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14-18, une saignée pour l’économie française

Conséquence des millions de victimes et des terribles destructions, la production agricole et industrielle ne dépassera son niveau d’avant-guerre qu’en 1924.

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Publié le 30 mai 2014 à 14h49, modifié le 02 juin 2014 à 13h25

Temps de Lecture 5 min.

Carte postale montrant la destruction de Villers-Cotterêts (Aisne) pendant la Grande Guerre.

La France fut l’un des pays les plus touchés par les ravages provoqués par la guerre de 1914-1918, puisque aux pertes humaines s’ajoutèrent les destructions de sites urbains, industriels et agricoles. C’est en effet sur son sol qu’eurent lieu les combats les plus durs du front occidental.

Le nombre exact de morts liés au conflit est incertain, en raison des disparus ensevelis sous les champs de bataille, des blessés qui succomberont après la fin de la guerre, des victimes civiles, d’exactions commises par les armées occupantes, ou à la suite de maladies…

Les estimations font état d’environ 9 millions de soldats tués en combattant (dont environ 2 millions d’Allemands, 1,8 million de Russes, 1,1 million d’Austro-Hongrois, près de 900 000 soldats de l’Empire britannique, 800 000 Turcs, 600 000 Italiens, 120 000 Américains, 43 000 Belges…), et de plus de 20 millions de blessés. Le nombre de morts civils s’élèverait à près de 9 millions, les pays les plus concernés étant l’Empire ottoman (environ 4,2 millions en comptant 1,5 million de victimes du génocide arménien), la Russie (1,5 million), l’Empire austro-hongrois (0,5 million)…

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La France compta environ 1,4 million de soldats tués (sur 8,6 millions de mobilisés), soit 10 % de sa population active masculine et plus de 25 % des hommes ayant entre 18 et 27 ans. Cela en fit le pays le plus touché – avec la Serbie – relativement à sa population. Elle aurait aussi eu 200 000 à 300 000 morts civils. En conséquence, malgré la récupération de l’Alsace-Lorraine, la France ne comptait plus, en 1919, que 38,7 millions d’habitants, soit 1,1 million de moins qu’en 1914. Mais, aux morts s’ajoutèrent 3 à 4 millions de blessés, dont 1,1 million d’invalides ou mutilés.

Au total, sur dix hommes ayant de 20 à 45 ans en 1914, deux étaient morts en 1918, quatre étaient infirmes ou assistés, et les survivants seront définitivement marqués par le traumatisme des combats.

De plus, les soldats morts étant jeunes et en âge de procréer, le nombre de naissance recula fortement pendant et après la guerre, faisant perdre à la France de l’ordre de 1,7 million de naissances potentielles. Et la France, comme les autres pays européens, subit à partir de la fin de l’été 1918 et en 1919 les ravages de la grippe espagnole, cause de la mort de 400 000 Français et de 30 millions de personnes dans le monde. L’ampleur de cette pandémie, partie d’Espagne, non belligérante, peut s’expliquer par l’affaiblissement physique des combattants et des civils.

Pourtant, d’un strict point de vue économique, la France réussit rapidement à surmonter ce choc démographique. Elle utilisa plus intensément la main-d’œuvre féminine (qui avait participé massivement à l’effort de guerre). Elle ouvrit ses frontières à l’immigration, le nombre d’immigrés, composés principalement d’Italiens, d’Espagnols, de réfugiés russes… passant d’1,2 million en 1911 à 2,7 millions en 1931, soit plus de 7 % de la population totale.

UN TIERS DE LA RICHESSE DE LA FRANCE ANÉANTI

Ainsi, la France compte 40,7 millions d’habitants en 1926, et 41,8 millions en 1931. Enfin, les industriels français eurent davantage recours aux nouvelles techniques de production (travail à la chaîne, nouvelles machines…), qui permirent la hausse de la productivité du travail (évalués à environ 2,5 % par an durant les années 1920).

Sur le plan matériel, les combats et les bombardements détruisirent ou endommagèrent 550 000 maisons, 20 000 édifices publics, plus de 3 millions d’hectares de terres agricoles, 60 000 km de routes, 3 000 km de voies ferrées, 2 000 km de canaux, et 2,5 millions d’animaux furent tués ou enlevés par l’ennemi.

Ainsi, la production intérieure brute, pour une base 100 en 1913, chuta à 75 en 1921, la production agricole totale à 82 cette même année, l’une et l’autre ne dépassant leur niveau d’avant-guerre qu’en 1924. Pour une base 100 en 1913, l’indice de la production industrielle était tombé à 57 en 1919, certains secteurs ayant vu leur activité diminuer de plus de 50 %, comme le bâtiment, la métallurgie, les industries extractives, les industries mécaniques. La production industrielle ne dépassera elle aussi son niveau de 1913 qu’en 1924.

La guerre aurait anéanti environ un tiers de la richesse de la France, et le coût de la reconstruction a été évalué à 35 milliards de francs-or, soit 137 milliards de francs de 1920 (Histoire économique et sociale de la France, sous la direction de Fernand Braudel et Ernest Labrousse, tome IV, Presses universitaires de France, 1993).

La guerre eut aussi des effets considérables sur le budget de l’Etat : en 1930, la dette publique liée au financement du conflit et à la reconstruction s’élevait à 23,2 milliards de francs (moins de 1 milliard en 1913), et le montant des pensions de guerre à 5,1 milliards, ces « charges du passé » additionnées représentant alors 52,4 % des dépenses publiques.

 FORTE BAISSE DE LA VALEUR DU FRANC

D’autre part, la guerre provoqua une hausse des prix plus forte en France que chez ses anciens Alliés : en 1920, les prix de gros étaient multipliés par plus de 6 en France par rapport à 1913, contre 3,1 en Grande-Bretagne et 2,2 aux Etats-Unis. Les destructions, l’endettement intérieur et extérieur de la France, l’inflation et le déficit public conduisirent à une forte baisse de la valeur du franc sur le marché des changes : 1 dollar, qui valait 5 francs en 1918, en valait plus de 30 en 1926, et 1 livre sterling, qui s’échangeait contre 25 francs durant la guerre, en valait alors plus de 150. Mais cette baisse ne prit pas la même ampleur que celle qui affecta la monnaie allemande, s’effondrant en 1924.

Le retour au poste de président du Conseil de Raymond Poincaré, en 1926, rassura les milieux financiers et les épargnants. Le franc se stabilisa aussitôt. Poincaré décida, en 1928, de restaurer la convertibilité-or du franc, mais en divisant par cinq la quantité d’or que l’on pouvait obtenir désormais en échange de francs-papier (un franc valait maintenant 65,5 mg d’or, contre 327,5 mg en 1914).

Mais la reconstruction s’accompagna de l’essor de nouveaux domaines d’activités modernes (automobile, aviation, industries électriques et mécaniques…), du retour des richesses minières fournies par l’Alsace-Lorraine, alors que la faiblesse du franc compensait l’inflation et stimulait les exportations. Tout cela permit à la France de connaître une croissance vigoureuse durant les années 1920.

C’est ainsi que (pour une base 100 en 1913), la production intérieure brute atteignit l’indice 126 en 1929, la production minière et celle du bâtiment augmentant de 23 %, celle de la métallurgie de 29 %, celle des industries mécaniques de 57 %, alors que celle du caoutchouc était multipliée par huit ! Les progrès restaient toutefois plus modestes pour les industries de biens de consommation et pour la production agricole (environ + 10 %).

En moins de dix ans, la France avait non seulement surmonté les destructions causées par la guerre, mais aussi retrouvé son rang parmi les grandes puissances industrielles, qui allaient cependant toutes entrer en 1929 dans la grande crise du capitalisme mondial.

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