Savoyard (langue)

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Savoyard
Savoyâ / Savoyârd
Pays Drapeau de la France France
Région Drapeau de la Savoie (Région historique) Savoie
Nombre de locuteurs ± 25 000 (2022)[1]
Typologie syllabique
Classification par famille
Statut officiel
Régi par Institut de la langue savoyarde[2],[3]
Codes de langue
IETF frp[4]
Type vivante
Linguasphere 51-AAA-jd
Glottolog savo1253
Échantillon
Article premier de la Déclaration des Droits de l'Homme (voir le texte en français)
Savoyard (dialecte du pays de l'Albanais), et dialectes (dialecte du Val d'Arly,beaufortin) :

Artiklyo prômi

  • Graphie de Conflans : Artiklyo prômi
  • Albanais : Tô lô étre umin naisson libro è égalo ê dinyitâ è ê drè. É san fé dè rèzon è dè konchèssa è dèvan aji loz on avoué loz âtro djê on èspri dè fratarnitâ.
    • Val d'Arly, Beaufortin : To louz omou néchan abada é égale in dinyitâ é in drè. I san fé de rézon é de konchansa é dèvan aji louz yon aoué louz âtre dyan/dyin on èsprè de fratérnitâ.
    • Haute tarentaise : Tu luz omo nèsson libro è égalo in dinyita è in drèy. I son' fèy dè rèyjoun è dè konchènsi è dèyvon ajèy luz oun avoèy luz atrè dè oun èspri dè fraternita.
    • Graphie ORB : Articllo premiér
Tôs los étres humens nèssont libros et égala en dignitât et en drêt. Els sant fét de rêson et de conscience et dêvant agir los on avouéc los ôtros diens un èsprit de fratèrnitât.
Carte
Image illustrative de l’article Savoyard (langue)
Répartition géographique du savoyard.

Le savoyard (savoyâ ou savoyârd [sa.vɔ.ˈjaː]) est le nom donné aux dialectes de la langue franco-provençale (ou arpitane) parlés en Savoie (Savouè). Il s'agissait de la variante franco-provençale la plus parlée en France, avec un nombre de locuteurs estimé à 35 000 personnes en 1988. Selon plusieurs sondages, la proportion de la population savoyarde parlant cette langue était en 2001 de 7 %[5], dont seulement 2 % des savoyards l'utilisaient quotidiennement, majoritairement dans les milieux ruraux[6].

Le savoyard est compris dans la Charte européenne des langues minoritaires en tant que dialecte du franco-provençal. Cependant, le savoyard est lui-même subdivisé en de nombreux sous-dialectes dans presque toutes les grandes vallées.

Ce dialecte du franco-provençal a vu son nombre de locuteurs fortement diminuer depuis l'Annexion de la Savoie à la France en 1860, notamment à cause de l'interdiction de le parler à l'école, le service militaire, ainsi que les deux conflits mondiaux[7]. Le XXe siècle a vu le nombre de locuteurs passer de la quasi-totalité de la population des campagnes savoyardes à quelques dizaines de milliers.

Cependant au cours des années 1980, un regain d’intérêt a existé avec l'organisation de nombreuses fêtes internationales du franco-provençal[8], la création de plusieurs associations ayant pour but de sauvegarder cette langue, notamment, le Groupe de Conflans, et l'Institut de la langue savoyarde, la publication de nombreux ouvrages (monographies, livres, romans), ainsi que l'enseignement — quoique difficile, du fait de l'absence de reconnaissance comme langue régionale — présent dans quelques écoles. De nombreux échanges entre élèves ayant pris cette option sont organisés chaque année, surtout lors du Concours Constantin-Désormeaux[9] visant à récompenser les meilleurs travaux des élèves dans cette langue. La signalisation bilingue commence elle aussi à être présente en Savoie à l'entrée des agglomérations.

La manière dont doit évoluer le savoyard, quant à une possible pseudo-uniformisation, une orthographe commune à l'ensemble de l'aire franco-provençale, est cependant sujette à de nombreuses controverses entre plusieurs courants. Ces courants sont le plus souvent divisés en deux groupes. Les patoisants, groupe majoritairement formé de retraités, qui, pour la plupart, sont des locuteurs natifs, ayant inconsciemment appris la langue dès leur plus jeune âge avec leurs parents, souvent en ce qui concerne la vie rurale, mais qui, pour une partie d'entre eux, ne se sont « réintéressés » au savoyard qu'à un âge assez tardif[10] : pour la majorité, ils sont pour une conservation de la langue telle qu'elle est, avec ses variantes, préférant utiliser la graphie de Conflans (ou de type semi-phonétique). L'autre groupe, informel, est composé des néo-locuteurs, dont le groupe le plus représenté est celui dit des arpitans. La plupart de ceux-ci exercent un métier intellectuel et n'ont appris la langue que tardivement, de manière volontaire[11]. À la différence des patoisants, ils n'utilisent le terme patois qu'avec les locuteurs natifs, car ils estiment que pour le grand public, le terme patois a une connotation péjorative (ce serait une sous-langue), et n'utilisent que modérément le mot franco-provençal qui est de nature confuse. Ils préfèrent le néologisme arpitan et promeuvent la diffusion d'une orthographe normalisée supradialectale (ORB), sans rejeter les graphies phonétiques, qui « seront toujours utiles pour l’apprentissage de la langue orale, car elles remplissent le rôle de l’alphabet phonétique international habituellement utilisé dans l’apprentissage des langues »[12].

Histoire[modifier | modifier le code]

Le savoyard est un dialecte du franco-provençal, qui lui-même est une langue gallo-romane issue de différentes langues, dont les plus importantes sont le Latin et les dialectes gaulois, ainsi qu'un substrat burgonde — dont l'importance au sein de la langue est encore discutée. Né durant l'époque carolingienne[13] en même temps que le reste de l'aire linguistique franco-provençale, le savoyard va connaitre différentes évolutions et scissions qui forgeront la langue savoyarde actuelle et ses différentes variantes selon les vallées.

Origines de la langue savoyarde, et évolution durant le haut Moyen Âge[modifier | modifier le code]

Les premières traces du savoyard remontent à l'époque carolingienne, lors de la division qu'il y eut entre l'aire linguistique d’oïl et l'aire linguistique franco-provençale. L’événement à l'origine de cette séparation est le changement de capitale qui s'opéra sous le règne de Clovis (règne : 481/482)[14]. La capitale de la Gaule passe alors de Lyon (Lugdunum) à Paris et c'est donc à la suite de cet événement, pouvant paraître insignifiant, que les deux aires linguistiques se séparèrent. Les évolutions de la langue en pays d'oïl ne sont donc plus forcément acceptées par l'aire franco-provençale. On peut noter trois refus majeurs datant de cette époque, qui accélèrent la naissance du franco-provençal. Le plus notable, et sans doute le plus marquant, fut le déni de l'aire franco-provençale d'accepter l'oxytonisme généralisé, présent en langue d'oïl[15]. La grande majorité des voyelles finales — principalement le a, marque du féminin — restèrent atones (exemple : le latin rosa donne rose en français, et reu/rouza en savoyard).

Carte des dialectes de l'arpitan.
Le savoyard fait partie du domaine linguistique arpitan/francoprovençal.

Sur le principal substrat du savoyard qu'est le latin, des traces celtiques et gauloises d'une latinisation tardive restèrent présentes dans la langue savoyarde. En effet, la principale différence entre l'occitan et le franco-provençal est la date de latinisation qui, pour le deuxième, fut plus tardive que le premier. Découlant de cela, le substrat celtique est bien plus important dans le domaine franco-provençal que dans le domaine occitan, comme le montrent les nombreux mots issus de dialectes gaulois incorporés dans la langue. On peut citer comme exemple le mot BLIGITICARE, signifiant « traire » en gaulois, qui en savoyard a donné bloshyi / blotsyé / blostyé [bləθi] ou [bləstje], signifiant « finir de traire », ou « traire une seconde fois » — on peut constater, comme pour beaucoup d'autres formes gauloises restées en savoyard, l'évolution péjorative de ce mot, "barbare" au yeux du latin. Ce terme est, entre autres, à l'origine du nom reblochon, un fromage savoyard. Le mot savoyard nant (rivière), qui est aujourd'hui très présent dans la toponymie savoyarde, est lui aussi un bon exemple du substrat celtique, que l'on retrouve dans les langues brittoniques sous des formes équivoques, comme le breton nant (canal). Le haut Moyen Âge fut aussi le théâtre d'invasions barbares en Savoie, principalement burgondes, qui apportèrent un nombre plus ou moins important de mots au savoyard, comme tasson (blaireau), fata (poche)… Seulement, au vu des faibles connaissances que les linguistes ont de la langue burgonde, il est difficile de déterminer avec exactitude quelle est l'étendue du substrat burgonde. Il est donc l'objet de vives controverses.

Il faut donc noter des emprunts aux langues celtiques (ex: nant ou nan = ruisseau, torrent) et burgondes mais aussi aux langues voisines comme l'occitan, et quelques-uns à la langue d'oïl. Le principal substrat du savoyard, et des autres langues romanes, reste néanmoins le latin (voyelles finales latines inaccentuées, comme dans le nom de village Giettaz se dit [ðjɛta], le « a » final n'étant presque pas entendu).

Du Moyen Âge au XIXe siècle[modifier | modifier le code]

Évolution du C+A latin en Savoyard.

L'entrée dans cette longue période historique se fait par une période d'évolution et d'éclatement linguistique forte (non endémique à l'aire franco-provençale) et floue dans le cas du savoyard[16]. En effet, les évolutions entre le domaine d'oïl et le domaine franco-provençal se font soit de manière plus ou moins similaire, soit totalement différente. Au XIIe siècle, une évolution notable est présente dans les deux domaines de manière similaire, il s'agit de l'amuïssement du s préconsonantique devant une consonne sourde (ex : tsasté > tsaté). D'autre part, la scission entamée entre les deux groupes linguistiques sous le règne de Clovis s'est en partie accentuée au XIIIe siècle, notamment par la réduction des consonnes affriquées en ancien français [d͡ʒ] en [ʒ] (issus du J,D + Y ; G +A latin) ; le [t͡s] en [s] ; et le [t͡š] en [š] (issus du C + I,E latin). Ainsi, les mots latin centus et vocem vont à partir du XIIIe siècle évoluer en français de la manière suivante : diŭrnus donne djorn > jorn > jour et centus donne > tsentus > cent ; alors qu'en franco-provençal, on observe un schéma différent, comme suit : cinque > tsin(q) > þẽ (θẽ)> thin, et djor > dzor > zor , certains dialectes ayant poursuivi en z, ð (son de the anglais), à l’exception de certains endroits de l'aire franco-provençale qui ont conservé plus ou moins longtemps les formes en dz et ts[17]. C'est en cela qu'un flou linguistique persiste, car les [dz] et [ts] n'ont pas subsisté sous cette forme identique dans toute la Savoie.

Effectivement, comme le montre la carte ci-contre, le .footer { position: fixed; left: 0; bottom: 0; width: 100%; background-color: white; color: black; text-align: center; }