Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres/8/Pythagore

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J. H. Schneider, Libraire (Tome IIp. 205-237).
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Livre VIII


LIVRE VIII.

PYTHAGORE.



Après avoir parlé de la Philosophie Ionique qui dut son commencement à Thales, & des hommes célebres qu’elle a produits, venons à la Secte Italique, dont Phytagore fut le fondateur. Hermippe le dit fils de Mnésarque, Graveur de cachets ; Aristoxene le fait naître Tyrrhénien, dans l’une des Isles dont les Athéniens se mirent en possession lorsqu’ils en eurent chassé les Tyrrhéniens ; quelques-uns lui donnent Marmacus pour pere, pour ayeul Hippasus, fils d’Eutyphron, & pour bisayeul Cléonyme, fugitif de Phliunte. Ils ajoutent que Marmacus demeuroit à Samos ; que pour cette raison Pythagore fut surnommé Samien ; qu’étant venu de là à Lesbos Zoïle son oncle paternel le recommanda à Phérecyde ; qu’il y fabriqua trois coupe d’argent, & qu’Il en fit présent à chacun des trois prêtres d’Égypte. Il eut des freres, dont l’aîné se nommoit Eunome, & le puiné Tyrrhenus. Son domestique s’appelloit Zamolxis, auquel, dit Hérodote, sacrifient les Grecs, dans la supposition qu’il est Saturne.

Pythagore fut donc disciple de Phérecyde de Syros, après la mort duquel il se rendit à Samos & y étudia sous Hermodamante, déjà avancé en âge, & neveu de Créophile. Jeune & plein d’envie de s’instruire, Pythagore quitta sa patrie, & se fit initier à tous les mysteres, tant de la religion des Grecs, que les religions étrangeres. Il passe enfin en Égypte, muni de lettres de recommandation que Plycrate lui donne pour Amasis. Antiphon, dans l’ouvrage où il parle de ceux qui se sont distingués par la vertu, rapporte qu’il apprit la langue Egyptienne, & fréquenta beaucoup les Chaldéens. Etant en Crete avec Epimenide, il descendit dans la caverne du mont Ida, & après être entré dans les sanctuaires des Temples d’Égypte, oz il s’instruisit des choses les plus secrettes de la religion, il revint à Samos, qu’il trouva opprimée par Polycrate. Il en sortit pour aller se fixer à Crotone en Italie, où il donna des Loix aux Italiotes[1]. Il se chargea du maniment des affaires publiques, qu’il administra conjointement avec ses disciples, qui étoient au nombre de trois cens ou à peu près ; mais avec tant de sagesse, qu’on pouvait avec justice regarder leur gouvernement comme une véritable Aristocratie.

Héraclide du Pont rapporte que Pythagore disoit ordinairement qu’autrefois il fut AEthalide, & qu’on le crut fils de Mercure ; que Mercure lui aiant promis de lui accorder la grace qu’il souhaiteroit hormis celle d’être immortal, il lui demanda le don de conserver la mémoire de tout ce qui lui arriverait pendant sa vie & après sa mort ; qu’effectivement il se rappelloit toutes les choses qui s’étoient passées pendant son séjour sur la terre, & qu’il se réservoit ce don de souvenir pour l’autre monde ; que quelque tems après l’octroi de cette faveur, il anima le corps d’Euphorbe, lequel publia qu’un jour il devint AEthalide ; qu’il obtint de Mercure que son ame voltigeroit perpétuellement de côté & d’autre ; qu’elle s’insinueroit dnas tels arbres ou animaux qu’il lui plairoit ; qu’elle avoit éprouvé tous les tourmens qu’on endure aux Enfers, & les supplices des autres ames détenues dans ce lieu. A ce détail Pythagore ajoutoit qu’Euphorbe étant mort, son ame passa dans Hermotime ; qui, pour persuader la chose, vint à Branchide, où étant entré dans le Temple d’Apollon, il montra le bouclier y attaché par Ménelas ; que ce fut à son retour de Troye qu’il consacre à ce Dieu le bouclier, déjà tout pourri, & dont le tems n’avoit épargné que la face d’yvoire ; qu’après le décès d’Hermotime, il revêtit le personnage de Pyrhus, pêcheur de Delos ; quelui Pythagore avoit présent à l’esprit tout ce qui s’étoit fait dans ces différentes métamorphoses ; c’est-à-dire qu’en premier lieu il avoit été AEthalide, en second lei Euphorbe, en troisieme lieu Hermotime, en quatrieme lieu Pythagore, & qu’enfin il avoit la mémoire récente de tout ce qu’on vient de dire.

Il y en a qui prétendent que Pythagore n’a rien écrit ; mais ils se trompent grossiérement, n’eût-on d’autre grand qu’Héraclide le Physicien, il déclare ouvertement que Pythagore, fils de Mnésarque, s’est plus que prsonne exercé à l’histoire, & qu’ayant fait un choix des écrits de ce genre, il a donné des marques de science, de profonde érudition, & fourni des modèles de l’art d’écrire. Héraclide s’exprimoit en ces termes, parce que dans l’exorde de son Traité de Physique Pythagore se sert de ces expressions : Par l’air que je respire, par l’eau que je bois, je ne souffrirai pas qu’on méprise cette science. On attribue trois ouvrages à ce Philosophe, un de l’Institution, un de la Politique, & un de la Physique ; mais ce qu’on lui donne, appartient à Lysis de Tarente, Philosophe Pythagoricien, qui, s’étant réfugié à Thebes, fut précepteur d’Epaminondas. Heralide, fils de Sérapion, dit dans l’Abrégé de Sotion que Pythagore composa premiérement un Poëme sur l’Univers ; ensuite un Discours des Mysteres, qui commence par ces mots : Jeunes gens, respectez en silence ces choses saintes ; en troisieme lieu un Traité sur l’Ame ; en quatrieme lieu sur la Pieté ; en cinquieme lieu un autre qui a pour titre, Helothale, pere d’Epicharme de Co ; en sixieme lieu un ouvrage, intitulé Crotone, & d’autres. Quant au Discours mystique, on le donne à Hippasus, qui le composa exprès pour décrire Pythagore. IL y a encore plusieurs ouvrages d’Aston de Crotone, qui ont couru sous le nom du meme Philosophe. Aristoxene assûre que Pythagore est redevable de la plûpart de ses dogmes de Morale à Thémistoclée, Prêtresse de Delphes. Ion de Chio, dans ses Triagmes[2], dit qu’ayant fait un Poëme, il l’attribua à Orphée. On veut aussi qu’il soit l’auteur d’un ouvrage, intitulé Considerations, & qui commence par ces mots : N’offenses personne. Sosicrate, dans ses Successions, dit que Pythagore, interrogé par Léonte, Tyran de Phliasie, qui il étoit, lui répondit : Je susi Philosophe, & qu’il ajouta que la vie ressemblait aux solemnités des Jeux publics où s’assembloient diverses sortes de personnes, les uns pour disputer le prix, les autres pour y commercer, d’autres pour être spectateur & pour réformer leurs mœurs, en quoi ils sont les plus louables ; qu’il en est de même de la vie ; que ceux-ci naissent pour être esclaves de la gloire, ceux-là des richesses qu’ils convoitent, & d’autres, qui, n’ayant d’ardeur que pour la vérité, embrassent la Philosphie. Ainsi parle Sosicrae ; mais dans les trois opuscules dont nous avons fait mention, ce propos est attribué à Pythagore, comme l’ayant dit en général. Il desapprouvait les prieres que l’on adressoit aux Dieux pour soi-même en particulier, à cause de l’ignorance oz l’on est de ce qui est utile. Il appelle l’yvresse un Mal caus. à l’esprit. Il blâmoit tout excès, & disoit qu’il ne faut ni excéder dans le travail, passer les bornes dnas les alimens. Quant à l’amour, il en permettoit l’usage en hyver, le défendoit absolument en été, & consentoit qu’on s’y livrât, mais fort peu, en automne & au printems. Néanmoins il s’expliquoit sur le tout qu’il n’y avoit aucune saison dans laquelle cette passion ne fût nuisible à la santé, jusque-là qu’aiant été requis de dire son sentiment sur le tems qu’il croyoit le plus propre à satisfaire cette passion, il répondit, Celui où vous formerez le dessein de vous énerver.

Il partageoit de cette maniere les différens tems de la vie. Il donnoit vingt ans à l’enfance, vingt à l’adolescence, vingt à la jeunesse, & autant à la veillesse, ces différens âges correspondant aux saisons, l’enfance au printems, l’adolescence à l’été, la jeunesse à l’automne, la vieillesse à l’hyver. Par l’adolescence Pythagore entendoit l’âge e puberté, & l’âge viril par la jeunesse. Selon Timée, il fut le premier qui avança que les amis doivent avoir toutes choses communes, & qui dépeignit l’amitié une Egalité de biens & de sentimens. Conformément au principe du Philosophe, ses disciples se dépouilloient de la propriété de leurs biens, mettoient leurs facultés en masse, & s’en faisoient une fortune à laquelle chacun avoit part avec autant de droit l’un que l’autre. Il falloit qu’ils observassent un selince de cinq ans, pendant lesquels ils ne devoient être qu’attentifs à écouter. Aucun n’étoit admis à voir Pythagore qu’après cette épreuve finie. Alors ils étoient conduits à sa maison, & avoient la permission de fréquenter son école. Hermippe, dans son deuxieme sur Pythagore, assûre qu’ils ne se servoient point de planches de cyprès pour la construction de leurs sépulchres, par scrupule de ce que le sceptre de Jupiter étoit fait de ce bois.

Pythagore passe pour avoir été fort beau de sa personne ; tellement que ses disciples croyoient qu’il étoit Apollon, venu des régions Hyperborées. On raconte qu’un jour étant deshabillé, on lui vit une cuisse d’or. Il s’est même trouvé des gens qui n’ont point hésité de soutenir que le fleuve Nessus l’appella par son nom pendant qu’il le traversoit. On lit dans Timée, livre dixieme de ses Histoires, qu’il disoit que les filles, qui habitent avec des hommes sas changer d’état, doivent être censées Déesses, Vierges, Nymphes, & ensuite nommées Matrones. Anticlide, dans son deuxieme livre d’Alexandre, veut qu’il ait porté à sa perfection la Géometrie, des premiers élemens de laquelle Moeris avoit été l’inventeur ; qu’il s’appliqua sur-tout à l’Arithmerique qui fait partie de cette science, & qu’il trouva la regle d’une corde[3]. Il ne négligea pas non l’étude de le Médecine. Apolodore le Calculateur rapporte qu’il immola une Hécatombe lorsqu’il eut découvert que le côté de l’hypotenuse du traigle rectangle est égal aux deux autres ; sur quoi furent composés ces vers : Pythagore trouva cette fameuse ligne pour laquelle il offrit aux Dieux un grand sacrifice en actions de graces.

On pretend aussi qu’il fut le premier qui forma des Athletes, en leur faisant manger de la viande, & qu’il commença par Eurymene, dit Phavorin dans le troisieme livre de ses Commentaires. Cet Auteur ajoute, dans le huitieme livre de son Histoire diverse, que jusqu’alors ces gens ne s’étoient nourris que de figues seches, de fromages mous & de froment. Mais d’autres soutiennent que ce fut Pythagore le Baigneur qui prescrivit cette nouriture aux Athletes, & non celui-ci, lequel, tant s’en faut qu’il leur eût ordonné de se repaître de viande, défendoit au contraire de tuer les animaux, comme ayant en common avec les hommes un droit par rapport à l’âme, dont ils sont doués aussi bien que nous. Rien n’est plus fabuleux que ce conte ; mais ce qu’il y a de vrai, c’est qu’il recommandoit l’abstinence de toute viande, afin que les hommes s’accoutumassent à une maniere de vivre plus commode, qu’ils se contentassent d’alimens sas apprêt, qu’ils s’accommodassent de mêts qui n’eussent pas besoin de passer par le feu, & qu’ils apprissent à étancher leur soif en ne bûvant que de l’eau claire. Il insistoit d’autant plus sur la nécessité de sustenter le corps de cette maniere, qu’elle conttribuoit à lui donner de la santé & à aiguiser l’esprit. Aussi ne pratiquoit-il ses actes de piété qu’à Delos devant l’autel d'Apollon le Pere, Placé derriere l’Autel des Cornes, Parce qu’on n’y offroit que du froment, de l’orge, des gâteux sas feu, & qu’on n’y immoloit aucune victime, dit Aristote dans sa République de Delos. Il a encore le nom d’avoir été le premier qui avança que l’ame change alternativement de cercle de nécessité, & revêt différemment d’autres corps d’animaux.

Selon Aristoxene le Musicien, il fut encore celui qui avant tout autre introduisit parmi les Grecs l’usage des poids & des mesures. Parmenide est une autre garand qu’il dit le premier que l’étoile du matin & celle du soir sont le même astre. Pythagore étoit en si grande admiration, que ses disciples appelloient ses discours autantde voix divines, & lui-même a écrit quelque part dans ses œuvres qu’il y avoit deux cens sept ans qu’il étoit venu de l’autre monde parmi les hommes. Ses disciples lui demeuroient constamnient attach.s, & sa doctrine lui attiroit de tous côtés une foule d’auditeurs, de Lucques, d’Ancone & de la Pouille, sans même en excepter Rome. Ses dogmes furent inconnus jusqu’au tems de Philolaus, le seul qui publia ces trois fameux ouvrages que Platon ordonna qu’on lui achetât pour le prix de cent mines. On ne lui comptoit pas moins de six cens disciples, qui venoient de nuit prendre ses lecons ; & quelques-uns avoient mérité d’être admis à le voir, ils en écrivoient à leurs amis comme s’il avoient à leur faire part du grand bonheur qui eût pû leur arriver. Au rapport de Phavorin dans ses Histoires diverses, les habitans de Metapont appelloient sa maison le Temple de Cérès, & la petite rue, oz-elle étoit situ.e, un Endroit cpnsacré a Muses. Au reste les autres Pythagoriciens disoient qu’il ne falloit point divulger toutes choses à tout le monde, comme s’exprime Aristoxene dans le dixieme livre de ses Loix d’Institution, où il remarque que Xenophile Pythagoricien étant interrogé comment on devoit s’y prendre pour bien élever un comment on devit s’y prendre pour bien élever un enfant, il érpondit qu’il falloit qu’il fût né dans une ville bein gouvernée. Pythagore forma en Italie plusieurs grands hommes célebres par leur vertu, entre autre les Législateur Zaleucus & Charondas. Il étoit sur-tout zélé partisan de l’amitié, & s’il apprenoit que quelqu’un participoit à ses symboles, aussitôt il recherchoit sa compagnie & s’en faisoit un ami.

Voici quels étoient ces symboles : Ne remuez point le feu avec l’épée. Ne passez point par-dessus la balance. Ne vous asséyez pas sur le boisseau. Ne mangez point votre cœur. Otez les fardeaux de consert, mais n’aidez pas à les imposer. Ayez toujours vos couvertures pliées. Ne portez pas l’image de Dieu enchassée dans votre anneau. Enfouissez les traces de la marmite dans les cendres. Ne nettoyez pas votre siége avec de l’huile. Gardez-vous de lâcher de l’eau, le visage tourné vers le soleil. Ne marchez point hors du grand chemin. Ne tendez pas legérement la main droite. Ne vous logez point sous un toit où nichent des hirondelles. Il ne faut pas nourrir des oiseaux à ongles crochus. N’urinez ni sur les rognures de vos ongles, ni sur vos cheveux coupés, & prenez garde que vous n’arrétiez le pied sur les unes & les autres. Détournez-vous d’un glaive pointu. Ne revenez pas sur les frontières de votre pays, après en être sorti. Voici l’explication de ces expressions figurées. Ne remuez pas le feu avec l’épée signifie que nous ne devons pas exciter la colere & l’indignation de gens plus puissans que nous. Ne passez point par-dessus la balance, veut dire qu’il ne faut pas transgresser l’équité & la justice. Ne vous asséyez pas sur le boisseau ; c’est à-dire qu’on doit prendre également soin du présent & de l’avenir, parce que le boisseau[4] est la mesure d’une portion de nourriture pour un jour. Ne mangez point votre cœur signifie qu’il ne faut pas se laisser abattre par le chagrin & l’ennui. Ne retournez point sur vos pas, après vous être mis en voyage, est un avertissement qu’on ne doit point regretter la vie lorsqu’on est près de mourir, ni être touché des plaisirs de ce monde. Ainsi s’expliquent ces symboles, & ceux qui les suivent ; mais auxquels nous ne nous arrêterons pas plus longtems. Pythagore défendoit sur-tout de manger du rouget & de la seche ; défense dans laquelle il comprenoit le cœur des animaux & les fêves. Aristote y ajoute la matrice des animaux & le poisson nommé Mulet. Pour lui, comme le présument quelques-uns, il ne vivoit que de miel, ou de rayons de miel avec du pain, & ne goutoit d’aucun vin pendant le jour. La plûpart du tems il mangeoit avec son pain des kegumes crûs ou bouillis, & rarement des choses qui venoient de la mer. Il portoit une robe blanche, qu’il avoit toujours soin de tenir propre, & se servoit de couvertures de laine de même couleur, l’usage de la toile n’ayant point encore été introduit dans ces endroits-là. Jamais on ne le surprit en gourmandise, ni en débauche d’amour, ou en yvresse. Il s’abstenoit de rire aux dépens d’autrui, & savoit si bien réprimer la colere, qu’elle n’eut jamais assez de force sur sa raison pour le réduire à frapper personne, esclave ou non.

Il comparoit l’instruction à la maniere dont les cicognes nourissent leurs petits. Il ne se servoit que de cette partie de la divination qui consiste dans les présages & les augures, n’emploiant jamais celle qui se fait par le feu, hormis l’encens que l’on brule dans les sacrifices sans victimes. Sa coutume, dit-on, étoit de n’offrir que des coqs & des chevreaux de lait, de ceux qu’on appelle tendres ; mais aucun agneau. Aristoxene rapporte qu’il permettoit de manger toutes sortes d’animaux, excepté le bœuf qui sert au labourage, le belier & la brebis.

Le même Auteur, ainsi que nous l’avons déjà rapporté, dit que Pythagore tenoit ses dogmes de Themistoclée, Prêtresse de Delphes. Jérôme raconte qu’il descendit aux Enfers ; qu’il y vit l’ame d’Hésiode attachée à une colomne d’airain & grinçant les dents ; qu’il y apperçut encore celle d’Homere pendue à un arbre, & environnée de serpens, en punition des choses qu’il avoit attribuées aux Dieux ; qu’il y fut aussi témoin des supplices infligés à ceux qui ne s’acquittent pas envers leurs femmes des devoirs de maris ; & que par tous ces recits Pythagore se rendit fort respectable parmi les Crotoniates. Aristippe de Cyrene observe dans son traité de Physiologie que le nom de Pythagore, donné à ce Philosophe, fait allusion à ce qu’il passoit pour dire la vérité, ni plus ni moins qu’Apollon Pythien lui-même. On dit qu’il recommandoit à ses disciples de se faires ces questions à chaque fois qu’ils rentroient chez eux : Par où as-tu passé ? qu’as-tu fait ? quel devoir as tu nègligé de remplir ? Il défendoit d’offrir aux Dieux des victimes égorgées, & vouloit qu’on ne fit ses adorations que devant des Autels qui ne fessent pas teints du sang des animaux. Il interdisoit les juremens par des Dieux ; juremens d’autant plus inutiles, que chacun pouvoit mériter par sa conduite d’en être cru sur sa parole. Il vouloit qu’on honorât les vieillards, parce que les choses, qui ont l’avantage de la priorité de tems, exigent plus d’estime que les autres, comme dans la nature le lever du soleil est plus estimable que le coucher, dans le cours de la vie son commencement plus que sa fin, dans l’existence la génération plus que la corruption. Il recommendoit de réserver les Dieux avant les Démons[5], les Héros plus que les mortels, & ses parens plus que les autres hommes. Il disoit qu’il faut converser avec ceux-ci de maniere que d’amis il ne deviennent pas ennemis ; mais tout au contraire que d’ennemis on s’en fasse des amis. Il n’approuvoit pas qu’on possedât rien en particulier, exhortoit chacun à contribuer à l’exécution des Loix, & à s’opposer à l’injustice.

Il trouvoit mauvais que l’on gâtât ou détruisit les arbres dans le tems de la maturité de leurs fruits, & que l’on maltraitât les animaux qui ne nuisent point aux hommes. Il inculquoit la pudeur & la piété, & vouloit qu’on tint un milieu entre la joye excessive & la tristesse ; qu’on évitât de trop s’engraisser le corps ; que tantôt on interrompît les voyages, & que tantôt on les reprit ; qu’on cultivât sa mémoire ; qu’on ne dit & ne fît rien dans la colere ; qu’on respectât toutes sortes de divinations ; qu’on s’exerçât à jouer de la lyre ; & qu’on aimàt à chanter les louanges des Dieux & des grands hommes.

Pythagore excluait les fêves des alimens, parce qu’étant spiritueuses, elles tiennent de la nature de ce qui est animé. D’autres prétendent que si on en mange, elles rendent le ventre plus leger, & les représentations, qui s’offrent à l’esprit pendant le sommeil, moins grossieres & plus tranquilles.

Alexandre, dans ses Successions des Philosophes dit avoir lû dans les Commentaires des Pythagoriciens ; que l’Unité est le principe de toutes choses ; que de là est venue la Dualité qui est infinie, & qui est sujette à l’Unité comme à sa cause, que de l’Unité & de la Dualité infinie proviennent les nombres, des nombres les points, & des points les lignes ; que des lignes procedent les figures planes, des figures planes les solides, des solide les corps, qui ont quatre élemens, le feu, l’eau, la terre & l’air ; que de l’agitation & des changemens de ces quatre élemens dans toutes les parties de l’Univers résulte le monde, qui est animé, intellectuel & sphérique, ayant pour centre la terre, qui est de même figure & habitée tout autour ; qu’il y a des Antipodes ; qu’eux & nous marchons pieds contre pieds ; que la lumiere & les ténebres, le froid & le chaud, le sec & l’humide sont en égale quantité dans le monde ; que qaund la portion de chaleur prédomine, elle amene l’été, & que lorsque la portion de froidure l’emporte sur celle de la chaleur, elle cause l’hyver ; que si ces portions de froid & de chaud se trouvent dans un même dégré de proportion, elles produisent les meilleures saisons de l’année ; que le printems, où tout verdit, est sain, & que l’automne, où tout desseche, est au contraire à la santé ; que même par rapport au jour, l’aurore ranime par-tout la vigueur, au-lieu que le soir répand sur toutes choses un langueur qui le rend plus mal-sain ; que l’air, qui environne la terre, est immobile, propre à causer des maladies, & à tuer tout ce qu’il renferme dans son volume ; qu’au contraire celui, qui est au-dessus, agité par un mouvement continuel, n’ayant rien que de très pur & de bienfaisant, ne contient que des êtres tout à la fois immortels & divins ; que le soleil, la lune & les autres astres sont autant de Dieux par l’excès de chaleur qu’ils communiquent, & qui est la cause de la vie ; que la lune emprunte sa lumière du soleil ; que les hommes ont de l’affinité avec les Dieux, en ce qu’ils participent à la chaleur ; que pour cette raison la Divinité prend soin de nous ; qu’il y a une destinée pour tout l’Univers en général, pour chacune de ses parties en particulier & qu’elle est le principe du gouvernement du monde ; que les rayons du soleil pénetrent l’éther froid & l’éther épais. Or ils appellent l’air l’éther froid, & donnent le nom d’éther épais à la mer & à l’humide. Ils ajoutent que ces rayons du soleil percent dans les endroits les plus profonds, & que par ce moyen ils vivifient toutes choses ; que tout ce qui participe à la chaleur est doué de vie ; que par conséquent les plantes sont animées, mais qu’elles n’ont pas toutes une ame ; que l’ame est une partie détachée de l’éther froid & chaud, puisqu’elle participe à l’éther froid ; qu’elle différe de la vie en ce qu’elle est immortelle, ce dont elle est détachée, étant de même nature ; que les animaux s’engendrent les uns des autres par le moyen de la semence, mais que celle, qui naît de la terre, n’a point de consistence ; que la semence est une distillation du cerveau, laquelle contient une vapeur chaude ; que lorsqu’elle est portée dans la matrice, les matieres grossieres & le sang, qui viennent du cerveau, forment les chairs, mais que la vapeur, qui accompagne ces matieres, constitue l’ame & les sens ; que le premier assemblage des parties du corps se fait dans l’espace de quarante jours, & qu’après que, suivant des regles de proportion, l’enfant a acquis son parfait accroissement en sept ou neuf, ou au plus tard en dix mois, il vient au monde ; qu’il a en lui-même les principes de vie, qu’il reçoit joints ensemble, & dont chacun se développe dans un tems marqué, selon des regles harmoniques ; que les sens sont en général une vapeur extrêmement chaude, & la vûe en particulier, ce qui fait qu’elle pénétre dans l’air & dans l’eau ; que la chaleur éprouvant une résistance de la part du froid, si la vapeur de l’air étoit froide, elle se perdoit dans un air de même qualité. Il y a des endroits où Pythagore appelle les yeux les portes do soleil, & en dit autant sur l’ouïe & sur les autres sens.

Il divise l’ame humaine en trois parties, qui sont l’esprit, la raison & la passion. Ce Philosophe enseigne que l’esprit & la passion appartiennent aussi aux autres animaux ; que la raison ne se trouve que dans l’homme ; que le principe de l’ame s’étend depuis le cœur jusqu’au cerveau, & que le passion est la partie de l’ame qui réside dans le cœur ; que le cerveau est le siége de la raison & de l’esprit, & que les sens paroissent être des écoulemens de ces parties de l’ame ; que celle, qui consiste dans le jugement, est immortelle, à l’exclusion des deux autres ; que le sang sert à nourrir l’ame ; que la parole en est le souffle ; qu’elles sont l’une & l’autre invisibles, parce que l’éther lui-même est imperceptible ; que les veines, les arteres & les nerfs sont les liens de l’ame ; mais que lorsqu’elle vient à se fortifier & qu’elle se referme en elle-même, alors les paroles & les actions deviennent ses liens[6] ; que l’ame, jetté en terre, erre dans l’air avec l’apparence d’un corps ; que Mercure est celui qui préside sur ces êtres, & que de là lui viennent les noms de Conducteur, de Portier, & de Terrestre, parce qu’il tire les ames des corps, de la terre & de la mer, qu’il conduit au Ciel les ames pures, & ne permet pas que les ames impures approchent, ni celles qui sont pures, ni se joignent les unes aux autres ; que les Furies les attachent avec des liens qu’elles ne peuvent rompre ; que l’air entier est rempli d’amess ; qu’on les appelle Démons & Héros ; qu’ils envoyent aux hommes les songes, leur annoncent la santé & la maladie, de même qu’aux quadrupedes & aux autres bêtes ; que c’est à eux que se rapportent les purifications, les expiations, les divinations de toute espece, les présages, & les autres choses de ce genre.

Pythagore disoit qu’en ce qui regarde l’homme rien n’est plus considérable que que la disposition de l’ame au bien, ou au mal, & que ceux, à qui une bonne ame échéoiten partage, sont heureux ; qu’elle n’est jamais en repos, ni toujours dans la même mouvement ; que le juste a l’autorité de jurer, & que c’est par équité que l’on donne à Jupiter l’épithete de Fureur ; que la vertu, la santé en général toute sorte de bien, sans en excepter Dieu même, sont en harmonie, au moïen de laquelle toutes choses se soutiennent ; que l’amitié est aussi une égalité harmonique ; qu’il faut honorer les Dieux & les Héros, mais non également ; qu’à l’égard des Dieux, on doit en tout tems célebrer leurs louanges avec chasteté & en habit blanc, au lieu que pour les Héros, il suffit qu’on leur porte honneur après que le soleil a achevé la moitié de la course de la journée ; que la pureté de corps s’acquiert par les expiations, les ablutions & les aspersions en évitant d’assister aux funerailles, en se servant des plaisirs de l’amour, en se préservant de toute souillure, en s’abstenant de manger de la chair d’animaux sujets à la mort & susceptibles de corruption, en prenant garde de ne point se nourrir de mulets & de surmulets, d’oeufs, d’animaux ovipares, de fêves, & d’autres alimens prohibés par les Prêtres qui président aux mysteres qu’on célebre dans les Temples. Aristote, dans son livre des Fêves, dit que Pythagore en défendoit l’usage, soit parce qu’elles ont la figure d’une chose honteuse, soit parce qu’étant le seul des legumes qui n’a point de noeuds, elles sont l’emblême de la cruauté & ressemblent à là mort[7], ou parce qu’elles dessechent, ou qu’elles ont quelque affinité avec toutes les productions de la nature, ou parce qu’enfin on s’en servoit dans le gouvernement Oligarchique pour airer au fort les sujets airer au fort les sujets qu’on avoit à élire. Il ne vouloit point qu’on ramassât ce qui tomboit de la table pendant le repas, afin qu’on s’accoutumât à manger modérément, ou bien en vûe de quelque cérémonie mystérieuse. En effet Aristophane, dans son traité des Demi-Dieux, dit que ce qui tombe de la table appartient au Héros. Voici ses termes ; Ne mangez point ce qu iest tombé de la table. Pythagore comprenoit dans ses défenses celel de manger d’un coq blanc, par la raison que cet animal est sous la protection de Jupiter, que la couleur blanche est le symbole des bonnes choses, que le coq est consacré à la lune, & qu’il indique les heures[8]. Il en disoit autant de certains poissons, lesquels, consacrés aux Dieux, il ne convenoit pas plus de servir aux hommes, qu’il étoit à propos de présenter les même mêts aux personnes libres & aux esclaves. Il ajoutoit que ce qui est blanc tient de la nature du bon, & le noir du mauvais ; qu’il ne faut pas rompre le pain, parce qu’anciennement les amis s’assembloient pour le manger ensemble, comme cela se pratique encore chez les étrangers, insinuant par-là qu’on ne doit pas dissoudre l’union de l’amitié. D’autres interpretent ce précepte comme rélatif au jugement des Enfers, d’autres comme ayant rapport au courage qu’il faut conserver pour la guerre, d’autres encore comme une marque que le pain est le commencement de toutes choses. Enfin le Philosophe prétendoit que la forme sphérique est la plus velle des corps solides, & que la figure circulaire l’emporte en beauté sur les figures planes ; que la vieillesse, & tout ce qui éprouve quelque diminution, ressortit à une loi commune ; qu’il en est de même de la jeunesse & de tout ce qui prend quelque accroissement ; que la santé est la perséverance de l’espece dans le même état, au-lieu que la maladie en est l’altération. Il recommandoit de présenter du sel dans les repas, afin qu’on pensât à la justice, parce que le sel préserve de corruption, & que par l’effervescence du soleil il est formé des parties les plus pures de l’eau de la mer.

Voilà ce qu’Alexandre dit avoir lû dans les Commentaires des Philosophes Pythagoriciens, & en quoi Aristote est d’accord avec lui.

Timon, qui censure Pythagore dans ses poésies bouffonnes n’a pas épargné sa gravité & sa modestie.

Pythagore, dit-il, ayant renoncé à la Magie, s’est mis à enseigner des opinions pour surprendre les hommes par ses conversations graves & mystérieuses.

Xénophane releve ce qu’assûroit Pythagore qu’il qu’il avoit existé auparavant sous une autre forme, lors que dans une Elegie il commence par ces paroles : Je vais parler d’autres choses, je vais vous indiquer le chemin. Voicy comme ne parle Xénophane :

’On rapporte qu’en passant, il vit un jeune chien qu’on battoit avec beaucoup de cruauté. Il en eut compassion, & dit : Arrestez, ne frappez plus. C’est l’ame infortunée d’un de mes amis ; je le reconnois à sa voix.

Cratinus luy lance aussi des traits dans sa piéce intitulée, La Pythagoricyenne. Il l’apostrophe en ces termes dans celle qui a pour tire, Les Tarentins.

Ils ont coutume, lors que quelqu’un sans étude vient parmi eux, d’essayer la force de son génie, en confondant ses idées par des objections, des conclusions, des propositions composées de membres qui se ressemblent, des erreurs & des discours ampoulez ; tellement qu’ils le jettent dans un si étrange embarras, qu’il n’en peut sortir.

Mnésimaque, dans sa piéce d’Alcméon, s’exprime ainsi.

Nous sacrifions à Apollon, comme sacrifient les Pythagoricyens, sans rien manger d’animé.

Aristophon de son costé plaisante sur le compte du Philosophe dans sa piéce, intitulée Le Pythagoricien.

Pythagore racontoit qu’étant descendu aux Enfers, il vit la maniere de vivre des morts & les observe tous ; mais qu’il remarqua une grande dissérence entre les Pythagoriciens & les autres, les premiers ayant seuls l’honneur de manger avec Pluton en considération de leur piété. A. Il faut, selon ce que vous dites, que ce Dieu ne soit pas délicat, puisqu’il se plait dans la compagnie de gens si sales.

Il dit aussi dans la même piéce : Ils mangent des legumes & boivent de l’eau ; mais je défie que personne puisse supporter la vermine qui les couvre leur manteau sale & leur crasse.

Pythagore eut une fin tragique. Il étoit chez Mylon avec ses amis ordinaires, quand quelqu’un de ceux, qu’il avoit refusé d’admettre dans cette compagnie, mit le feu à la maison. Il y en a qui accusent les Crotoniates d’avoir commis cette action par la crainte qu’ils avoient de se voir imposer le joug de la Tyrannie. Ceux-là racontent que s’étant sauvé de l’incendie, & étant resté seul, il se trouva près d’un champ planté de fêves, à l’entrée duquel il s’arrêta, en disant : Il vaut mieux se laisser prendre que fouler aux pieds ces legumes, & j’aime mieux périr que parler. Ils ajoutent qu’ensuite il fut égorgé par ceux qui le poursuivoient ; que plusieurs de ses amis, au nombre d’environ quarante périrent dans cette occasion ; qu’il y en a eut fort peu qui se ssauverent, entre autres Archytas de Tarente & Lysis, dont nous avons aprlé ci-dessus. Dicéarque dit que Pythagore mourut à Métapont dans le Temple des Muses où il s’étoit réfugié, & où la faim le consuma au bout de quarante jours. Héraclide, dans son abrégé des Vies de Satyrus, prétend que Pythagore, ayant enterré Phérecyde dans l’Isle de Delos, revint en Italie, se trouva à un grand festin d’amitié que donnoit Mylon de Crotone, & qu’il s’en fut de là à Metapont, où ennuyé de vivre, il finit ses jours en s’abstenant de nourriture. D’un autre côté Hermippe rapporte que dans une guerre entre les Agrigentins & les Syracusains, Pythagore courut avec ses amis au secours des premiers ; que les Agrigentins furent battus, & que Pythagore lui-même fut tué par les vainqueurs pendant qu’il faisoit le tour d’un champ planté de fêves. Il raconte encore que les autres, au nombre de près de trente-cinq furent brulés à Tarente, parce qu’ils s’oppossoient à ceux qui avoient le gouvernement en main. Une autre particularité dont Hermippe fait mention, est qwue le Philosophe, étant venu en Italie, se fit une petite demeure sous terre ; qu’il recomanda à sa mere d’écrire sur des tablettes tout ce qui se passeroit ; qu’elle eût soin den marquer les époques, & de les lui envoyer lorsqu’il reparoitroit ; que sa mere exécuta la commission ; qu’au bout de quelque tems, Pythagore reparut avec un air défait & décharné ; que s’étant présenté au peuple, il dit qu’il venoit des Enfers ; que pour preuve de vérité, il lut publiquement tout ce qui étoit arrivé pendant son absence ; que les assistans, émus de ses discours, s’abandonnerent aux cris & aux larmes ; que regardant Pythagore comme un homme divin, ils lui amenerent leurs femmes pour être instuites de ses préceptess, & que ces femmes furent celle qu’on appella Pythagoriciennes. Tel est le recit d’Hermippe.

Pythagore avoit épousé une nommée Theano, fille de Brontin de Crotone. D’autres disent qu’elle étoit femme de Brontin, & qu’elle fut disciple du Philosophe. Il eut aussi une fille, nommée Damo, selon Lysis dans son épître à Hipparque, où il parle ainsi de Pythagore : Plusieurs personnes vous accusent de rendrent publiques les lumieres de la Philosophie, contre les ordre de Pythagore, qui, en confiant ses commentaires à Damo sa fille, lui défendit de les laisser sortir de chez elle. En effet quoiqu’elle pût en avoir beaucoup d’argent, elle ne voulut jamais les vendre, & aima mieux, toute femme qu’elle étoit, préférer à la richesse la pauvreté & les exhortations de son pere. Pythagore eut encore un fils, nommé Telauge, qui lui susséda, & qui, selon le sentiment de quelques-uns, fmmut le Maître d’Empedocle. On cite ces parole que celui-ci adressa à Telauge : Illustre fils de Theano & de Pythagore. Ce Telauge n’a rien écrit ; mais on attribue quelques ouvrages à sa mere. C’est elle, qui, étant interrogée quand uen femme devoit être censée pure commerce des hommes, répondit qu'elle l’étoit toujours avec son mari, & jamais avec d’autres. elle exhoroit aussi les mariées, qu’on conduisoit à leurs maris, de ne quitter leur modestie qu’avec leurs habits, & de la reprendre toujours en se r’habillant. Quelqu’un lui ayant demandé de quelle modestie elle parloit, elle répondit, De celle qui est la principale distinction de mon sexe.

Héraclide, fils de Serapion, dit que Pythagore mourut âgé de quatre-vingts ans, selon le partage qu’il avoit lui-m^peme fait des différens-èâges de la vie ; mais suivant l"opinion la plus gébérale, il parvint à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Ces vers, que j’ai composés à son sujet, contiennent des allusions à ses sentimens.

Tu n’es pas le seul, ô Pythagore ! qui t’abstiens de manger des choses animées ; nous faisons la même chose. Car qui de nous se nourrit de pareils alimens ? Lorqu’on mange du rôti, du bouilli, ou du salé, ne mange-t-on pas des choses qui n’ont plus ni vie, ni sentiment ?

En voici d’autres semblables :

Pythagore étoit si grand Philosophe, qu’il ne vouloit point gouter de vainde, sous prétexte que c’eût été un crime. D’où vient donc en régaloit-il ses amis ? Etrange manie ! de regarder comme permis aux autres ce que l’on croit mauvais pour soi-même.

En voici encore d’sutres.

Veut-on connoître l’esprit de Pythagore, que l’on envisage la face empreinte sur le[9] bouclier d’Euphorbe. Il prétend que c’est-là ce qu’il étoit lorsqu’il vivoit autrefois, & qu’il n’étoit point alors ce qu’il est à présent. Traçons ici ses propres paroles : Lorsque j’existois alors, je n’étois point ce que je fuis aujourd’hui.

Ceux-ci font allusion à sa mort.

Hélas ! pourquoi Pythagore honore t-il les fêves au point de mourir avec ses disciples pour l’amour d’elles. Il se trouve près d’un champ panté de ce legumes ; il aime mieux négliger la conservation de sa vie par scrupule de les fouler aux pieds en prenant la fuite, qu’échapper à la main meurtriere des Agrigentions en se rendant coupable d’un crime.

Il fleurissoit vers la LX. Olympiade. L’école, dont il fut le fondateur, dura près de dix-neuf générations, puisque les derniers Pythagoriciens, que connut Aristoxene, furent Xénophile Chalcidien de Thrace, Phanton de Phliafie, Echerates, Diocles, & Polymmeste, aussi Phliasiens. Ces Philosophees étoient disciples de Philolaus & d’Euryte, tous deux natifs de Tarente.

Il y eut quatre Pythagores qui vécurent dans le même tems, & non loin les uns des autres. L’un étoit de Crotone, homme de Phlisie, Maître d’exercices & Baigneur[10], à cequ’on dit ; le troisieme, né a Zacynthe, auquel on attribue des mysteres de cette expression proverbiale, Le Maître l’a dit. Quelques-uns ajoutent à ceux-là un Pythagore de Reggio, Statnaire de prosession, & qui passe pour avoir le premier réussi dans les proportions ; un autre de Samos, aussi Statuaire ; un troisieme, Rhéteur, mais peu estimé, un quatrieme, Médecin, qui donna quelque traité sur le Hernie & sur Homere. Enfin Denys parle d’un Pythagore, Ecrivain en langue Dorique. Eratosthene, en cela d’accord avec Phavorin dans son Histoire Diverse, dit que dans la XLVIII. Olympiade celui-ci combattit le premier, selon les regles de l’art, dans les combats du ceste ; qu’ayant été chssé & insulté par les jeunes gens à cause qu’il portoit une longue chevelure & une robe de pourpre, il fut si sensible à cet affront, qu’il alla se mesurer avec des hommes & les vainquit. Théætete lui adresse cette Epigramme :

Passant, saches que ce Pythagore de Samos à longue chevelure se rendit fameux dnas les combats du Ceste. Oui, te dit-il, je suis Pythagore, & si tu t’informes à quelque habitant d’Elée quels furent mes exploits, tu en apprendras des choses incroyables.

Phavorin assûre que ce Pythagore se servoit de définitions tirées des Mathématiques, que Socrate & ses sectateurs en firent un plus fréquent usage, lequel Aristote & les Stoïciens suivirent après eux[11]. On le répute encore pour le premier qui donna au ciel le nom de Monde, & qui crut que la terre est orbiculaire ; ce que néanmoins Théophraste attribue à Parmenide, & Zénon à Hésiode. On prétend de plus qu’il eut un adversaire dans la personne de Cydon, comme Socrate eut le sien dans celle d’Antidocus[12]. Enfin on a vû courir l’Epigramme suivante à l’occasion de cet Athlete :

Ce Pythagore de Samos, ce fils de Crateus, tout à la enfant & Athlete, vit du berceau à Olimpie se distinguer dans les combats du Ceste. Revenons à Pythagore le Philosophe, dont voici une lettre.

Pythagore à Anaximene.

« Vous, qui êtes le plus estimable des hommes, si vous ne surpassiez Pythagore en noblesse & en gloire, vous eussiez certainement quitté Milet pour nous joindre. Vous en êtes détourné par l’éclat que vous tenez de vos ancêtres, & j’avoue que j’aurois le même éloignement, si j’étois Anaximene ? Je conçois d’ailleurs que si vous quittiez vos villes, vous les priveriez de leurs plus beau lustre, & les exposeriez à l’invasion des Medes[13]. Il n’est pas toujours à propos de contempler les astres, il convient aussi que l’on dirige ses pensées & les soins au bien de sa patrie. Moi-même, je ne m’occupe pas tant de mes raisonnemens, que je ne m’intéresse quelquefois aux guerres qui divisent les Italiotes ».

Après avoir fini ce qui regarde Pythagore, il nous reste à parler de ses plus célebres sectateurs, & de ceux que l’on met communément dans ce nombre ; à quoi nous ajouterons la suite des plus savans hommes jusqu’à Epicure, comme nous nous le sommes proposé dans le plan de cet Ouvrage. Nous avons déjà fait mention de Theanus & de Telauge, à présent nous entrerons en matière par Empedocle, qui, selon quelques-uns fut disviple de Pythagore.



  1. Habitans des pays qu’on appellait la Grande Grece.
  2. Ouvrage, ainsi nommé de ce que la sujet, sur lequel il roule, est de prouver que toutes choses sont composées de trois. Menage
  3. Menage semble expliquer cela de quelque invention de Musique. Il y a aussi un isntrument à une corde, qu'Etienne dit avoir été inventé apr les Arabes, mais peut-être cela porte-t-il sur ce qui suit.
  4. Il y a en Grec, Le Chenix.
  5. Autrement, les Demi-Dieux.
  6. Il n’y a point de note sur ce passage.
  7. Allusiob à ce qu’on touchoit les genoux de ceux dont on imploroit la misérircorde, & à ce que la mort est dite inexorable. Aldobrandin.
  8. Je suis sur ce passsage une savante note de Menage.
  9. Il y a, regardez le milieu du bouclier d’Euphorbe. On dit que le millieu des boucliers étoit relevé en bosse, De sens d’ailleurs donne à connoître qu’on voyoit sur celui-ci les traits d’Euphorbe.
  10. Je prens ce mot que pour l’équivalent de Grec, où il y a proprement, qui signait les Athletes.
  11. Fougerelles dit que Phavorin s’est trompé en confondant Pythagore l’Athlete avec le Philosophe. Diogene ne distingue pas clairement ces sujets.
  12. Voyez la note de Menage.
  13. Voyez dans le livre second une lettre d’Anaximene à Pythagore.