Les Egyptiens étaient bien trop accaparés par la rencontre entre les clubs de football Zamalek et Pyramids, mardi 23 avril au soir, pour prêter attention à l’annonce des résultats d’un scrutin qu’ils estimaient joué d’avance. Au lendemain de trois jours de référendum, l’Autorité nationale des élections (ANE) a proclamé la victoire du oui et l’application immédiate du projet de révision constitutionnelle, qui devrait permettre au président Abdel Fattah Al-Sissi de renforcer sa mainmise sur l’Egypte jusqu’en 2030. Selon les résultats diffusés par l’ANE, 88,83 % des électeurs ont approuvé les amendements, contre 11,17 % qui les ont rejetés. Enjeu de légitimation du scrutin, le taux de participation a atteint 44,33 % des 61 millions d’inscrits, selon l’ANE.
« Le taux de participation au référendum – où l’on a vu bureaux vides, colis alimentaires et policiers qui font descendre les gens des transports pour aller voter – est de 44 % : plus que le taux de participation de 41 % au référendum de mars 2011, pic de la participation politique ! », après la révolution du 25 janvier, s’est étonné, incrédule, sur Facebook, Amr Ezzat, membre de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels.
Sur les réseaux sociaux, seul espace d’expression laissé aux voix critiques, les détracteurs du projet ont rivalisé d’exemples pour contester le caractère « démocratique » du scrutin, vanté par le président de l’ANE, Lahcine Ibrahim. « Le référendum s’est déroulé dans un environnement tellement injuste et non libre que ses résultats ne peuvent prétendre à une quelconque légitimité », a abondé Michael Page, directeur adjoint de l’ONG Human Rights Watch pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient.
Quatre millions ont dit non
La seule surprise du scrutin est le pourcentage de non. « Je suis impressionné par le courage de près de quatre millions d’Egyptiens qui ont dit non. C’est assez inédit », reconnaît Moustapha Kamil Al-Sayyed, professeur de sciences politiques et membre du Mouvement démocratique civil (MDC), qui réunit des partis et figures libéraux et de gauche, opposés au projet de réforme introduit en février au Parlement. Plutôt qu’à boycotter, une majorité d’entre eux ont appelé à voter non contre un projet qu’ils jugent « inconstitutionnel » et destiné à consolider le pouvoir autoritaire de M. Sissi. Mais, dans le climat répressif qui sévit en Egypte depuis l’arrivée à la tête de l’Etat de l’ancien maréchal, qui a renversé, avec l’armée, le président islamiste Mohamed Morsi, en 2013, ils ont eu bien du mal à faire entendre leur voix au Parlement comme dans les médias, contrôlés par le pouvoir.
« Des jeunes du mouvement ont été arrêtés. Tous les chefs ont été interdits de s’exprimer dans les médias et ont fait l’objet de campagnes de diffamation lorsqu’ils s’exprimaient ailleurs », déplorait Ahmed Fawzy, un avocat membre du MDC, durant « cette parodie de scrutin ». Seuls quatre jours se sont écoulés entre l’approbation du projet au Parlement, le 16 avril, et le référendum, qui s’est tenu du 20 au 22 avril. Mais, depuis plusieurs semaines déjà, les soutiens du président Sissi faisaient campagne en faveur du oui, promettant stabilité, sécurité et développement sur leurs banderoles et dans leurs spots publicitaires.
Lors du scrutin, ils se sont mobilisés pour offrir des colis alimentaires et des transports gratuits aux électeurs, a pu constater Le Monde au Caire et dans la province de Gizeh. Un fonctionnaire de la province de Beheira a confié par téléphone que le directeur de son administration les avait menacés, lui et ses collègues, de ponctionner leur salaire s’ils n’allaient pas voter. Des habitants du Caire ont assuré que la police forçait les commerçants et les gardiens d’immeuble à voter. L’autorité électorale a assuré n’avoir observé que des « cas isolés (…) dans l’objectif d’encourager le vote… » et a promis d’enquêter sur toute plainte relative à des violations.
La « pire crise des droits humains depuis des décennies »
Après l’annonce des résultats mardi soir, le président Sissi a rendu hommage, sur Twitter, à ses concitoyens « qui ont ébloui le monde par leur conscience nationale des défis auxquels est confrontée notre chère Egypte ». Cette révision constitutionnelle a été taillée sur mesure pour l’ancien maréchal, élu président en 2014 et réélu en 2018. Elle étend son deuxième mandat de quatre à six ans. Agé de 64 ans, M. Sissi pourra également se représenter à un troisième mandat de six ans, lors de l’élection de 2024. L’opposition redoute une répétition du scénario du scrutin de 2018, lors duquel tous les rivaux sérieux ont été arrêtés ou forcés de quitter la course à la présidentielle. Alors que l’Egypte traverse, selon les organisations de défense des droits de l’homme, sa « pire crise des droits humains depuis des décennies », elle se prépare à des jours plus sombres encore.
« Ces amendements institutionnalisent un pouvoir personnel, libéré de toute responsabilité devant les instances représentatives », déplore le professeur de sciences politiques Moustapha Kamil Al-Sayyed. Le chef de l’Etat étend son contrôle sur le système judiciaire, avec un pouvoir de nomination des chefs de juridiction. Il obtient également le pouvoir de nommer un vice-président ainsi qu’une partie des membres du Sénat, rétabli. « Ces amendements permettent aussi explicitement à l’armée d’intervenir dans la vie politique, et la mettent au-dessus du pouvoir politique », ajoute M. Sayyed. Celle-ci se voit conférer le rôle de « gardienne et protectrice » de l’Etat, de la démocratie et de la Constitution, et ses tribunaux une juridiction étendue sur les civils.
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