Un mois, une oeuvre – L’Epître d’Othéa de Christine de Pisan

Pour la séance d’Un mois, une œuvre du samedi 11 janvier, la médiathèque a présenté un manuscrit précieux du XVème siècle : l’Epître d’Othéa de Christine de Pisan. Son titre original complet est : « L’Epistre Othea la deesse, que elle envoya à Hector de Troye, quant il estoit en l’aage de quinze ans ».

Le terme épître est un mot archaïque, issu du latin epistola, du grec επιστολη, qui désigne une lettre. Elle a pris le sens aujourd’hui d’un court traité philosophique ou religieux exposé sous forme épistolaire. Ce sont de courts traités le plus souvent philosophiques.

Vers 1460, sans doute à Bruges, un copiste et un enlumineur réalisent pour Antoine de Bourgogne, célèbre bibliophile au modèle de son père Philippe Le Bon, une magnifique version d’un texte écrit soixante ans plus tôt par la première femme écrivain professionnel en français, Christine de Pizan, qui le destinait à de riches mécènes. Cette épître est la lettre d’une femme, Othéa, déesse de la prudence, derrière laquelle se cache l’auteur. Le texte de l’Epistre Othea, composé vers 1400, a été copié dans des manuscrits principalement visibles à la BNF, à Londres (British Library), à Oxford, à Genève, ainsi qu’à Beauvais.

La cinquantaine de manuscrits et d’incunables qui nous sont parvenus attestent le succès remporté par cette œuvre au cours du XVe siècle.

Le texte enseigne à un jeune chevalier de quinze ans, son métier et ses devoirs moraux et spirituels. Il s’agit de cent histoires de Troie, au double sens du mot histoire au Moyen Âge, à la fois récit et image. Il constitue ainsi un miroir de l’éducation des princes, tout autant qu’un dictionnaire de mythologie.

L’ouvrage représente un exceptionnel ensemble de textes et de miniatures (une centaine), d’une grâce touchante, qui fixent dans l’œil et dans la mémoire les souvenirs de la fable antique et de l’enseignement chrétien.

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Christine de Pisan

Jeune veuve et mère de trois enfants, Christine de PIZAN (Venise-1365 ?, Poissy-1430 ?), se lance dans l’écriture pour s’assurer quelques revenus. Elle commence par des poèmes et poursuit avec des oeuvres plus ambitieuses, des épîtres sur des sujets variés. C’est pourquoi elle est communément considérée comme la première femme de lettres vivant de sa plume.

Fille d’un astrologue et médecin italien conseiller de Charles V, elle fut mariée à un secrétaire du roi, Étienne du Castel. La mort de son mari la contraint à chercher des ressources pour nourrir ses trois enfants. C’est ainsi qu’elle écrit des poèmes sur des thèmes amoureux, ballades, virelais, rondeaux, débats, dits allégoriques, qu’elle rassemble en collections destinées aux princes, notamment les Cent Ballades d’amant et de dame (vers1409), histoire amoureuse racontée d’une ballade à l’autre pour s’achever dans la douleur et la séparation. Dans ces genres traditionnels, elle apporte d’importantes variations métriques et thématiques et se distingue par une spontanéité rare dans cette tradition ainsi que par une veine autobiographique, plus développée que chez d’autres auteurs, où s’exprime son deuil. Elle se tournera ensuite vers des lectures plus austères et cherchera à communiquer le savoir des auteurs anciens au travers d’une série d’œuvres ambitieuses.

L’Épître d’Othéa à Hector (1400-1401) compte parmi ces œuvres. La déesse Othéa s’adresse à Hector pour affermir sa vocation chevaleresque, et lui donne l’exemple de cent personnages mythologiques que Christine commente ensuite dans une glose morale et une allégorisation chrétienne.

Dans ses écrits politiques, historiques, moraux et religieux, la sagesse de Christine, que peut résumer la notion antique de prudence, ne s’exprime pas seulement dans l’utopie littéraire. Elle est intervenue pour dissuader les princes de déchirer la France par leurs guerres civiles. Mais elle a eu moins de succès dans le rôle masculin de conseiller que dans celui, plus féminin, de la consolation. Son œuvre d’auteur, au sens moderne, est l’œuvre d’une femme qui a su faire de sa condition une cause et qui s’achève par un des rares textes contemporains célébrant une grande figure féminine vertueuse, Jeanne d’Arc, écrit dans le couvent où Christine s’est retirée après 1418. Composé en vers, le Ditié Jeanne d’Arc vante les exploits de Charles VII, comme ceux de Jeanne d’Arc. Il couronne l’entreprise d’une femme qui a dû conquérir son statut d’écrivain et batailler pour être reconnue, malgré sa triple condition d’étrangère, de femme et de veuve.

De Christine de Pizan, J.M.G. Le Clézio dit qu’elle a prouvé que, « quoique étrangère, elle a pu faire résonner tout son génie à tant chérir la langue française ».

Christine de Pisan assise à côté d'un lutrin et tenant une écritoire. Miniature sur vélin du XVe siècle. (Bibliothèque nationale de France, Paris). Ph. Coll. Archives Larbor

Christine de Pisan assise à côté d’un lutrin et tenant une écritoire.
Miniature sur vélin du XVe siècle. (Bibliothèque nationale de France, Paris). Ph. Coll. Archives Larbor

Description

Les illustrations ci-dessous sont celle du Codex Bodmer 49, qui contient l’Epître d’Othéa. En 1971, le collectionneur suisse Martin Bodmer fit don de son manuscrit à la fondation qu’il avait créée quelques années auparavant[1].

Persée délivrant Andromède, fol. 17r

Le manuscrit est composé de 150 feuillets de parchemin. Il contient 19 fascicules. Le texte est écrit en pleine page, composée de 23 lignes. L’écriture, une bâtarde, est d’une seule main.

Contenu

L’Epître d’Othéa est écrit avec deux genres différents. Il commence par un texte en vers, à vocation morale, qui s’inspire de la mythologie. Puis, cette partie en vers est commentée en prose. D’abord par une « Glose », qui s’adresse au « bon chevalier » en tirant une morale de l’histoire mythologique. Et ensuite, par une « Allégorie », qui est une interprétation s’adressant au « bon esprit » et qui parle de la vie de l’âme. Ces ensembles sont au nombre de 100, la construction numérale ayant une grande importance pour Christine de Pisan. La déesse Othéa n’existe pas dans la mythologie. Plusieurs hypothèses ont été formulées à son sujet, mais la plus vraisemblable est celle d’une contraction et d’une féminisation de la formule « O Theos ». De plus, pour Christine de Pisan, elle est la « déesse de Prudence ». Les parties en vers représentent une lettre fictive d’Othéa à Hector de Troie, lorsqu’il avait quinze ans. Il s’agit donc d’un livre d’enseignement à un jeune prince. Si Christine de Pisan choisit Hector, c’est d’abord pour des raisons politiques. Elle s’appuie sur le fait que les princes français descendent de la race troyenne, elle en fait donc l’éloge. Ensuite, ce choix impose une sélection dans les histoires du texte, qui seront tirées, soit de la guerre de Troie, soit d’histoires mythologiques. Sur un premier niveau, narratif, nous avons la vie d’Hector. Et sur un deuxième niveau, didactique, nous avons le sujet des vices et des vertus, qui sont organisés en séries : dix commandements, péchés capitaux…

 

Enluminures

Les images sont le soutien du texte. Selon la critique, l’auteur de ces peintures, faites dans un atelier de Bruges, aurait été un contemporain de Loyset Liédet (enlumineur), dont il se serait inspiré. Ce dernier est un enlumineur connu qui fut très actif dans le cercle de la cour des ducs de Bourgogne.

Il y a trois catégories d’enluminures :

La miniature : L’unique peinture du manuscrit, au fol. 7, mesure 125mm sur 110mm. Elle représente Othéa descendant d’un nuage pour donner son livre à Hector. Ce dernier est entouré de quatre hommes qui ont été identifiés comme étant Philippe le Bon, Charles le Téméraire et les deux bâtards, Antoine et David de Bourgogne. Cette peinture est entourée d’une bordure avec des fleurs, et des personnages humains ou grotesques. Au milieu de celle-ci, on trouve les armes d’Antoine de Bourgogne.

Vignettes : Le manuscrit compte 99 vignettes de 105mm sur 75mm. On en trouve une au début de chaque chapitre à l’exception du premier. Elles sont faites en grisailles avec des pointes de vert, de bleu, de rouge et d’or. La grisaille est une technique utilisant plusieurs niveau de gris, du blanc jusqu’au noir, ton sur ton. Le premier à utiliser cette technique sera Giotto au XIVe siècle et elle est utilisée autant en peinture, en miniature ou dans le vitrail. Lorsque l’artiste complète la miniature de rouge, de bleue et de vert, on l’appelle une « demi-grisaille ». Ce style est alors fréquent dans les commandes de manuscrits de la cour de Bourgogne depuis 1460.

Initiale : Celles-ci sont ornées de rameaux sur fond d’or avec du bleu et du rouge. De plus, elles sont séparées des titres2.

D’après Christine de Pizan, « deux choses sont nécessaires pour bien vivre : la bonne conscience et la bonne renommée. La conscience par rapport à soi, la bonne renommée par rapport au prochain. Celui qui ne se fie qu’à sa conscience et méprise la renommée est cruel. Car c’est la marque d’un coeur noble d’aimer le bien lié à la renommée. »

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