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Le goût du vin se débride : les cépages résistent

DEUXIÈME PARTIE. Hybrides, interdits, nouvelles variétés, les cépages résistants bouleversent notre paysage agronomique depuis 150 ans, suscitant de nouveaux goûts surprenants.

Par Florence Monferran*

En 1935, les variétés américaines, accusées de tous les maux, sont interdites. Exit isabelle et jacquez, clinton, noah, baco noir, etc. Leurs arômes prononcés ne permettent pas cette expression du terroir sur laquelle se forgent les vignobles réputés.
En 1935, les variétés américaines, accusées de tous les maux, sont interdites. Exit isabelle et jacquez, clinton, noah, baco noir, etc. Leurs arômes prononcés ne permettent pas cette expression du terroir sur laquelle se forgent les vignobles réputés. © Hugo Martin / Alamy / Abaca

Temps de lecture : 5 min

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La vigne connaît fréquemment des hybridations naturelles. Mais nos cépages sont issus de pratiques de sélections volontaires des meilleures baies, et de croisements entre vignes sauvages, semis et boutures de cépages déjà retenus. Ainsi, les multiples expérimentations des Grecs et des Romains dans l'Antiquité conduisent à « une impressionnante diversification variétale », selon l'archéobotaniste Laurent Bouby.

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Mais les historiens et les scientifiques s'accordent à fixer un âge d'or de l'hybridation entre 1870 et 1957. Les variétés américaines introduites en Europe, d'abord pour agrémenter les jardins botaniques, puis pour produire en abondance dans nos vignobles finissent par apporter tous les malheurs. Des maladies apparaissent, comme le mildiou et l'oïdium. Puis le phylloxéra, dont ils sont porteurs sains, menace de détruire l'ensemble de nos vignes.

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La solution, trouvée en quelques années à Montpellier, consiste à planter un porte-greffe de variétés américaines sur nos vitis vinifera européennes. Des passionnés s'attachent à créer des croisements entre les deux espèces, afin de combiner la résistance au phylloxéra avec les critères qualitatifs de nos cépages. Seibel, Baco, Couderc, Oberlin… donnent naissance à plus de 1700 hybrides. Toute la paysannerie les cultivent – sans trop savoir les vinifier. Ils symbolisent le vin ordinaire des petits exploitants et des ouvriers, loin des grands crus bourgeois. Au recensement de 1958, ils occupent 400 000 ha, soit 1/3 du vignoble français. Ils présentent l'avantage de mieux résister aux maladies et de se passer quasiment de traitements chimiques.

Les hybrides cèdent la place

Mais la surproduction, les crises de mévente du vin qui jalonnent le XXe siècle mettent un coup d'arrêt à leur prolifération. Le Comité national des appellations d'origine créé en 1935, les premières appellations (AOC) en 1936 désignent un chemin qualitatif basé sur la délimitation d'aires de production avec leurs cépages traditionnels. Les variétés américaines, accusées de tous les maux, sont interdites en 1935. Exit isabelle et jacquez, clinton et noah. Baco noir, villard, couderc, maréchal Foch (sic) sont voués aux gémonies. Leurs arômes prononcés ne permettent pas cette expression du terroir sur laquelle se forgent les vignobles réputés.

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En 1957, primes à l'arrachage des hybrides et fin des droits de plantation les rayent du catalogue officiel. Une vingtaine d'entre eux échappent au couperet. Les autres ne circulent plus que sous le manteau. Fin XXe siècle, ils occupent 8 000 hectares, soit 1 à 2 % des vignes françaises. L'option choisie est de privilégier l'amélioration qualitative de nos cépages, quitte à employer des traitements chimiques de plus en plus nombreux. Sur 3 % des surfaces agricoles, la vigne consomme 20 % de pesticides de la filière. Quant à la sélection clonale, elle multiplie un cépage sain, débarrassé de viroses, en des milliers d'exemplaires. Vinifera se répand dans le monde, dans les deux hémisphères à travers quelques cépages emblématiques de la mondialisation (merlot, chardonnay, etc.).

Hybridation, le retour en grâce

À partir des années 1960, Allemands et Italiens travaillent à nouveau à conserver les qualités des vignes européennes, avec la résistance aux maladies des américaines. Avec retard, la France reprend la création variétale réutilisant les hybridations entre espèces, avec Alain Bouquet en 1974. Le premier, il s'oriente, à Bordeaux puis à Montpellier, sur les terroirs languedociens, vers une adaptation aux climats chauds. Les variétés monogéniques (un seul gène de résistance) qu'il crée ne sont pas prises en compte pendant 50 ans. En 2023, deux d'entre elles rejoignent le catalogue officiel. Elles ont prouvé empiriquement leur durabilité.

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Prise en main par l'INRAE et l'IFV, l'hybridation interspécifique se développe à nouveau à partir des années 2000, en lien avec les problématiques créées par les dérèglements climatiques, l'impératif de réduire l'usage de pesticides, et la nécessité d'envisager de nouveaux goûts face à la baisse de consommation du vin.

Le programme ResDur (pour Résistance Durable), s'appuie sur la création de variétés comportant plusieurs gènes de résistance (polygéniques), afin de ne pas être contournées par la maladie. L'association PIWI, avec à sa tête Vincent Pugibet, du domaine de la Colombette (Hérault), promeut et expérimente les cépages résistants français, allemands, italiens. Les premiers sont inscrits au Catalogue officiel en 2017. On en compte 24 européens aujourd'hui. Si on y ajoute les 21 anciens hybrides, ils proposent « un choix assez large » pour l'agronome Alain Carbonneau. Le cahier des charges d'IGP les intègre. Des AOP y songent aussi, à hauteur de 5 % de l'encépagement. La dégustation procure des goûts plaisants, peu prononcés, avec peu de personnalité.

Seront-ils capables d'incarner un terroir alors que les premiers hybrides avaient été écartés de la voie qualitative choisie il y a un siècle ?

* Historienne, chercheuse diplômée de l'université Jean-Jaurès à Toulouse, vigneronne aujourd'hui près de Montpellier, Florence Monferran s'attache depuis une dizaine d'années à mettre en lumière des patrimoines et des terroirs de grande qualité, des vins et des cépages du Languedoc, afin, tant d'œuvrer au maintien de la viticulture que d'éveiller à une culture du vin protéiforme. Elle a ainsi mené le projet Terre Apiane sur les muscats et travaille à démontrer l'excellence des productions en vins blancs en Languedoc. En 2020, elle a fait paraître l'ouvrage Le Breuvage d'Héraclès, aux éditions Privat. Du discours à la pratique, il ne restait plus qu'un pas, que Florence Monferran a franchi en redonnant vie à de petites parcelles entièrement en muscat à petits grains, à Mireval (Hérault). Une façon de passer du mot à l'ouvrage, de tendre des ponts entre les temps.

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Commentaire (1)

  • pafoufou

    Les degrés ? Non ! C’est maîtrisable ….