

La christianisation a en outre bouleversé la représentation du temps qu'avaient les Wallisiens et les Futuniens. L'époque pré-chrétienne a été dénommée temi pagani (« les temps païens », néologisme formé à partir du latin) : tout ce qui a eu lieu avant l'arrivée des missionnaires est perçu négativement. Pour l'historienne et anthropologue Françoise Douaire Marsaudon, les missionnaires ont ainsi contraint les Wallisiens et les Futuniens à oublier voire dénigrer leur propre histoire[17]. « Aujourd'hui, parler ouvertement des esprits des ancêtres, (...) c'est retomber dans l'obscurité de ce temps qui devrait être considéré par tous aujourd'hui comme révolu : le temps du paganisme. D'une certaine manière (...), c'est refuser le temps de la lumière, celui de l'évangélisation. »[17].

Finalement, le rôle des missionnaires dans la connaissance des sociétés polynésiennes est ambivalent : « Les missionnaires se trouvent donc à la fois avoir été acteurs de la disparition des sociétés traditionnelles et des témoins précieux de ce qu'ont été ces mondes primitifs. »[7]. Les recherches actuelles en ethnohistoire insistent au contraire sur l'importance de prendre en compte les traditions orales polynésiennes dans l'écriture de l'histoire de ces deux îles.

Toponymie[modifier | modifier le code]

Wallis-et-Futuna (avec des tirets) désigne le protectorat français (1888), puis le territoire d'Outre-Mer créé en 1961 et qui rassemble en réalité trois îles : Wallis (en wallisien Uvea, parfois dénommée « îles Wallis » au pluriel pour y inclure les îlots du lagon de Uvea dans des publications francophones d'avant 1976) et Futuna et Alofi d'autre part (îles Hoorn). Avant le XIXe siècle, Wallis et Futuna sont donc deux îles distinctes, et leur histoire est traitée séparément dans cet article.

Des Lapita aux Polynésiens[modifier | modifier le code]

Peuplement : les lapita[modifier | modifier le code]

Carte de l'Océanie montrant les différentes migrations (migrations du Sunda, du Sahul, austronésienne, puis polynésienne). Wallis-et-Futuna sont intégrées au sein de l'aire lapita.
Les premiers habitants de Wallis-et-Futuna sont des austronésiens de la civilisation Lapita. Avec les îles voisines de Tonga et Samoa, ils forment la « société polynésienne ancestrale » (Kirch et Green 2001).

Les premiers habitants de Wallis et de Futuna étaient des austronésiens appartenant à la civilisation lapita[18].

Le peuplement du Pacifique s'est fait en deux vagues successives. Vers 40 000 ans av. J.-C., des habitants originaires d'Asie du Sud-Est s'installent en Nouvelle-Guinée puis dans l'archipel Bismarck. Un deuxième mouvement migratoire a lieu bien plus tard, entre 1500 et 1100 av. J.-C. : des austronésiens arrivent dans la région et introduisent l'art de la céramique. Leurs poteries élaborées, appelées lapita, ont donné le nom à la civilisation qui est née des échanges et des métissages avec les habitants déjà présents[18].

Vers 1110 av. J.-C., un groupe de lapita part à la conquête des îles Salomon. En deux siècles, parcourant l'océan Pacifique sur des pirogues à balancier, ils s'étendent sur une très grande région (plusieurs milliers de kilomètres) incluant le Vanuatu, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie occidentale (Samoa, Tonga, Wallis et Futuna).

La société polynésienne ancestrale[modifier | modifier le code]

La Polynésie ancestrale vers le 1er millénaire (Fidji n'en fait pas partie).

Cinq à sept siècles plus tard, les Polynésiens vont se distinguer des autres lapita restés en Mélanésie[Note 2]. En se basant sur l'archéologie, l'ethnologie et la linguistique, Patrick Kirch et Robert Green (2001)[KG 1] concluent que les populations de Wallis, Futuna, Tonga et Samoa ont formé la « société polynésienne ancestrale »[18] : pendant environ sept siècles, au 1er millénaire av. J.-C., ces îles partagent une culture commune et parlent la même langue, le proto-polynésien. Uvea et Futuna font donc partie de Hawaiki, cette zone que les Polynésiens considèrent comme leur foyer originel et qui a pris au fil du temps une dimension mythique[KG 2].

Les sociétés polynésiennes de cette période sont de petits groupes peu nombreux démographiquement, mais elles ont déjà développé une culture complexe avec une structure sociale élaborée. On ne peut donc pas considérer ces premiers habitants comme moins avancés ou plus primitifs que leurs successeurs, même s'ils étaient sans doute plus égalitaires que les sociétés polynésiennes stratifiées qui suivirent dans les siècles suivants[KG 3].

Ces polynésiens ancestraux sont à la fois de fins navigateurs et de bons agriculteurs. Ils prennent possession des terres et commencent à les exploiter, récoltant diverses plantes (taros, ignames...) sur des terres volcaniques fertiles. Ils modifient leur environnement, parfois au prix de bouleversements écologiques (disparition de plusieurs espèces animales, modification des sols)[KG 4]. Ils se nourrissent également des produits de la pêche et font cuire leurs légumes dans des grands fours en terre, les 'umu[KG 5], qui aujourd'hui font encore partie intégrante de la cuisine wallisienne et futunienne. Les habitants exploitent également la noix de coco pour sa chair et son huile.

Dès cette époque, les Wallisiens et les Futuniens transforment l'écorce de mûrier en un tissu, le tapa, aussi appelé siapo ou ngatu en proto-polynésien selon ses usages[KG 6]. Vu le faible nombre d'armes retrouvés par les archéologues pour cette période, pour Kirch et Green, les conflits sont peu nombreux dans ces sociétés pacifiques, bien qu'on y trouve des guerriers. Les populations sont regroupées autour d'unités familiales, les kaiga, qui se partagent des terres et pratiquent le culte des ancêtres. Ces communautés, remontant à un ancêtre commun sont dirigées par des « anciens ». Pour l'anthropologue Sophie Chave-Dartoen, « ce tableau correspond de façon surprenante avec ce que l'on sait de certains traits de la société wallisienne au moment des premières descriptions ethnographiques deux mille ans plus tard »[10].

Uvea et Futuna sont alors intégrées dans un vaste réseau d'échanges avec les autres îles de Polynésie (Tonga, Samoa, Tuvalu, Tokelau...) et Fidji. Ces échanges interinsulaires ont continué jusqu'à environ la moitié du XIXe siècle et l'arrivée des missionnaires européens. Cependant, bien que Wallis et Futuna soient proches (entre un et sept jours de voyage en pirogue)[AngA 2], elles ont connu une histoire séparée et distincte : ce n'est qu'avec l'arrivée des occidentaux que Futuna et Wallis commencent à être associées spécifiquement ensemble, jusqu'à former une entité politique commune (protectorat puis territoire d'outre-mer).

Wallis et Futuna dans l'influence samoane puis tongienne[modifier | modifier le code]

Carte de la Polynésie montrant deux groupes d'îles : au nord, le groupe polynésien nucléaire (Wallis, Futuna, Samoa, Niuafo'ou, Niuatoputapu) et au sud le groupe tongique (Tonga, Niue)
La différenciation linguistique du proto-polynésien en deux sous-groupes illustre la séparation des Polynésiens ancestraux en deux ensembles distincts.

D'après Christophe Sand, cette société polynésienne ancestrale a connu une première séparation en deux groupes :

  • d'un côté, le groupe polynésien nucléaire, qui incluait Samoa, Wallis, Futuna mais aussi Niuafo'ou, Niuatoputapu et Tafahi ;
  • de l'autre, au sud, l'archipel des Tonga.

Ces différences sont avant tout observables sur le plan linguistique : le proto-polynésien s'est séparé en deux dialectes[1]. Durant cette période, Uvea et Futuna ont donc une culture et une langue très proche de celle de leurs voisins, notamment samoans ou de Niuatoputapu[Sa 1]. Des relations directes entre Samoa et Uvea ont été observées[1] et une tradition orale samoane rapporte même que l'île de Savai'i aurait été peuplée originellement par des uvéens[V 1]. Pour Christophe Sand, c'est avant tout Samoa qui a influencé la construction des forts à Wallis.

Cette influence samoane s'est largement perdue à 'Uvea avec l'arrivée des invasions tongiennes aux XVe et XVIe siècles. C'est l'époque de l'expansionnisme tongien dans toute la Polynésie occidentale, qui a donné naissance à ce que certains auteurs appellent l'empire maritime tongien[Sa 2]. Les tongiens arrivent à Uvea et imposent peu à peu leur structure sociale ; la langue wallisienne se transforme en profondeur, intégrant de nombreux éléments du tongien. L'influence tongienne a eu des conséquences durables sur l'histoire locale wallisienne et futunienne[RX 1].

Futuna, à l'inverse, a résisté aux invasions tongiennes. Elle a réussi à maintenir sa culture d'origine, ce qui fait de cette île l'une des plus proches (culturellement et linguistiquement) de la Polynésie ancestrale[1]. La tradition orale rapporte de riches liens avec Samoa : les souverains du royaume d'Alo, par exemple, sont originaires de Samoa (lignée de Fakavelikele). L'arrivée des samoans à Futuna se faisait de manière pacifique. Des similitudes dans les constructions ont été également observées. Cependant, Christophe Sand indique que Futuna était assez différente de Samoa, ayant gardé une autonomie culturelle et politique propre[1].

Chronologie détaillée de l'histoire wallisienne et futunienne pré-européenne[modifier | modifier le code]

Carte topographique en couleur de Uvea (Wallis). Les trois passes dans le lagon sont visibles sur la gauche (ouest)
Les premiers habitants de Uvea sont arrivés par l'ouest et se sont installés en face des trois passes dans le récif.

Uvea[modifier | modifier le code]

La date exacte du peuplement de Uvea (Wallis) fait débat. Daniel Frimigacci l'estime à 1300 av. J.-C.[19], tandis que pour Christophe Sand, les premiers habitants n'ont pu arriver avant 850 et 800 av. J.-C. à Wallis[20]. Ces premiers occupants se sont installés à Utuleve, sur la côte ouest, « en face des trois grandes passes dans le récif »[19] (passes Avatolu, Fuga'uvea et Fatumanini).

Bernard Vienne et Daniel Frimigacci divisent l'histoire d'Uvea en quatre périodes[Note 3] distinctes[VF 2],[V 2] :

  • Utuleve (1000 av. J.-C.- an mil) ;
  • Atuvalu (an mil - 1400) ;
  • Période des Forts (1400-1460) ;
  • Période dynastique (1460 jusqu'à aujourd'hui).

Utuleve : installation des premiers habitants[modifier | modifier le code]

La période dite Uteleve correspond à l'installation des premières populations Lapita vers 1300 av. J.C. Ces lapita résident en bord de mer. Lorsque les lapita cessent de décorer leurs poterie (on parle de la période d'Utuleve II), ils commencent à explorer et habiter le reste de l'île[V 3]. Néanmoins, la partie centrale et désertique de l'île, le toafa, n'a jamais été occupée et reste inhabitée.

Croissance démographique, transformations économiques et premières chefferies[modifier | modifier le code]

À partir de l'an 1000 de notre ère succède une deuxième période, appelée Atuvalu, qui dure jusqu'à 1400. Durant cette période, les Uvéens passent d'une économie tournée autour de la pêche et de la collecte à une économie centrée sur l'agriculture, en particulier la culture du taro. Les habitants se sédentarisent, en même temps qu'on observe une forte hausse de la population. Les terres étant devenues plus rares, on voit apparaître de grandes tarodières sur la côte est de Wallis. Ces transformations de l'espace et du système de production ont des répercussions sociales importantes. En effet, c'est à la même période que naît le royaume de Uvea avec une chefferie hiérarchisée[V 4]. Aux premières chefferies autonomes, au sud et au nord de l'île, succèdent les premiers « rois » (en wallisien hau) de Uvea. Il est difficile d'établir avec précision leur existence, mais ils sont très importants sur le plan symbolique, car ils fondent la royauté wallisienne. Ces rois plus ou moins mythiques sont tous enterrés dans un même lieu, Atuvalu (ce qui signifie en wallisien « les huit [rois] alignés »)[V 5].

Conquête tongienne de Uvea[modifier | modifier le code]

Comme le rappellent Bernard Vienne et Daniel Frimigacci, « Uvea n'a pas évolué en vase clos. Elle faisait partie intégrante d'un environnement insulaire »[V 6]. Ces relations avec les îles environnantes n'ont pas toujours été les mêmes, elles ont évolué au cours du temps et ont contribué à modeler l'histoire locale. Cependant, Wallis a une histoire intimement liée à celle de Tonga.

Photo en couleur d'un trilithe en pierre.
Le monument Ha'amonga 'a Maui, érigé à Tonga vers le XIIe siècle, aurait été construit par des tailleurs venus de Uvea.

Des tongiens arrivent durant la période d'Atuvalu et commencent à marquer l'île de leur influence. Ainsi, vers le XIIe siècle, les sources tongiennes mentionnent déjà un contrôle des îles de Uvea, Samoa, Fidji et même Rotuma[Sa 3]. Durant cette période, le Ha'amonga 'a Maui, un trilithe en pierre, est construit à Tongatapu. La tradition rapporte que les pierres ayant servi à sa construction auraient été transporté depuis Wallis[21],[22], mais pour Christophe Sand, ce seraient simplement des ouvriers wallisiens, réputés pour leur compétence, qui auraient érigé ce monument avec le corail présent sur l'île de Tongatapu[Sa 4]. Pour autant, on ne peut pas encore parler de contrôle direct de Tonga sur Wallis. C'est plutôt l'influence samoane qui prédomine à l'époque : la langue parlée à Uvea est encore très proche du samoan et on retrouve à Wallis de grandes constructions basaltiques surélevées, typiques des plateformes samoanes[Sa 5].

Kau'ulufonua fekai[modifier | modifier le code]

C'est avec le règne du Tu'i Tonga Kau'ulufonua fekai (autour du XVe siècle) que l'empire tongien s'étend. À la suite de l'assassinat de son père Takalaua, Kau'ulufonua lance une vaste expédition maritime pour retrouver les meurtriers. Partis de Tongatapu, les Tongiens s'emparent de Niuafo'ou, Niuatoputapu (encore indépendantes à l'époque) et retrouvent les assassins à Uvea, qu'ils punissent sévèrement[Note 4].

Kau'ulufonua fekai laisse à 'Uvea un gouverneur, Tauloko. Ce dernier s'installe à Ha'afuasia (est de l'île) et y est enterré, marquant pour Christophe Sand « une volonté délibérée, dès le départ, de mettre en place un système culturel reproduisant les traditions de Tongatapu »[Sa 6].

La période des forts[modifier | modifier le code]
Ruines du fort du Talietumu, à Kolonui, qui servit de résidence aux chefs tongiens.

Après Tauloko succède le Tu'i Tonga Ga'asialili. Il entreprend de conquérir l'île de Uvea et partage le territoire avec trois chefs : Hoko, Kalafilia et Fakate. C'est l'apogée de la présence tongienne à Wallis. Pour asseoir leur domination, les tongiens occupent et construisent de nombreux forts[Note 5], renforçant les défenses avec des pierres volcaniques. Le fort le plus important est celui de Kolonui, au sud d'Uvea, encore visible aujourd'hui après restauration dans les années 1970 ; d'autres forts existent autour du lac Lanutavake et à Utuleve. Les tongiens aménagent un grand réseau de routes pour relier toutes ces places défensives, signe d'une volonté de contrôler étroitement le territoire dans le district de Mu'a et de se protéger des chefferies indépendantes du nord (Hihifo). Cela montre également l'existence d'un pouvoir politique fort, capable de mobiliser la population wallisienne pour réaliser ces grands travaux[Sa 7]. Uvea doit en outre envoyer une sorte de tribut à Tongatapu lors de la fête des prémices (inasi), en particulier des huîtres perlières, spécialité wallisienne[Sa 8].

Cette période est dite des Forts et dure de 60 à 100 ans. Elle s'arrête vers 1500, avec la mise en place d'un système politique dynastique calqué sur le modèle tongien : une chefferie de type pyramidal, avec à sa tête un hau (que les Européens traduisent improprement par « roi »). C'est à partir de la période dynastique, vers 1500, que débutent les généalogies des rois successifs de Wallis (Lavelua).

Après avoir imposé son pouvoir à Uvea, Ga'asialili s'installe à Alofi sur le mont Kolofau et part à la conquête de Futuna, mais il est tué par les futuniens[23]. Sa mort déclenche une guerre de succession entre les différents chefs tongiens à 'Uvea : « de multiples lignages de nobles rivaux d'origine tongienne s'affrontèrent pour le contrôle du pouvoir au cours des générations suivantes »[Sa 9].

Résistances du nord : la guerre du Molihina[modifier | modifier le code]

Les tongiens ne parviennent pas pour autant à imposer totalement leur domination et doivent composer avec des chefs locaux wallisiens. En outre, toute la partie nord de Wallis, Hihifo, a résisté aux tongiens et a maintenu son autonomie. Cette résistance entraîne de nombreux conflits, dont la guerre du Molihina, « guerre d'indépendance (...) contre la domination politique tongienne » (Sand)[Sa 10]. Des combattants venus du village d'Alele se heurtent aux guerriers du sud rassemblés autour du Tui Agalau : les guerriers du nord sont massacrés à Utuleve, au lieu-dit To'ogatoto, « les marais sanglants ». En représailles, les tongiens massacrent tous les habitants d'Alele[24]. Ce récit de la tradition orale, recueilli par l'anthropologue Burrows en 1932, a surtout une valeur symbolique : en réalité, les conflits entre le nord et le sud se sont étendus sur de nombreuses années. La guerre mythique du Molihina et le massacre des marais sanglants constitue « l'un des épisodes les plus épiques » de la tradition orale wallisienne[25]. Tout au long de l'histoire wallisienne, le district de Hihifo se distingue du reste de Wallis : lieu de résistance à l'envahisseur tongien, le nord garde encore aujourd'hui, au XXe siècle, une volonté de se démarquer du sud de l'île d'Uvea[Sa 10].

Fin de l'emprise tongienne[modifier | modifier le code]

Environ un siècle après la conquête tongienne, Uvea prend progressivement son autonomie vis-à-vis de Tonga[26], jusqu'à ce qu'un des Tu'i Tonga proclame l'indépendance de l'île. Néanmoins, Vienne et Frimigacci écrivent : « Les relations entre Uvea et Tonga ne cesseront, semble-t-il, qu'à l'arrivée en Océanie des missions chrétiennes rivales, voire ennemies, rassemblées chacune sous les bannières catholique ou protestante. »[VF 3].

Interprétation des relations entre Wallis et Tonga[modifier | modifier le code]

L'histoire de Uvea se caractérise donc par une forte influence exercée par les Tonga. La chefferie et la « royauté » wallisiennes sont calquées sur le modèle tongien. Sur le plan linguistique, le wallisien a intégré de nombreux éléments au tongien, rendant sa classification difficile au sein des langues polynésiennes[27] : plus de la moitié du vocabulaire wallisien a été emprunté au tongien, selon Bruce Biggs[Sa 11]. Même si Uvea est indépendante du royaume des Tonga depuis environ 1500[VF 4], l'influence tongienne est resté forte jusqu'au XIXe siècle: les tongiens envoient des chefs dans leurs anciennes dépendances, renforçant les liens familiaux avec les chefs wallisiens. De même, certains récits de la tradition orale wallisienne relatent que Wallis aurait été peuplée originellement par trois tongiens[19] (alors que les recherches archéologiques ont prouvé que des habitants étaient là bien avant la présence tongienne).

Christophe Sand estime que dès le départ, les tongiens ont voulu imposer leur modèle culturel et asseoir leur domination politique et militaire sur toute l'île. Pour lui, il s'agit donc bel et bien d'une colonisation aux conséquences profondes sur la société wallisienne. Les tongiens imposent par exemple leurs rites funéraires, leur langue et leur organisation sociale : « tout indique, d'après les données des traditions orales et les structures archéologiques relevées, la mise en place d'une organisation coloniale dans le sud d'Uvea »[Sa 11].

À l'inverse, Bernard Vienne et Daniel Frimigacci réfutent le terme de « colonisation tongienne ». En effet Uvea n'a pas été intégrée politiquement dans l'espace tongien, et on ne peut d'ailleurs pas parler de Uvea comme une entité territoriale homogène : « son organisation s'apparente plutôt à celle d'une confédération de tribus plus ou moins autonomes et antagonistes »[V 7].

Relations de Uvea avec les autres îles de Polynésie et du Pacifique[modifier | modifier le code]

Outre ses relations avec Samoa, rapidement éclipsées par celles avec Tonga, Uvea a également entretenu des rapports avec les atolls de Tokelau et de Tuvalu, ainsi qu'avec Rotuma.

Vienne et Frimigacci indiquent que Uvea a également pu être le point de départ du peuplement de plusieurs exclaves polynésiennes aux îles Salomon[V 8] :

Enfin, les uvéens sont à l'origine du peuplement de l'île d'Ouvéa, dans les îles Loyauté (Nouvelle-Calédonie). Cette île est appelée Uvea lalo, « Uvea d'en bas », par opposition à 'Uvea mama'o, « Uvea lointaine » (du point de vue des habitants d'Ouvéa). Pour la linguiste Claire Moyse-Faurie, cette migration a eu lieu à une époque où l'influence tongienne était minime (au moins linguistiquement). À l'inverse, la migration vers Anuta « a dû avoir lieu à une époque plus récente, après que le faka'uvea ait subi l'influence du tongien »[28]

Les populations polynésiennes nées de ces grands voyages océaniques ont donné naissance à plusieurs langues polynésiennes descendant (plus ou moins directement) du wallisien : l'anuta, le tikopia, le rennell-bellona et le fagauvea.

Futuna[modifier | modifier le code]

Carte en marron et noir, montrant deux îles. Futuna, la plus grande, est en forme triangulaire. Légende en anglais.
Carte de Futuna et d'Alofi.

Ce qui caractérise Futuna, c'est surtout son éloignement et son isolement au sein de l'océan Pacifique. Ne possédant pas de lagon, Futuna est en effet difficile d'accès par bateau. Angleviel et Moyse-Faurie écrivent : « Avant même l'arrivée des Occidentaux, Futuna était perçue comme une île difficile d'accès et dont les habitants ne visitaient qu'occasionnellement leurs voisins »[29]. Néanmoins, Futuna a subi l'influence des îles Samoa. La langue samoane et la langue futunienne présentent des similitudes très fortes. De même, plusieurs conflits ont opposé les futuniens aux Tongiens. Futuna a également été en contact avec des îles de l'archipel des Fidji[VF 5].

L'histoire futunienne se divise en trois grandes périodes :

  • le temps de la « terre noire » (en futunien Kele 'Uli) (env. 800 av. J.-C. - 700) ;
  • le temps de la « terre ocre » (Kele Mea) (env. 700-1700) ;
  • le temps de la « terre brune » (Kele Kula) (1700-aujourd'hui).

Le temps de la terre noire[modifier | modifier le code]

Le temps de la « terre noire » (en futunien Kele 'Uli), correspondant à l'arrivée des premiers habitants à Futuna vers 800 av. J.C. et se termine vers l'an 700. On peut le comparer à la préhistoire[VF 6].

Le temps de la terre ocre[modifier | modifier le code]

Vient ensuite le temps de la « terre ocre » (Kele Mea), en référence à la terre ocre des plateaux montagneux sur lesquels la population futunienne s'installe : face à la poussée tongienne dans la région, les habitants sont forcés de se replier vers l'intérieur des terres et construisent de nombreux forts (kolo)[VF 7]. Vienne et Frimigacci en ont dénombré trente-cinq. À l'époque, Futuna est donc morcelée en de multiples groupes rivaux qui s'affrontent régulièrement, même si certains ont noué des alliances en cas de danger commun (les envahisseurs tongiens, par exemple)[VF 8]. Ainsi, les futuniens réussissent à repousser l'expédition de Kau'ulufonua fekai au XVe siècle[Sa 6]. Cette période, marquée par l'insécurité et plusieurs affrontements avec les tongiens, se termine vers 1700.

Le temps de la terre brune[modifier | modifier le code]

Enfin, la dernière période est celle de la « terre brune », (Kele Kula), en référence à la terre brune des tarodières : les habitants quittent les montagnes pour s'installer de nouveau en bord de mer[VF 6]. Durant cette phase, les différentes entités politiques indépendantes et rivales de Futuna vont progressivement s'unifier. Les différentes places fortes (kolo) se rassemblent autour de chefs. Lorsque les missionnaires maristes débarquent à Futuna en 1837, il ne reste plus que deux entités politiques rivales : le royaume de Sigave et celui de Tu'a, bientôt renommé en royaume d'Alo[VF 9].

La guerre de Vai (août 1839)[modifier | modifier le code]

La guerre de Vai est la dernière guerre que Futuna ait vécu. Elle fixe les frontières entre les deux royaumes et consacre la victoire du royaume d'Alo, dirigé par Niuliki. Profitant du passage d'un navire baleinier australien, les Futuniens des deux camps échangent des cochons contre des fusils, ce qui leur permet de disposer d'armes à feu pour la bataille qui se déroule le 10 août 1839 de part et d'autre de la rivière Vai. Le royaume de Alo en sort vainqueur (malo) et Sigave est pillé. Le missionnaire Pierre Chanel en est le témoin et soigne les nombreux blessés qui reviennent du champ de bataille[AngB 1]. Après la guerre du Vai, Niuliki devient roi de l'ensemble de Futuna jusqu'à sa mort en 1842[30].

Les deux royaumes coutumiers de Alo et de Sigave, avec à leur tête un 'aliki sau, sont reconnus officiellement lorsque Wallis-et-Futuna devient un territoire d'outre-mer en 1961.

Les Chinois (Tsiaina) à Futuna, une invention occidentale ?[modifier | modifier le code]

Carte des Philippines, montrant en rouge les îles Sangir.
Autour du XVIIe ou XVIIIe siècle, des populations venues d'Asie du Sud-Est (peut-être des îles Sangir, ici en rouge) débarquent à Alofi. La tradition futunienne les appelle Tsiaina. La réalité de cette migration est encore débattue.

Depuis environ 1875 circule à Futuna un récit repris dans la tradition orale futunienne : des Chinois, ayant fait naufrage, auraient débarqué vers le XVIIIe siècle sur l'île d'Alofi. Accueillis par la population futunienne, ils se métissèrent parmi les habitants et, selon les versions, leur apprirent de nouvelles techniques d'agriculture et de construction, mais finirent par être tous massacrés par les Futuniens. Cet épisode est resté dans la tradition orale futunienne comme le débarquement des « Chinois » (Tsiaina). Pour l'anthropologue E.G. Burrows, les Chinois étaient plus vraisemblablement des micronésiens (sans doute provenant des îles Marshall).

Volker Harms s'est livré à une analyse détaillé de cet épisode et a émis de forts doutes quant à son authenticité[31]. En recoupant les différentes sources, Harms conclut que cette tradition orale a été inventée de toutes pièces par les Européens[31]. La confusion vient sans doute du mot futunien Tsiaina, qui fit croire à un Occidental anglophone présent sur l'île qu'il s'agissait de la traduction de China (Chine) en anglais. De là fut créé l'histoire du débarquement des « Chinois » à Futuna[31].

Au contraire, Robert Langdon estime que ces Tsiaina ont bel et bien débarqué à Futuna, vers le XVIIe siècle[32]. Ils venaient probablement d'Asie du Sud-Est (peut-être des îles Sangir), leur voyage ayant été favorisé par le phénomène El Niño d'une intensité exceptionnelle cette année-là. Ce phénomène météorologique se caractérise par l'absence de pluie. En conséquence, les Tsiaina s'empressèrent de creuser un puits pour obtenir de l'eau, ce qui est confirmé par les différentes traditions orales. Pour Robert Landgon, ces Tsiaina ont apporté plusieurs innovations : le tambour en bois (le lali), une nouvelle manière de fabriquer le tapa (tissu végétal) et l'amélioration des techniques agricoles avec des tarodières irriguées. Langdon estime que ces Tsiaina, originaires d'une société asiatique hautement stratifiée, ont également introduit le langage honorifique dans la langue futunienne. Ces asiatiques ont eu une influence politique très forte à Futuna et plusieurs de leurs descendants sont partis dans les différentes îles de Polynésie, propageant ces innovations techniques et linguistiques aux îles alentour. Leur présence s'est étalée sur plusieurs générations[32].

Premiers contacts avec les Européens[modifier | modifier le code]

Premiers explorateurs européens[modifier | modifier le code]

Gravure en noir et blanc représentant une île montagneuse avec une frégate située à l'embouchure d'un fleuve. Un canot est entouré de petites pirogues ; un des hommes sur le canot tire un mousquet sur ses poursuivants
Cette gravure de 1618 montre l'équipage de Willem Scho