«VOICI QUE JE CONTEMPLE LES CIEUX OUVERTS...» (Ac 7, 55s)
SUR LA LAPIDATION D'ETIENNE ET SA VISION DANS L'ART MÉDIÉVAL (IXe-XVIe siècles)
Etienne le protomartyr peut-il être considéré comme le premier de tous les mystiques ayant eu l'insigne faveur d'une «vision de la Trinité», ou du moins comme le premier visionnaire auquel il est possible de rattacher le phénomène beaucoup plus tardif des visions trinitaires ? Cette double question renvoie à l'histoire des rapports entre le témoignage du sang et le phénomène visionnaire. Que l'histoire doive être prise en considération, on n'en veut pour indice, sinon pour preuve, que la différence, patente à cet égard, entre le protomartyr et les martyrs des générations suivantes.
En effet, dans son Martyrium ( 1 ), A. Grabar signalait que durant les premiers siècles de l'ère chrétienne, à en croire la plupart des Gesta martyrum (2), les martyrs ont été gratifiés in extremis du «privilège habituel» d'une vision de l'au-delà ; ils ont une vision, puisque ce sont des martyrs à l'article de la mort. Or ce topos hagiographique ne s'applique pas (encore) à Etienne. De lui, on a fait très justement valoir : «II n'a pas une vision parce qu'il est martyrisé, mais il est martyrisé parce qu'il a une vision» (3), et surtout, devrait-
( 1 ) Martyrium. Recherches sur le culte des reliques et l'art chrétien antique, t. II, Paris, 1946, ch. II («Le martyr, thème iconographique»), sp. 49 : «C'est ce moment, celui qui précède immédiatement l'exécution, qui reçoit une importance exceptionnelle dans la carrière du saint et le consacre dans sa qualité de martyr, puisque c'est alors qu'il lui arrive souvent d'avoir une vision de Dieu (...) Ainsi, ceux qui représentaient le martyr avec les yeux grands ouverts sur l'au-delà de Dieu, et ceux qui le figurent avec le geste de Forante couronné par Dieu pouvaient faire allusion au même moment sublime qui mystiquement caractérise le mieux la sainteté du martyr.»
(2) Cf. Albert DUFOURCQ, Etudes sur les Gesta Martyrum romains, 4t, 1900 à 1907, nouvelle éd. : De Boccard, «Bibliothèque des Ecoles Françaises d'Athènes et de Rome», n° 83, Paris, 1988. Le tome V («Les légendes grecques et les légendes latines») a fait l'objet d'une publication posthume la même année 1988.
(3) Ernst BENZ, Die Vision. Erfahrungsformen und Bilderwelt, Stuttgart, 1969, 494. L'A. se sert de la Vision d'Etienne, considérée par lui comme non trinitaire, pour rendre compte de la rareté des visions de la Trinité divine. P. DINZELBACHER, Vision und visionsliteratur im Mittelalter, Stuttgart, 1981, 212s, à propos de Christine de Markyate, fait valoir que la vision du ciel précédant la mort a son grand modèle dans la Lapidation d'Etienne. Cette affirmation paraît discutable.
