C’est la messagerie cryptée qui fait trembler le pouvoir biélorusse. La chaîne Nexta (prononcer «nekhta»), se présente comme la plus importante boucle Telegram du pays. Par un jugement publié mardi, la cour de Minsk a placé la chaîne et son logo sur la liste des ressources «extrémistes». La justice lui reproche d’avoir lancé des appels à la mobilisation contre la réélection contestée d’Alexandre Loukachenko, ayant provoqué des troubles à l’ordre public.
Nexta Live rassemble environ 2 millions de membres, un chiffre qu'il faut rapporter aux 9,5 millions d'habitants en Biélorussie. «Telegram est devenu une source d'information très importante, et pas seulement pour la jeune génération», explique à Libération le journaliste franco-biélorusse Andreï Vaitovich. La déviance envers les canaux d'information traditionnels touche toutes les générations. «Il ne faut pas croire que la génération de nos parents ou de nos grands-parents regarde la télé officielle par absence de choix. Les Biélorusses sont très connectés, ils utilisent les messageries comme Telegram d'abord pour la communication, mais aussi pour s'informer. Ma grand-mère, par exemple, qui a 69 ans et habitait en province dans une petite ville, est très connectée, elle consulte les informations sur son smartphone», continue-t-il.
Risques d’amendes
La chaîne Nexta joue également un rôle essentiel dans la diffusion à l'étranger des manifestations en Biélorussie. Son compte en langue anglaise compte plus de 66 000 abonnés sur Twitter, avec la devise «Here in English to let the world know» («Ici et en anglais pour que le monde soit au courant»). Avec de très nombreuses vidéos, captées aux quatre coins de la Biélorussie, Nexta expose les violences policières dont sont victimes les opposants, montre l'importance des rassemblements et partage des déclarations de Svetlana Tikhanovskaya.
Alors qu'est-ce que cette décision de justice va changer ? «D'abord, il y aura les conséquences pour les journalistes et les médias qui reprennent le contenu de Nexta. Ils risquent des amendes importantes, de plusieurs milliers d'euros», alerte Andreï Vaitovich. Les particuliers pourront également recevoir des amendes pour avoir consulté la chaîne. Mais le journaliste ne pense pas qu'ils vont se désinscrire en masse : «Aujourd'hui, les chaînes de Nexta sont les plus suivies dans le domaine écrit en cyrillique de Telegram.»
Today #Belarus‘ largest @Telegram channel @NextaNews was charged with extremism. Another desperate move targeting freedom of speech. Yet the striving for freedom and democracy by the Belarusian nation is irreversible and cannot be silenced. pic.twitter.com/PGNow1OWLT
— Linas Linkevicius (@LinkeviciusL) October 20, 2020
Coupures internet
La dictature biélorusse a déjà tenté de freiner l'opposition en provoquant des coupures internet en série au mois d'août. «Ça continue tous les dimanches lors des manifestations, les opérateurs téléphoniques coupent le réseau internet pendant la journée», indique Alexeï Vaitovich.
L'opposition biélorusse doit également se battre contre le géant Apple. Au début du mois d'octobre, la firme a demandé à Telegram de supprimer trois chaînes car elles divulguaient les informations personnelles d'agents de police biélorusses. En effet des groupes d'opposants travaillent à révéler l'identité des membres des forces de sécurité afin de montrer du doigt les responsables de violences policières. Pavel Dourov, le PDG de Telegram, a refusé, en ajoutant qu'Apple allait probablement lui forcer la main. «Ces chaînes vont finir par être bloquées par iOS, tout en restant actives sur d'autres plateformes», a-t-il indiqué. Pour l'instant, elles sont toujours disponibles via les dispositifs d'Apple. Mais c'est un bâton de plus dans les roues de l'opposition biélorusse, qui se bat déjà avec des moyens très limités.